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Andrew se précipita à la fenêtre pour savoir si on l'avait suivi, provoquant l'exaspération de Simon. Une femme sortit d'un immeuble en vis-à-vis du garage, portant un chien minuscule dans ses bras. Son chauffeur lui ouvrit la portière et démarra dès qu'elle fut installée.

– C'est sûrement la CIA, dit Andrew en tapant sur l'épaule de Simon, ils ont toute une brigade de mémères à chihuahua pour assurer leur couverture.

– Fous-toi de moi, cette voiture était suspecte, voilà tout.

Simon ouvrit le coffre-fort de son bureau, et tendit une enveloppe à son ami.

– Il y a dix mille dollars dedans, tu me rendras ce que tu n'as pas utilisé.

– Tu veux que je te garde les reçus ?

– Va-t'en avant que je ne change d'avis et débrouille-toi pour me donner de tes nouvelles. Tu es sûr que je ne peux pas venir avec vous ?

– J'en suis certain.

– Tu as quelque chose de changé. C'est cette fille qui t'a métamorphosé en trois jours ?

Andrew regarda Simon depuis la porte du bureau.

– J'ai croisé Valérie hier dans la rue.

– Je sais, elle m'a appelé en rentrant chez elle.

– Elle t'a appelé ?

– C'est ce que je viens de te dire.

– Qu'est-ce qu'elle t'a raconté ?

– Elle m'a demandé de mes nouvelles et plus tard dans la conversation, si tu voyais quelqu'un en ce moment.

– Qu'est-ce que tu lui a répondu ?

– Que je n'en savais vraiment rien.

– Pourquoi tu lui as dit ça ?

– Parce que c'est la vérité et que je savais que ça la rendrait jalouse.

– Tu as cinq ans d'âge mental, tu ne pouvais pas trouver mieux pour la faire fuir.

– Je vais te dire un truc mon vieux, occupe-toi de tes articles, et en ce qui concerne la psychologie féminine, laisse-moi faire.

– Rappelle-moi à quand remonte ta dernière liaison qui aurait duré plus de quinze jours ?

– File, tu as du travail et moi aussi !

*

En rentrant à l'hôtel, Andrew trouva la chambre vide. Il renonça à téléphoner à Suzie, espérant qu'elle aurait respecté ses consignes et laissé son portable éteint. L'idée qu'elle soit peut-être repassée chez elle l'inquiéta. L'envie d'alcool ne l'avait pas lâché depuis la veille, et le souvenir de son dernier Fernet-Coca fit redoubler sa soif. Il ouvrit le minibar et trouva un petit mot.

« Retrouvez-moi à la Juilliard School, aux studios de répétition, et demandez à parler au professeur Colson. À tout à l'heure. Sue. »

Andrew sauta dans un taxi et se fit déposer sur la 65e Rue.

La réceptionniste lui expliqua où se trouvait le studio de répétition, ajoutant que le professeur Colson s'y trouvait en compagnie d'une élève et qu'on ne devait pas le déranger. Andrew s'engagea dans le couloir avant que la réceptionniste n'eût le temps de protester.

Le professeur Colson avait la soixantaine, bien qu'il parût plus âgé dans sa vieille redingote, avec son nœud papillon de travers, son front brillant et ses cheveux blancs hirsutes dressés à l'arrière du crâne.

Il se leva de son tabouret de piano pour accueillir Andrew et le pria de s'installer sur la chaise à côté de Suzie.

– Je vois que vous avez trouvé mon mot, chuchota-t-elle.

– Très malin, l'idée du minibar.

– Qui d'autre que vous l'aurait trouvé là ? poursuivit-elle en s'approchant de son visage, comme pour le renifler.

– Je peux continuer ? demanda le professeur.

– Qui est-ce ? chuchota à son tour Andrew.

– M. Colson était mon professeur de piano quand j'étais petite fille. Maintenant, taisez-vous.

Le professeur posa ses mains sur le clavier et se remit à jouer la partition qui se trouvait devant lui.

– Je comprends pourquoi vous n'avez pas fait de progrès, murmura Andrew en se penchant à l'oreille de Suzie.

– Ces portées n'ont aucun sens, râla le professeur, c'est d'ailleurs ce que j'expliquais à Suzie avant votre arrivée. Cette cacophonie est à vous briser les tympans.

– C'est la Demoiselle des neiges ?

– En effet, s'exclama le professeur Colson, amputée de toute sa grâce, mais c'est bien elle. Je ne peux pas continuer à jouer cela, c'est insupportable, ajouta-t-il en rendant la partition à Suzie.

– Que voulez-vous dire par « amputée de sa grâce » ?

– Qu'il manque la moitié des mesures, comme si quelqu'un avait voulu réécrire ce chef-d'œuvre en le raccourcissant, et je peux vous assurer que ce n'est pas une réussite.

– Vous voyez que vous n'êtes pas le seul à avoir de l'intuition, souffla Suzie, pas peu fière de son effet.

– Vous savez où nous pourrions nous procurer une version intégrale de cet opéra ?

– Oui, évidemment, à la bibliothèque. Je peux vous en obtenir une copie.

Colson guida ses visiteurs. Il pria le bibliothécaire de lui remettre un exemplaire de la partition de la Demoiselle des neiges et demanda à Suzie si elle avait encore besoin de ses services.

Suzie hésitait à solliciter davantage son ancien professeur.

– J'aimerais que vous me présentiez à votre plus mauvais élève.

– Quelle étrange requête, dit Colson. Pourquoi ne pas me demander plutôt à rencontrer le meilleur ?

– J'ai toujours eu un penchant pour les cancres, répondit-elle.

– Alors, je dirais Jack Colman. Je ne sais pas comment ce jeune homme a réussi à se faire admettre ici, il n'a aucun talent. Vous le trouverez probablement en train de se goinfrer à la cafétéria, ajouta Colson en regardant la pendule. Je donne un cours à sa classe dans une demi-heure et il arrive toujours les mains grasses. Si vous voulez bien m'excuser.

– Je ne lui répéterai rien de tout cela, je vous le promets, dit Suzie en saluant son professeur.

– Oh, ne vous gênez surtout pas, soupira Colson en s'en allant.

*

Jack Colman, la bouche pleine et les lèvres couvertes de sucre glacé, suçait ses doigts avec gourmandise.

– J'ai une vraie passion pour les cancres, s'exclama Suzie en avançant vers Colman.

Le jeune homme découvrait étonné cette femme qui marchait dans sa direction d'un pas décidé et il se retourna pour chercher celui qui avait la chance d'attirer ainsi cette créature. Suzie s'assit en face de lui, prit un bout de sa brioche et l'avala aussitôt. Colman s'arrêta de mastiquer.

– Jack ?

Et le seul fait qu'elle connût son prénom le fit déglutir.

– J'ai des ennuis ? demanda-t-il inquiet, en voyant Andrew s'asseoir à son tour.

– Faute avouée à moitié pardonnée, tu connais le dicton, répondit Suzie

– Je rendrai l'argent à la fin de la semaine, je le jure, dit Colman.

– Et si tu le rendais dès ce soir ? enchaîna-telle avec un aplomb qui laissa Andrew pantois.

– Je ne peux pas, je vous promets que si je pouvais...

– Et si nous t'en donnions les moyens ? J'ai un travail à te confier.

– Qu'est-ce que je dois faire ? demanda Colman, d'une voix tremblante.

– Nous filer un petit coup de main, intervint Stilman. Mange ta brioche tranquillement, nous ne sommes pas là pour t'attirer des ennuis, c'est Colson qui t'a recommandé à nous.

– Colson est au courant ?

– Écoute, mon garçon, je ne sais pas de quoi tu me parles et ça ne me regarde pas. Tu dois combien ?

– Deux cents dollars.

– Tu pourras les rembourser dès ce soir si tu veux, dit Andrew en sortant l'enveloppe de Simon.

Il prit un billet de cent dollars et le glissa devant Colman, qui le regarda avec autant d'appétit que lorsqu'il suçait ses doigts tout à l'heure. Andrew indiqua à Suzie de lui confier la partition trouvée sur l'île et la version intégrale remise par Colson.