Выбрать главу

Morton accompagna Andrew à sa voiture.

– Prends soin des papiers que je t'ai confiés, étudie-les et je compte sur toi pour me les réexpédier quand tu n'en auras plus besoin.

Andrew promit et s'installa derrière le volant.

– Fais attention à toi, Stilman. Si on t'a cambriolé, c'est que cette affaire n'est pas encore enterrée. Il est possible que certaines personnes ne souhaitent pas que l'on s'intéresse au passé de Liliane Walker.

– Mais pourquoi ? Vous l'avez dit vous-même, c'est si vieux tout ça.

– J'ai connu des procureurs généraux sachant très bien que des types qui attendaient leur tour dans le couloir de la mort n'avaient pas commis les crimes pour lesquels on allait les exécuter. Mais ces procureurs préféraient s'opposer à la réouverture d'enquêtes bâclées et voir ces gars griller sur la chaise électrique plutôt que de reconnaître leur incompétence ou leur compromission. Une femme de sénateur injustement abattue, même quarante ans après, ça pourrait déranger encore beaucoup de monde.

– Comment avez-vous su ? La presse n'a jamais parlé de ce qu'elle était devenue.

– Un tel silence laissait peu de doutes quant à son sort, répondit Morton. En tout cas, si tu as besoin d'un coup de main, tu peux toujours me téléphoner, je t'ai écrit mon numéro sur l'emballage de ton casse-croûte. Appelle le soir, je suis rarement là dans la journée.

– Une dernière chose et je vous laisse pour de bon, dit Andrew, c'est moi qui ai suggéré à Figera de vous prévenir que j'allais débarquer chez vous. Je ne suis pas aussi mauvais reporter que vous le pensez.

Andrew reprit la route alors que les premiers flocons de neige commençaient à tomber.

Dès que la voiture eut disparu du chemin de terre, Morton rentra dans son cabanon et décrocha son téléphone.

– Il vient de partir, dit-il à son interlocuteur.

– Qu'est-ce qu'il sait ?

– Pas grand-chose encore, mais c'est un bon journaliste, même s'il savait, il ne se confierait pas si facilement.

– Vous avez pu prendre connaissance de la lettre ?

– Oui, il me l'a montrée.

– Vous avez pu en recopier le contenu ?

– C'est vous qui allez le copier, ce n'était pas très dur à mémoriser.

Et il dicta le texte suivant :

Cher Edward,

J'imagine le profond désarroi dans lequel cette issue dramatique vous a plongé, mais si cela peut apaiser votre conscience, sachez qu'en pareilles circonstances je n'aurais pas agi différemment. La raison d'État prévaut et les hommes tels que nous n'ont d'autre choix que de servir leur patrie, dussent-ils lui sacrifier ce qu'ils ont de plus cher.

Nous ne nous reverrons pas et je le regrette. Jamais je n'oublierai nos escapades de 1956 à 1959 à Berlin et particulièrement ce 29 juillet où vous m'avez sauvé la vie. Nous sommes quittes.

– Elle n'était pas signée ?

– Pas sur la retranscription qu'il m'a présentée. Il paraît que l'original était en très mauvais état. Après avoir passé près de cinquante ans au fond d'une crevasse, c'est plausible.

– Vous lui avez remis le dossier ?

– Il est reparti avec. Je n'ai pas jugé bon de l'aiguiller plus. Ce Stilman est un fouineur, il doit trouver par lui-même. J'ai suivi vos instructions, mais je ne vous comprends pas. Nous avons tout fait pour que ces documents disparaissent et voilà que maintenant vous œuvrez à les faire ressurgir.

– Personne, depuis sa mort, n'a su trouver où elle les avait cachés.

– Parce que comme en témoignait le rapport, ils ont été détruits. C'est ce que l'agence voulait, non ? Qu'ils se volatilisent avec elle.

– Je n'ai jamais cru aux conclusions de ce rapport. Liliane était trop intelligente pour les brûler avant son arrestation. Si elle voulait les rendre publics, elle n'aurait jamais fait ça.

– C'est votre interprétation des choses. Et quand bien même les conclusions du rapport seraient fausses, après toutes ces années, nous-mêmes n'avons su les localiser, alors quel est le risque ?

– L'honneur d'une famille se défend de génération en génération, c'est ainsi que se perpétuent les guerres claniques. Nous avons bénéficié d'un répit. La fille de Liliane Walker était incapable de quoi que ce soit, mais sa petite-fille est d'une autre engeance. Et si elle ne réussit pas à réhabiliter son nom, ses enfants prendront la relève et ainsi de suite. C'est à nous qu'il appartient de protéger l'honneur de la Nation et nous ne sommes pas éternels. Avec l'aide de ce reporter, Suzie finira peut-être par atteindre son but. Alors, nous interviendrons et réglerons définitivement cette affaire.

– En lui réservant le même sort qu'à sa grand-mère ?

– J'espère sincèrement le contraire. Tout dépendra des circonstances, nous verrons en temps utile. À ce sujet, qu'avez-vous fait du vrai Morton ?

– Vous m'aviez dit qu'il avait choisi de venir s'enterrer dans ce trou perdu, j'ai respecté ses dernières volontés à la lettre. Il dort sous ses rosiers. Que souhaitez-vous que je fasse maintenant ?

– Restez chez Morton jusqu'à nouvel ordre.

– Pas trop longtemps j'espère, ce n'est pas très réjouissant comme endroit.

– Je vous rappellerai d'ici quelques jours, en attendant, tâchez de ne pas vous faire voir des gens du coin.

– Aucun risque, ce cabanon est vraiment au bout du monde, soupira l'homme.

Mais Arnold Knopf avait déjà raccroché.

L'homme remonta à la mezzanine. Il entra dans la pièce d'eau, contempla son reflet dans le miroir et tira délicatement sur les extrémités de sa barbe et de sa chevelure blanche. Quand le postiche fut ôté, il parut vingt ans de moins.

9.

– Vous en savez beaucoup plus sur le passé de votre grand-mère que ce que vous avez voulu m'en dire, annonça Andrew en s'asseyant à côté de Suzie dans la salle de lecture de la bibliothèque.

– Si j'ai changé de place, ce n'était pas pour que vous veniez vous installer ici.

– Ça reste à prouver.

– Vous ne m'aviez rien demandé.

– Alors je vais le faire maintenant. Qu'est-ce que vous ne m'avez pas encore appris sur Liliane Walker ?

– En quoi cela vous concerne ?

– En rien. Je suis peut-être un soûlard à mes heures, j'ai un caractère de cochon, mais mon métier est le seul domaine dans lequel j'excelle. Vous voulez de mon aide, oui ou non ?

– Quelles sont vos conditions ?

– Je vous consacre quelques semaines ; à supposer que l'on réussisse à prouver l'innocence de votre grand-mère, et que ça représente un intérêt quelconque, je veux l'exclusivité du sujet et le droit de publier sans relecture de votre part.

Suzie emporta ses affaires et se leva sans dire un mot.

– Vous plaisantez, j'espère, protesta Andrew en la rejoignant. Vous n'allez pas prétendre négocier mes conditions ?

– Il est interdit de parler en salle de lecture, suivez-moi à la cafétéria et taisez-vous.

Suzie alla chercher une pâtisserie et rejoignit Andrew à la table où il s'était assis.

– Vous mangez autre chose que du sucré ?

– Vous buvez autre chose que de l'alcool ? répondit-elle du tac au tac. J'accepte vos conditions, à un détail près. Je ne vous demande pas le droit de corriger votre papier, mais de le lire avant qu'il paraisse.