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Elle accéléra, mais la nuit devint claire. Trois coups de feu claquèrent. Elle sentit une brûlure dans son dos, son souffle se coupa, ses jambes fléchirent et son corps bascula en avant.

Le contact de la neige sur sa bouche l'apaisa. Mourir n'était finalement pas si terrible que cela. C'était si bon de ne plus lutter.

Elle entendit la terre gelée craquer sous les pas des hommes qui se rapprochaient et elle souhaita mourir avant d'avoir vu leurs visages. Ne garder pour dernier souvenir que les yeux de Mathilde. Elle voulait juste trouver encore la force d'articuler un pardon à sa fille. Pardon d'avoir été égoïste au point de la priver de sa mère.

Comment se résigner à quitter son enfant, à ne plus jamais pouvoir le serrer contre soi, ne plus jamais sentir son souffle quand il vous murmure un secret à l'oreille, ne plus entendre ses éclats de rire qui vous arrachent à vos tracas d'adultes, à tout ce qui vous entraînait si loin de lui ? Mourir en soi n'est rien, ne plus voir les siens est bien pire que l'enfer.

Son cœur battait à toute vitesse, elle tenta de se relever, mais la terre s'ouvrit devant elle et elle vit le visage de Mathilde surgir de l'abîme dans un roulement de tambour.

Suzie était en sueur. Ce cauchemar, récurrent depuis l'enfance, la mettait toujours en colère à son réveil.

On tambourinait à la porte. Elle repoussa ses draps, traversa le salon et demanda qui était là.

– C'est Andrew Stilman, cria la voix qui provenait du palier.

Elle ouvrit.

– Vous faisiez votre gymnastique ? questionna-t-il en entrant.

Il détourna son regard de la poitrine qui apparaissait sous le tee-shirt humide. Pour la première fois depuis longtemps, il ressentait du désir.

– Quelle heure est-il ? répondit Suzie.

– Sept heures et demie. Je vous ai apporté un café et une brioche. Allez vous doucher et habillez-vous.

– Vous êtes tombé du lit, Stilman ?

– Moi non. Vous n'auriez pas un peignoir ou quelque chose de plus décent à vous mettre ?

Suzie lui prit le café des mains et mordit dans la brioche.

– Que me vaut le plaisir de ce petit déjeuner servi à domicile ?

– J'ai pris connaissance d'une information importante cette nuit grâce à l'un de mes collègues.

– Votre Dolorès, maintenant l'un de vos collègues, c'est toute la rédaction du New York Times qui s'intéresse au sort de ma grand-mère ? Si nous voulions être discrets, avec vous, ça va être compliqué.

– Olson n'est au courant de rien et épargnez-moi vos leçons. Vous allez vous habiller oui ou non ?

– Qu'avez-vous appris ? s'enquit Suzie en retournant vers sa chambre.

– Vous verrez sur place, rétorqua Andrew en la suivant.

– Si ça ne vous ne dérange pas, je vais aller prendre ma douche toute seule.

Andrew piqua un fard et se dirigea vers la fenêtre du salon.

Suzie réapparut dix minutes plus tard, vêtue d'un jean, d'un pull à grosses mailles et coiffée d'un bonnet assorti au pull-over.

– On y va ?

– Passez mon manteau, ordonna Andrew en lui tendant son caban. Et enfoncez-moi ce bonnet jusqu'aux yeux. Vous allez sortir seule. Remontez la rue. Sur le trottoir d'en face, vous verrez une allée un peu plus haut, empruntez-la, la grille est toujours ouverte. Vous déboucherez sur Leroy. Courez jusqu'à la Septième Avenue et sautez dans un taxi. Faites-vous déposer à l'entrée de Penn Station au croisement de la Huitième et de la 31e Rue. Je vous y retrouverai.

– Vous ne croyez pas qu'il est un peu tôt pour un jeu de pistes ? À quoi ça rime ?

– Il y a un taxi garé en bas de chez vous. Depuis que vous êtes allée vous doucher, il n'a pas bougé d'un mètre, dit Andrew en regardant par la fenêtre.

– Et alors, le chauffeur est allé prendre un café ?

– Vous connaissez un endroit où on sert du café dans le coin ? Le chauffeur est derrière son volant et ne cesse de reluquer les fenêtres de votre appartement, alors faites ce que je vous dis.

Suzie enfila le manteau. Andrew ajusta le bonnet sur son visage et l'observa.

– Ça devrait donner le change. Ne me regardez pas comme ça, ce n'est pas moi qu'on surveille.

– Et vous pensez qu'on me prendra pour vous, dans cet accoutrement ?

– Ce qui compte, c'est qu'on ne vous prenne pas pour vous.

Andrew retourna à son poste d'observation. Le taxi ne quitta pas son emplacement lorsque Suzie sortit de l'immeuble.

Andrew attendit quelques minutes et s'en alla.

*

Elle l'attendait sur le trottoir, devant le kiosque à journaux.

– Qui planquait en bas de chez moi ?

– J'ai relevé le numéro de la plaque, j'essaierai d'en savoir plus.

– Nous prenons le train ? interrogea Suzie en se retournant vers Penn Station.

– Non, répondit calmement Andrew. C'est de l'autre côté de la rue qu'il faut regarder.

Elle pivota sur elle-même.

– Vous avez du courrier à poster ?

– Cessez de faire la maline et lisez ce qui est écrit là-haut, dit Andrew.

Suzie écarquilla les yeux en découvrant le texte sur le frontispice de la poste Farley.

– Maintenant, j'aimerais comprendre pourquoi votre grand-mère s'était donné la peine de recopier cette phrase.

– Mathilde me parlait d'un coffre où Lilly aurait laissé des documents. Il devait s'agir d'une boîte postale.

– Si c'est ça, c'est une mauvaise nouvelle. Je doute qu'elle soit restée attribuée à sa locataire aussi longtemps, et puis comment la trouver ?

Ils traversèrent la rue et entrèrent dans le hall. Le bâtiment avait des proportions immenses. Andrew demanda à un guichetier où se trouvaient les boîtes postales. L'homme pointa du doigt un couloir sur leur droite.

Suzie ôta son bonnet, et Andrew fut troublé par sa nuque dénudée.

– Nous ne la trouverons jamais, il y en a plus de mille ici, soupira-t-elle en regardant le mur de boîtes aux lettres qui occupait toute la longueur du corridor.

– Votre grand-mère voulait que quelqu'un accède à cette boîte. Quelle que soit cette personne, il lui fallait comme à nous une indication supplémentaire.

Andrew appela le journal.

– J'ai besoin d'un coup de main, Olson.

– Passez-moi le vrai Andrew Stilman, riposta Freddy, vous l'imitez très bien, mais ce que je viens d'entendre lui arracherait la gueule.

– Je suis sérieux, rejoins-moi devant l'entrée principale de la poste Farley, Freddy.

– Ah, je comprends mieux. Qu'est-ce que j'y gagnerai, à te rendre service, Stilman ?

– Ma considération, et l'assurance que tu pourras compter sur moi le jour où tu en auras besoin.

– D'accord, répondit Olson après un temps de réflexion.

*

Andrew et Suzie attendaient Olson sur les marches. Il descendit d'un taxi et tendit le reçu à Andrew.

– Je n'avais pas envie de marcher, tu me dois dix dollars. Qu'est-ce que tu lui veux à la poste Farley ?

– Que tu me racontes tout ce que tu sais de cet endroit.

Olson ne quittait pas Suzie des yeux et l'insistance de son regard en devint presque gênante.

– Je suis une amie de l'ex-femme d'Andrew, lui dit Suzie qui avait cerné le personnage. Je termine mes études d'urbanisme. Je me suis fait prendre à recopier sur Internet tout un chapitre qui avait enrichi ma thèse. Mon professeur a accepté de fermer les yeux à condition que je le remplace par un autre sur l'importance de l'architecture 1900 dans le développement du paysage urbain new-yorkais. Ce prof est un vicelard de premier ordre. J'ai jusqu'à lundi, c'est irréalisable en si peu de temps, mais je n'ai pas le choix, je dois réussir. Cette poste compte parmi les constructions les plus représentatives de cette époque. Andrew m'a assurée que vous la connaissiez mieux que l'architecte qui l'a construite.