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– Tu es complètement folle ! s'exclama Shamir, sidéré.

– Les documents qu'elle contient ont peut-être une valeur historique, répliqua Suzie impassible.

– Je ne peux pas te regarder faire ça, et je suis beaucoup trop épuisé pour me disputer avec toi, je retourne m'allonger. De toute façon, tu perds ton temps. Escalader le puits sera suffisamment compliqué comme ça, tu ne pourras pas t'encombrer d'une mallette.

Suzie le défia du regard. Elle décrocha un crampon de sa ceinture et frappa sur la glace qui entourait la mallette. Serrures, charnières et loquets volèrent en éclats.

L'intérieur du bagage avait mieux résisté au feu qu'à l'humidité. Elle découvrit un stylo à plume dont le corps avait partiellement fondu, les restes d'un paquet de cigarettes Wills, un briquet en argent, et une pochette en cuir rigidifiée par le froid. Suzie prit la pochette et la glissa sous sa combinaison.

– Tu as repéré un passage ? demanda-t-elle à Shamir en se relevant.

– Tu vas nous porter malheur.

– Viens, lui dit-elle, économisons nos piles et allons nous reposer. Dès qu'il fera jour dans la crevasse, nous tenterons une sortie.

Elle n'attendit pas que Shamir lui réponde et quitta la galerie, retournant à l'endroit où se trouvaient leurs sacs de couchage.

*

Lorsque les rayons du soleil entrèrent dans la grotte, elle vit combien Shamir avait mauvaise mine. Son état s'était considérablement dégradé au cours des dernières heures et la pâleur de son visage était inquiétante. Quand il ne parlait pas, ou restait un instant sans bouger, elle avait l'impression d'être à côté d'un mort. Elle le réchauffa avec beaucoup d'attention et l'obligea à boire et à manger une barre de céréales.

– Tu te sens capable de monter ? dit-elle.

– Nous n'avons pas le choix, soupira-t-il. Et ce seul soupir raviva la douleur qui le tenaillait.

Shamir fit signe à Suzie de regrouper ses affaires.

– On devrait peut-être abandonner nos sacs pour s'alléger ? suggéra-t-elle.

– Une fois là-haut, dit Shamir en regardant le goulet du puits, nous n'aurons fait que la moitié du parcours. Il faudra redescendre dans la vallée. Je ne veux pas crever de froid après être sorti de cette crevasse. Tiens, dit-il en lui tendant deux piolets qu'il avait dissimulés sous le sac de couchage.

– Tu les as retrouvés ? s'exclama-t-elle.

– C'est seulement maintenant que tu t'en soucies ? Je ne te reconnais plus. Depuis notre chute dans cette crevasse, j'ai perdu ma partenaire de cordée et je ne peux pas m'en sortir sans elle.

Debout, Shamir avait repris quelques couleurs et sa respiration s'améliorait. Il expliqua à Suzie la façon de procéder. Elle escaladerait la première, assurerait sa position, et il la suivrait, encordé.

La paroi de glace qui s'élevait au-dessus d'eux évoquait les grandes orgues d'une cathédrale. Son sac à dos accroché fermement, Suzie inspira profondément et s'élança. Shamir ne la quittait pas des yeux, lui indiquant où poser les pieds, où prendre prise avec ses mains, lorsqu'il fallait tendre la corde ou au contraire donner du mou.

Il lui fallut presque une heure pour gravir les quinze premiers mètres. À vingt mètres, elle trouva un léger renfoncement lui permettant de s'asseoir. Calant ses jambes contre la paroi, elle ôta une broche de son baudrier et la vissa dans la glace. Après en avoir vérifié le bon ancrage, elle enclencha une poulie et fit passer la corde, répétant les gestes que Shamir lui avait enseignés maintes fois.

– C'est bon, tu peux y aller, cria-t-elle, en essayant de regarder en contrebas. Mais ramassée sur elle-même, elle ne voyait que ses genoux, ses chaussures et ses crampons.

Shamir escalada les premiers mètres en prenant appui dans les traces de Suzie. À mesure qu'il se hissait, la douleur se ravivait et, à plusieurs reprises, il pensa qu'il n'y arriverait jamais.

« Une étape après l'autre » lui intima une petite voix dans sa tête.

Shamir repéra une cavité à trois mètres au-dessus de sa position. Il se donna quinze minutes pour l'atteindre et se promit qu'à la sortie de cet enfer il irait dire à son père que ses conseils lui avaient sauvé la vie.

Ignorant une autre petite voix – qui lui soufflait que ses efforts étaient vains et qu'il serait plus sage de mettre un terme à ses souffrances en s'endormant au fond de la crevasse –, il tira sur ses bras et s'éleva centimètre par centimètre, seconde après seconde.

Ils mirent trois heures à atteindre la corniche. Lorsque la situation le lui permettait, Suzie regardait Shamir escalader derrière elle, admirant la sobriété de ses gestes qui l'avait tant séduite sur le pic Gray.

Atteindre la vire fut une première victoire, même s'ils savaient tous deux que la partie la plus périlleuse restait à gravir. Assis sur un remblai, ils reprenaient des forces. Shamir balaya de son gant le tapis de poudreuse et en tendit une poignée à Suzie.

– Bois, lui dit-il.

Shamir se désaltéra à son tour et Suzie remarqua que la neige rosissait à la commissure de ses lèvres.

– Tu saignes, murmura-t-elle.

– Je sais, j'ai de plus en plus de mal à respirer. Mais nous avons encore du chemin à faire.

– La lumière ne va pas tarder à disparaître.

– C'est pour ça que je te suppliais de ne pas gaspiller nos piles à fouiller cette épave. Je ne tiendrai pas la nuit entière ici, plus assez de forces, dit-il haletant. Nous passons maintenant ou tu poursuis sans moi.

– Nous passons maintenant, répondit Suzie.

Shamir lui donna une dernière leçon d'alpinisme et Suzie l'écouta avec la plus grande attention.

– Tu allumeras ta frontale par intermittence, pour l'économiser au maximum. Dans l'obscurité, fais confiance à tes mains, elles sont aussi habiles que tes yeux pour reconnaître une bonne prise. Si tu dois t'élancer, assure-toi que l'un de tes pieds est bien ancré. Quand tu auras l'impression d'être vraiment perdue, et seulement dans ce cas, rallume ta lampe, et mémorise aussitôt ce que tu vois avant de l'éteindre.

Suzie se répéta les instructions de Shamir avant de prendre son piolet.

– Ne traînons pas, profitons du peu de jour qui reste, supplia Shamir.

Suzie se redressa et se positionna à demi accroupie sur la corniche. Elle s'étira lentement avant d'aller planter son piolet dans la paroi verticale. Premier assaut... puis elle grimpa cinq mètres d'une traite, fit une courte pause et continua ainsi.

La cheminée était encore assez large, le goulot se rapprochait, mais il se situait toujours à bonne distance. Vingt mètres la séparaient de Shamir. Elle planta un nouveau piton, répéta les gestes nécessaires pour assurer la corde et, une fois stabilisée, fit basculer son corps en arrière, dans l'espoir de pouvoir tendre la main à son compagnon au cours de son ascension.

Shamir n'avait rien perdu de la manœuvre de Suzie. Il se redressa sur la corniche, inséra les crampons de ses chaussures dans ses traces, poussa sur ses jambes et s'élança à son tour.

Il grimpa sans relâche. Suzie l'encourageait. Lorsqu'il dut s'arrêter pour chercher l'air qui lui manquait, Suzie énuméra ce qu'ils feraient ensemble quand ils seraient rentrés à Baltimore. Mais il ne l'écoutait pas, réservant toute sa concentration aux gestes qu'il devait accomplir. Et ses efforts payaient. Bientôt, il sentit la main de Suzie lui caresser le haut du crâne. Il leva les yeux et vit qu'elle se tenait la tête en bas, le regard posé sur lui.

– Tu devrais t'assurer mieux que ça au lieu de faire l'imbécile, jura-t-il.

– On va y arriver. Nous avons fait les deux tiers et regarde, on y voit encore.

– C'est qu'il doit faire beau dehors, souffla Shamir.