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– Tu connais le jeu des sept erreurs ?

– Je n'y ai pas joué depuis que j'étais gosse, mais je me débrouillais plutôt bien.

– Dans la partie que je te propose, il y en a probablement plus de sept, mais ce qui compte, c'est que tu n'en omettes aucune. Tu nous compares ces deux partitions, tu repères toutes les notes manquantes sur celle qui se trouve sur ce papier jauni, tu réfléchis et tu essaies de comprendre si elles forment une suite cohérente, ou n'importe quoi qui justifie qu'on les ait effacées.

Colman se passa la main dans les cheveux.

– Et si j'y arrive ?

– Tu touches l'autre billet de cent dollars.

– Et vous voulez que je fasse ça quand ?

– Maintenant, dit Suzie en posant la main sur l'avant-bras de Colman.

– J'ai cours dans une demi-heure.

– Colson t'autorise à sécher.

– Il vous a vraiment envoyés me voir ?

– Il t'en fait baver, n'est-ce pas ?

Colman leva les yeux au ciel.

– Je l'ai eu comme professeur, dit Suzie, s'il est dur, c'est parce qu'il croit en toi, tu es celui sur qui il fonde le plus d'espoir.

– Sérieux ? s'exclama Colman.

– Tout ce qu'il y a de plus sérieux.

Et Andrew opina pour confirmer.

– D'accord, je m'y mets tout de suite, dit Colman en prenant les deux partitions. J'habite dans la résidence des étudiants, bâtiment C, chambre 311 au deuxième étage. Dix-sept heures, ça va ?

Andrew recopia le téléphone du bar du Marriott sur une carte de visite qu'il tendit à Colman.

– Appelle ce numéro à 15 heures précises, tu demandes à me parler et tu nous dis où tu en es de tes recherches, ordonna Andrew en offrant une poignée de main à Colman.

– Vous êtes journaliste ? questionna Colman en retournant la carte de visite.

– Fais ce qu'on te dit et le succès de ton année sera garanti, dit Suzie.

Elle se leva, lui adressa un grand sourire et emporta la brioche.

*

– C'est dégueulasse, le tour que vous avez joué à ce gamin, protesta Andrew en arrivant sur le trottoir de la 65e.

– Parce que je lui ai piqué sa brioche ? Je n'ai pas pris de petit déjeuner et j'avais faim.

– Ne faites pas l'idiote, je parle de ce que vous lui avez dit au sujet de Colson et de ses études.

– Vous ne connaissez rien à la psychologie du cancre. C'est la plus belle journée de sa vie. Pour la première fois, il se sent utile, investi d'une mission pour laquelle on l'a choisi lui et non un autre.

– Et je ne connais rien non plus à la psychologie féminine, je sais, on me l'a déjà dit.

– Pas moi en tout cas, répliqua Suzie.

*

Une brise glaciale balayait l'esplanade du Rockefeller Center. Knopf était assis sur un banc, face à la patinoire. Que des gens, par ce froid, se réjouissent de glisser au milieu d'un enclos plus petit qu'un manège à chevaux était pour lui un mystère.

Woolford surgit dans son dos et prit place à côté de lui.

– J'ai quitté la cabane de Morton dès que j'ai reçu votre appel.

– Vous savez où elle est ?

– Non, ils étaient déjà partis quand je suis arrivé sur l'île.

– Tous les deux ?

– Je n'en sais rien.

– Comment ça, vous n'en savez rien ? Merde, Woolford, vous étiez censé la ramener.

– Il y avait une mare de sang sur le ponton lorsque j'ai accosté.

Knopf serra les mâchoires

– Vous êtes sûr qu'elle n'était plus sur l'île ?

– Ni dans la maison ni ailleurs.

– Vous êtes passé au village ?

– Après ce que j'ai trouvé là-bas, j'ai préféré ne pas traîner.

– Vous avez fait le ménage ?

– Il neigeait, ce n'était pas la peine.

– Vous êtes allé chez eux ?

– Les deux appartements sont inoccupés. J'ai pris mes précautions, votre journaliste est plus costaud que je ne le pensais, j'en ai fait l'expérience quand je me suis frotté à lui dans sa cage d'escalier.

– Leurs portables ?

– Muets depuis qu'ils ont mis le pied sur l'île.

– Je n'aime pas ça.

– Elliott Broody nous aurait doublés ?

– Il est vénal et en même temps trop peureux pour prendre des risques avec moi.

– Ne soyez pas inquiet, ils doivent être sur leurs gardes.

– Comment ne pas l'être ?

– Il serait peut-être temps de renforcer nos effectifs ?

– Aujourd'hui encore moins qu'hier. Quelqu'un essaie de nous prendre de vitesse et tant que je ne saurai pas de qui il s'agit, nous avons tout intérêt à rester discrets. Retournez à l'agence et guettez le moindre mouvement de leur part. Ils auront besoin d'argent à un moment donné, ou de téléphoner.

– Je vous contacte dès que j'ai du nouveau, monsieur, dit Woolford en se levant.

Knopf se retourna pour le suivre du regard, et attendit qu'il eût descendu les marches de l'esplanade pour saisir son téléphone.

– Alors ?

– Il est de retour à l'hôtel, répondit son interlocutrice.

– Qu'est-ce qu'il allait faire à la Juilliard Académie ?

– Le chauffeur les a suivis, mais compte tenu de la configuration des locaux, il lui était difficile de s'approcher.

– Pourquoi n'y êtes-vous pas allée vous-même ?

– Stilman était à la fenêtre du garage ce matin, il est possible qu'il m'ait vue, je ne voulais courir aucun risque.

– Vous avez dit que le chauffeur les avait suivis ?

– Stilman est arrivé seul à la Juilliard, mais il en est reparti avec Suzie Walker, elle devait l'attendre là-bas.

Knopf regarda le ciel gris et soupira.

– Passez me chercher au Rockefeller Center, je veux entendre le rapport du chauffeur de sa propre voix.

*

Andrew s'allongea sur le lit, mains derrière la nuque. Suzie s'approcha de la table de nuit, ouvrit le tiroir et regarda la bible qui s'y trouvait.

– Vous croyez en Dieu ?

– Mes parents étaient très croyants, nous allions chaque dimanche à la messe. La dernière à laquelle j'ai assisté fut celle de l'enterrement de mon père. Et vous ?

– Un mois après mon rapatriement aux États-Unis, je suis retournée à Baltimore. Quand je suis entrée dans l'appartement de Shamir, ses parents étaient là. Son père m'a regardée, sans rien dire, et lorsqu'il a vu mes mains, ses premières paroles ont été pour s'inquiéter de ma douleur. Je ne saurais pas vous dire pourquoi, mais ce soir-là, j'ai renoué avec la foi. J'ai demandé à sa mère si je pouvais prendre quelques affaires lui appartenant, son bleu de travail, son blouson et une écharpe rouge qu'il emportait toujours en montagne. Cette écharpe était son porte-bonheur. Chaque fois qu'il atteignait un sommet, il la nouait à son piolet et la regardait flotter dans le vent, le temps de savourer sa victoire et de reprendre des forces. Il ne l'avait pas sur le mont Blanc, nous l'avions oubliée en faisant nos bagages. J'ai répété à ses parents une histoire dont ils connaissaient l'issue, mais sa mère voulait réentendre les détails de notre ascension. Je voyais dans son regard que tant que je lui parlais de son fils il était encore un peu en vie. Et puis je me suis tue, parce que je n'avais plus rien à raconter. Sa mère s'est levée, elle est revenue avec un sac de vêtements qui appartenaient à Shamir. Elle m'a caressé la joue sur le pas de la porte et m'a confié un médaillon qu'elle portait toujours autour du cou. Elle m'a dit que si je retournais un jour sur cette montagne, elle aimerait beaucoup que je le jette dans la crevasse où dormait son fils, puis elle m'a suppliée d'avoir une vie qui vaille la peine que son fils se soit sacrifié. Je voudrais juste que la mort ne soit pas qu'un long sommeil sans rêves, que l'âme de Shamir erre quelque part et soit heureuse.