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Je t'aime ma fille, si fort que tu ne pourras le comprendre avant d'avoir eu un enfant à ton tour.

Pardonne-moi mon absence, d'avoir pris des chemins qui t'auront privée de ta mère. L'idée de ne plus te revoir est d'une cruauté que je ne peux concevoir. Mais certaines causes valent plus que votre propre vie. Je veux croire que si tu étais à ma place, tu ferais de même.

Où que je sois désormais, sache que jamais je ne cesserai de t'aimer. Tu es en moi à chaque instant et pour l'éternité.

Tu as été ma raison de vivre.

Ta maman qui t'aime  

Suzie tendit la lettre à Andrew, qui la lut à son tour.

– Qu'est-ce que j'aurais aimé la connaître, murmura-t-elle.

– Vous avez une idée de cet endroit dont elle parle à sa fille ?

– Non, ça ne me dit rien du tout.

– Et la partition, vous seriez capable de la jouer ?

– Mes souvenirs de piano sont lointains. La jouer certainement pas, mais la déchiffrer me semble possible.

– Quand ceux qui ont voulu se débarrasser de nous apprendront leur échec, nous n'aurons plus beaucoup de temps, alors essayez de vous rappeler. Mathilde ne vous a jamais parlé d'un lieu où elle se rendait en cachette avec sa mère ?

– Vous aussi vous l'appelez Mathilde, maintenant ? Non, je vous l'ai dit, je n'en ai aucune idée, mais Knopf le sait peut-être. Je veux croire que c'est lui, l'ami auquel elle voulait confier ce paquet.

– Si je l'ai trouvé ici, c'est qu'elle s'était ravisée au dernier moment !

– Elle n'en a pas eu le temps, c'est tout.

Andrew étala les photos sur la table. Des portraits de Liliane, pris sur l'île. Elle posait allongée sur la plage, tenant une hachette à la main devant la remise à bois, arrangeant des pots de fleurs sur le perron de la maison, agenouillée devant la cheminée allumant un feu et faisant une grimace. Sur une autre, Liliane était nue, de dos, dans la salle de bains. Elle avait tourné la tête au dernier moment en découvrant celui qui se tenait derrière elle et la photographiait.

– Vous voulez que je vous aide à reluquer ma grand-mère ? demanda Suzie en arrachant la photo des mains d'Andrew.

– À cette époque, vous n'étiez même pas née, se justifia-t-il.

– Elle était plutôt bien faite, dit Suzie.

– Vous n'avez rien à lui envier.

Suzie se pencha sur la photographie, plissant les yeux pour en examiner les détails.

– Regardez, dit-elle, là, dans le miroir au-dessus du lavabo, on aperçoit le reflet du visage de son amant.

Andrew reprit la photo et l'observa à son tour.

– Peut-être, mais je n'arrive pas à distinguer ses traits.

– Sur le guéridon à côté du canapé, il y a une loupe, s'exclama Suzie en se levant.

Elle emporta la photographie. Andrew attendit dans la cuisine et, ne la voyant pas revenir, il la rejoignit dans le salon.

Suzie étudiait la photo à la loupe.

– Je comprends mieux pourquoi Knopf me disait qu'elle était avant-gardiste.

– Je vous demande pardon ? interrogea Andrew en s'asseyant à côté d'elle.

– L'amant de ma grand-mère avait au moins vingt ans de moins qu'elle.

– Faites voir ça ? dit Andrew en reprenant la loupe des mains de Suzie.

– Maintenant, je comprends mieux aussi ce que suggérait Broody en disant « jusqu'à atteindre les plus hautes sphères du pouvoir », souffla Andrew, bouche bée. L'homme, sur cette photo, est devenu trente et quelques années plus tard le plus puissant vice-président des États-Unis, et certainement le plus redoutable de toute notre histoire.

– Il est toujours en vie ?

– Oui, affaibli par des problèmes de cœur, mais vivant.

– Il faut absolument que je lui parle.

– Vous êtes aussi folle que naïve, la plus naïve des femmes que j'ai rencontrées de toute mon existence, répliqua Andrew.

– Et vous en avez rencontré beaucoup ?

– Vous n'avez pas la moindre idée du genre d'homme qui se cache derrière ce visage débonnaire, et je parierais que votre grand-mère en a pris conscience le jour de leur dispute.

– Ils se sont aimés, il sait forcément des choses sur elle.

– Des choses ? Laissez-moi vous en raconter quelques-unes. Il a commencé sa carrière politique à vingt-sept ans en ayant pour mentor Ronald Rumsfeld, le plus controversé des secrétaires d'État à la Défense, et ils ont noué des liens indéfectibles. Douze ans après que cette photo fut prise, l'amant de votre grand-mère est devenu député. Un député qui s'est opposé aux sanctions économiques à l'encontre de l'Afrique du Sud à l'époque de l'apartheid, à une mesure du Congrès appelant le gouvernement sud-africain à libérer Mandela et, dans un autre registre, à la création du département d'État à l'Éducation, il trouvait que l'éducation coûtait trop cher. Après avoir été nommé chef de file des Républicains, il a succédé à son mentor au poste de secrétaire d'État à la Défense. Il a dirigé l'invasion militaire du Panamá, et l'opération Tempête du désert. Ce qui est un comble quand on pense qu'il avait usé jadis de toutes les astuces possibles pour fuir ses propres obligations militaires et échapper au Vietnam. Quand les Démocrates ont repris le pouvoir, il a quitté momentanément la vie politique pour présider l'une des plus importantes compagnies d'extraction pétrolière. Une multinationale qui, sous sa gouvernance, s'est diversifiée dans des activités paramilitaires en tous genres, planquées dans de nombreuses filiales. Après dix ans de bons et loyaux services, celui qui fut jadis l'amant de votre grand-mère démissionna, pour devenir vice-président des États-Unis, touchant au passage une petite indemnité de départ avoisinant les trois cents millions de dollars. Mais en homme d'affaires avisé, il se fit aussi offrir un bon paquet de stock-options. Il aurait eu tort de s'en priver, car après avoir menti sur l'existence d'armes de destruction massive en Irak et de liens entre Al-Qaïda et Saddam Hussein, il usa de tout son pouvoir pour inciter au déclenchement de la guerre, la faisant passer comme une riposte aux attentats du 11 Septembre. Guerre dont la logistique fut pour une grande partie sous-traitée aux milices sécuritaires dont son ancienne compagnie fournissait les services. Et ces actions ont dû sacrément prospérer puisque, durant son mandat de vice-président des États-Unis, sa multinationale rafla pour près de sept milliards de dollars de contrats gouvernementaux. C'est lui qui, en tant que chef des opérations militaires, distribuait ces mirifiques contrats. Et pour finir, si tant est qu'il y ait une fin à ses agissements, il fut directement impliqué dans l'affaire Enron. Un des plus grands scandales pétroliers, alors qu'il présidait également la commission nationale pour le développement des énergies. J'allais oublier, on le soupçonne d'être le fomenteur de l'affaire Valerie Plame. Valerie Plame était un agent de la CIA dont la couverture fut révélée à la presse par des fuites émanant d'une aile de la Maison-Blanche. Valerie Plame était aussi la femme d'un ambassadeur des États-Unis qui avait eu le tort d'être parmi les premiers à affirmer que les rapports présentés au Congrès sur l'existence d'armes de destruction massive en Irak avaient été truqués et les preuves créées de toutes pièces. Vous voulez toujours le rencontrer pour lui parler de votre grand-mère ?

– Comment savez-vous tout cela ?

– Probablement parce que j'ai eu mon diplôme de journalisme dans une pochette-surprise, répondit Andrew de fort mauvaise humeur. Cet homme fut l'un des trois « faucons » de la Maison-Blanche. Et croyez-moi, cette analogie n'a pas dû plaire aux défenseurs de l'espèce.

– Et vous êtes certain que c'est lui sur cette photo ?