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– J'ai d'autres questions à vous poser sur Liliane Walker.

– Et moi, je n'ai rien à vous dire de plus parce que je vais dormir.

Ben Morton ouvrit un placard et lança une couverture à Andrew.

– Je ne vous dis pas à demain puisque vous ne serez plus là à mon réveil.

Il éteignit la lumière et monta l'escalier qui menait à la mezzanine. La porte de sa chambre se referma.

La pièce unique qui composait le rez-de-chaussée du cabanon n'était plus éclairée qu'à la lueur des flammes. Andrew attendit que Morton se couche et s'approcha du petit bureau situé près de la fenêtre.

Il tira doucement la chaise et s'y installa. Il regarda une photo de Ben Morton, prise à ses vingt ans à côté d'un homme qui devait être son père.

– Ne fouille pas dans mes affaires ou je te fous à la porte ! entendit-il crier depuis l'étage.

Andrew sourit et retourna se coucher. Il étendit la couverture et se laissa bercer par le crépitement du bois qui se consumait.

*

Quelqu'un le secouait par les épaules. Andrew ouvrit les yeux et vit le visage de Morton, penché sur lui.

– Tu en fais des cauchemars pour un type de ton âge ! Tu es pourtant trop jeune pour avoir connu le Vietnam.

Andrew se redressa. Bien que la température dans la pièce ait considérablement chuté, il était en nage.

– Ça ne laisse pas indemne de se faire planter, hein, reprit Morton. Tu crois que je ne sais pas qui tu es, que Figera ne m'avait pas prévenu de ta visite ? Si tu veux devenir un jour un bon journaliste, il faudrait que je t'apprenne deux-trois ficelles sur le métier. Je vais remettre une bûche dans le feu et tu vas essayer de finir ta nuit sans me réveiller avec tes gémissements.

– Je ne me rendormirai pas. Je vais reprendre la route.

– Mais qui m'a envoyé un empoté pareil ? s'emporta Morton. Tu es venu de New York pour me questionner et tu veux déjà repartir ? Quand tu franchis les portes du journal, tu ne regardes jamais l'inscription « New York Times » sur la façade, ça ne te fait pas un peu frissonner ?

– Si, tous les jours.

– Alors essaie d'en être digne, bon sang ! Tu lèveras le camp lorsque je t'aurai tellement ennuyé avec mes histoires que tu pourras roupiller sans faire de cauchemar, ou parce que je t'aurai mis dehors à coups de pompe dans le derrière, mais pas comme un tocard qui n'a pas accompli le quart de son boulot. Maintenant, demande-moi ce que tu veux savoir au sujet de la femme du sénateur Walker.

– Ce qui vous faisait douter de sa culpabilité ?

– Elle était un peu trop coupable, à mon goût. Mais ce n'était qu'une impression.

– Pourquoi ne pas l'avoir écrit dans votre article ?

– Lorsque la direction nous priait poliment de renoncer à un sujet, il était recommandé de ne pas s'entêter. Dans les années 1960, le clavier de nos machines à écrire n'était pas relié au reste du monde. Quant à l'affaire Walker, nous avions reçu ordre de ne plus en parler. Je n'avais rien de concret pour publier ce que je pensais, j'avais pris assez de risques comme ça. Dès que le jour sera levé, nous irons faire un tour dans mon garage. Je regarderai ce que je peux trouver dans mes archives. Ce n'est pas que je perde la mémoire, mais ça date tout de même.

– À votre avis, quel genre de documents Liliane Walker avait en sa possession ?

– C'est la zone d'ombre de cette affaire. Personne ne l'a jamais su. Le gouvernement nous disait qu'il s'agissait d'informations stratégiques concernant nos positions au Vietnam. Et c'est ce qui me chiffonnait. Cette femme était une mère. Au nom de quelle idéologie l'épouse d'un sénateur aurait-elle voulu envoyer nos jeunes soldats à la mort ? Je me suis souvent demandé si ce n'était pas lui qui était visé. Walker était très à droite pour un démocrate, il adoptait parfois des positions éloignées de la ligne de son parti et l'amitié qu'il entretenait avec Johnson suscitait beaucoup de jalousies.

– Vous pensez que ça pouvait être un coup monté ?

– Je ne dis pas que je le pensais, mais que ce n'était pas impossible. Qui aurait cru au Watergate ? Maintenant, à moi de te poser une question. Qu'est-ce qui t'a mis sur ce dossier vieux de plusieurs décennies et en quoi il t'intéresse ?

– La petite-fille de Liliane Walker est une connaissance, elle s'est fait une religion de prouver l'innocence de sa grand-mère et ce qui me turlupine, c'est que cela semble gêner encore certaines personnes.

Andrew présenta à Morton une retranscription de la lettre trouvée dans l'avion et lui parla des deux cambriolages.

– Elle était en très mauvais état, j'ai recopié ce que j'ai pu, dit Andrew.

– Ce bout de papier ne raconte pas grand-chose, répondit le vieux journaliste en la parcourant. Tu m'as dit que tu avais lu plus de cent articles sur cette affaire, n'est-ce pas ?

– Tout ce qui a été publié sur Walker.

– Quelque chose sur un déplacement à l'étranger ?

– Non, rien de tel, pourquoi ?

– Mets ton manteau. Je voudrais aller vérifier quelque chose dans ma grange.

Morton attrapa une lampe torche sur l'étagère du réduit qui lui servait de cuisine et fit signe à Andrew de le suivre.

Ils traversèrent un potager recouvert de givre et entrèrent dans une remise qui parut à Andrew plus grande que le cabanon où vivait le vieux journaliste. Derrière une Jeep et un empilement de bois coupé étaient alignés une dizaine de caissons métalliques.

– Toute ma carrière tient dans ces boîtes, ce n'est pas grand-chose une vie quand on regarde ça. Quand je pense au nombre de nuits blanches passées à écrire ces articles qui n'ont plus la moindre valeur, soupira Ben Morton.

Il ouvrit plusieurs tiroirs, demanda à Andrew de l'éclairer avec la lampe et finit par sortir un dossier qu'il emporta vers la maison.

Les deux hommes s'installèrent autour de la table. Morton avait ravivé le feu et parcourait ses notes.

– Rends-toi utile, et cherche-moi la bio du sénateur Walker, je n'arrive pas à remettre la main dessus.

Andrew s'attela à la tâche, mais l'écriture de Morton n'était pas facile à déchiffrer. Il réussit à trouver le document et le tendit à Morton.

– Je ne suis pas si rouillé que ça, s'exclama le vieux journaliste, ravi.

– De quoi parlez-vous ?

– Un truc qui cloche dans la lettre que tu m'as montrée. En 1956, Walker était député, et un député ne se rendait pas à Berlin en pleine guerre froide, sauf s'il y allait en mission diplomatique, ce qui ne serait pas passé inaperçu. Mais si tu avais fait ton boulot et étudié la bio de Walker comme je viens de le faire, tu aurais appris qu'il n'a jamais étudié l'allemand. Alors pourquoi aurait-il été faire plusieurs escapades avec son ami entre 56 et 59 ?

Andrew se sentit vexé que cette idée ne lui eût pas traversé l'esprit.

Morton se leva et alla regarder le lever du jour à la fenêtre.

– Il va neiger, dit-il en observant le ciel. Si tu veux rentrer à New York, tu ferais bien de ne pas traîner. Dans cette région, quand ça tombe, ce n'est pas de la blague, et tu pourrais te retrouver coincé plusieurs jours. Emporte mon dossier, il ne contient pas grand-chose, mais si ça peut t'aider. Moi, il ne me sert plus à rien.

Morton lui prépara un sandwich et lui offrit de remplir son thermos de café chaud.

– Vous n'êtes pas cet homme dont le garagiste m'avait fait le portrait.

– Si c'est ta façon de me remercier de mon hospitalité, tu as de drôles de manières, mon garçon. Je suis né dans ce bled. J'ai grandi ici et je suis revenu y terminer mes jours. Quand on a parcouru le monde et vu plus de choses que tu ne peux l'imaginer, on ressent l'envie de retourner à la source. L'année de nos dix-sept ans, cet imbécile de garagiste s'est persuadé que j'avais couché avec sa sœur. Je n'ai pas trop cherché à le convaincre du contraire, question d'amour-propre. Elle était vachement délurée, la sœur du garagiste, la plupart des garçons du coin en profitaient, mais pas moi. Il en veut à tous les hommes du patelin et des environs.