— Et toi ? Pourquoi une fille aussi futée que toi fait-elle ce job ? C’est bien payé au moins ?
— Pas vraiment. Mais j’aime l’ambiance, c’est comme un boulot d’été, et ça me permet de voyager.
Voyager, c’est exactement ce que j’ai fait le lendemain, sur les contreforts des Pyrénées, suant comme une bête dans les côtes et dévalant les descentes à plus de soixante kilomètres à l’heure. Dans un virage, je suis certain d’avoir dépassé le soixante-dix. Je crois que j’ai crié de peur. Si les mecs de l’unité étaient là, ils seraient morts de rire. Étrangement, la course m’occupe de plus en plus. J’ai encore gagné quatre places au classement mais ce qui me fait tenir, c’est Sarah. On se croise tous les jours à la soirée et ensuite, on va boire un verre. On parle de notre enfance, de la vie. En fait, je n’ai jamais fait ça avec personne. Elle se fout de moi. Une fois, j’ai failli lui dire pourquoi j’étais là, mais un réflexe professionnel m’en a empêché.
Les mecs de la police des œuvres d’art sont bredouilles, et je ne remarque rien de spécial. On s’est fait une réunion et pour la première fois, on envisage l’idée que l’échange ait pu déjà avoir lieu ou que, cette fois-ci, le voleur du collier ait utilisé une autre méthode.
On est à une semaine de l’arrivée sur les Champs-Élysées, et il est temps de tirer les premiers bilans. Cinq arrestations, mais jamais la bonne cible. J’ai signalé neuf personnes mais, si toutes avaient effectivement des choses à cacher, aucune n’était là pour vendre ou acheter notre collier. À titre personnel, je tire un autre genre de bilan, beaucoup plus positif : Papy serait fier de moi, j’ai fait le Tour de France. Je suis vacciné du vélo et j’ai rencontré Sarah.
Elle aussi est différente. Elle n’a rien à voir avec ces bimbos qui tournent autour des sportifs. D’abord, je suis certain que ce sont ses vrais seins, et puis elle s’intéresse à tout. On se voit de plus en plus. Chaque soir, je me dis qu’il nous reste un jour de moins à passer ensemble sur le Tour. Je vais beaucoup regretter le peu que nous partageons. Elle est là tous les matins pour me souhaiter bonne chance, on se croise le midi, j’assiste à la remise du maillot tous les soirs, et même s’il n’y a plus de peluche offerte, j’ai l’impression que c’est à moi qu’elle le donne. On a pris l’habitude d’aller boire un pot. Je crois qu’elle ne voit personne d’autre. On s’embrasse toujours sur la joue et il n’y a que le capitaine de l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels pour m’attendre à la sortie de ma douche.
Paris. J’ai fini 147e au classement général. On me remet un diplôme et une médaille de participant. Celles des militaires sont plus classes. C’est la fin du Tour, la fin de l’enquête, et notre dernier dîner. Les gars de la police ont été sympas, ceux de l’équipe de course aussi. J’ai le droit de garder mon vélo. Je ne sais pas où est le collier mais, honnêtement, Louis XIV et sa poule ne sont pas ce qui m’accable le plus. C’est mon dernier soir avec Sarah. Elle est arrivée à l’heure, et elle est magnifique. Le restaurant est un peu trop chic pour moi. Je voudrais lui parler. Je pourrais le faire en morse, en trois langues, mais je vais avoir du mal à lui avouer simplement ce que je ressens.
— Qu’est-ce que tu vas faire ? me demande-t-elle.
— Retourner à mes habitudes.
On parle un bon moment de choses anodines. J’ai envie de lui demander son adresse, pour la revoir. J’ose la regarder.
— Tu sais, Sarah, je dois te dire quelque chose…
Elle pose sa main sur la mienne.
— Je sais déjà.
Elle met son doigt sur mes lèvres pour m’obliger à me taire. La dernière fois qu’on m’a fait taire, c’était un exercice, et les mecs étaient trois à me bâillonner en essayant de me faire boire la tasse dans une flaque de gadoue. J’avais réussi à leur résister. Là, je capitule. Elle va me dire que notre petite relation très chaste était une parenthèse, qu’aller plus loin serait stupide… Elle sourit et retire sa main :
— Je sais qui tu es et pourquoi tu étais sur le Tour. Maintenant, c’est à moi de te confier mon secret… Si tu es celui que je crois, alors je ne risque rien.
— Qu’est-ce que tu…
— Benjamin, j’ai remis le collier à mon acheteur au sixième jour de la course. Si je t’avais connu aussi bien qu’aujourd’hui, je crois que je te l’aurais rendu, mais il est trop tard.
— De quoi parles-tu ?
— Du collier de Louis XIV. Je suis « l’individu » que toi et les flics espériez repérer. Tu m’as sauvée, Benjamin. Tu étais tellement différent des autres coureurs que je t’ai remarqué tout de suite. Il n’a pas été difficile de percer ta couverture…
Elle sort un morceau de papier de son sac.
— Tiens, c’est mon cadeau. Brûle-le quand tu l’auras lu. On me tuerait pour avoir écrit ça.
Je le déplie : une adresse à Anvers, 15 heures, demain.
— Ton collier sera là-bas. Récupère-le. Oublie-moi.
Je crois qu’elle est émue. Je suis sous le choc. Tout va trop vite. Elle se lève, contourne la table et m’embrasse sur la bouche, devant tout le monde. Avant que je puisse réagir, elle est déjà sortie et j’aperçois sa silhouette qui s’engouffre dans un taxi.
Alors voilà, Monsieur le juge, j’ai commis une faute en ne l’arrêtant pas. Je me suis fait berner par son charme et j’ai été incapable de l’identifier. Aujourd’hui, elle est en fuite et je ne sais pas où elle se trouve. Même si le collier a été récupéré à Anvers grâce à elle, vous pouvez me condamner. Vous pouvez briser ma carrière. J’assume. Mais je vous promets que je vais la chercher, la retrouver. Et pas pour l’arrêter.
Gilles Legardinier
Gilles Legardinier s’est toujours attaché à faire naître des émotions qui se partagent. Après avoir travaillé sur les plateaux de cinéma américains et anglais, notamment comme pyrotechnicien, il a réalisé des films publicitaires, des bandes-annonces et des documentaires sur plusieurs blockbusters. Il se consacre aujourd’hui à la communication pour le cinéma pour de grands studios et aux scénarios, ainsi qu’à l’écriture de ses romans. Alternant des genres très variés avec un même talent, il s’est entre autres illustré dans le thriller avec L’Exil des Anges (Prix SNCF du polar 2010) et Nous étions les hommes (2011), et plus récemment dans la comédie, qui lui a valu un succès international avec Demain j’arrête ! (2011), Complètement cramé ! (2012). Son prochain roman Et soudain tout change paraîtra en octobre 2013.