Выбрать главу

Les nuits le terrifiaient…

Elles viennent même quand je ne canalise pas le saidin, désormais. Que la Lumière me brûle ! La Source a été purifiée ! Je ne suis plus censé devenir dingue.

Androl saisit l’assise de son tabouret et la serra jusqu’à ce que la terreur recule, les ombres se retirant en même temps qu’elle.

L’air étonnamment guilleret, Canler annonça soudain qu’il allait leur chercher quelque chose à boire. Il fit mine de partir pour la cuisine, mais il hésita, car personne n’était censé aller et venir seul.

— Je ne cracherais pas non plus sur une infusion, dit Pevara avec un soupir.

Elle se leva et suivit Canler.

Androl se rassit pour continuer à travailler. Se tirant un siège, Emarin s’assit à côté de lui. Avec sa distinction habituelle, il le fit presque nonchalamment, comme s’il cherchait un endroit où se détendre tout en jetant un coup d’œil par la fenêtre.

Mais Emarin n’était pas homme à faire les choses par hasard. Au contraire, il avait toujours une multitude de motivations.

— Tu étais impliqué dans la révolte de Knoks…

— Ai-je jamais dit ça ?

Androl recommença à travailler sur son harnais.

— Oui, tu l’as dit. En parlant des mercenaires, qui sont passés de « notre côté ». « Notre côté », à savoir celui des rebelles.

Androl marqua le coup.

Que la Lumière me brûle ! Il faut que je surveille mes propos…

Si Emarin avait remarqué, Pevara aussi…

— Je traînais dans le coin, et j’ai été entraîné sans vraiment le vouloir.

— Tu as un passé étrange et foisonnant, mon ami… Plus j’en apprends, et plus ça éveille ma curiosité.

— En matière de passé, je ne suis pas le seul à être intéressant, seigneur Algarin de la maison Pendaloan.

Emarin eut un mouvement de recul, les yeux ronds.

— Comment as-tu su ?

— Fanshir a un livre sur les lignées nobles de Tear…

Androl faisait allusion à un Soldat qui était un érudit avant de venir à la tour.

— On y trouve une étrange entrée… Sur une maison dont l’histoire a été troublée par des hommes ayant un problème… indicible. Le dernier en date a couvert cette lignée de honte il y a quelque chose comme douze ans.

— Je vois… Eh bien, je suppose que tu n’es pas étonné que je sois un noble.

— Un noble qui a de l’expérience avec les Aes Sedai, continua Androl, et qui les traite avec respect malgré – ou à cause de – ce qu’elles ont fait pour sa famille. Un noble de Tear, se comporter ainsi, quel prodige ! Un seigneur qui ne se formalise pas de servir sous les ordres de garçons de ferme, et qui sympathise avec des rebelles. Si tu me permets de le dire, mon ami, ce n’est pas une attitude répandue parmi tes pairs et tes compatriotes. Je parie que ton passé est lui aussi des plus intéressants.

Emarin sourit.

— Un point pour toi. Androl, au Grand Jeu, tu serais un champion.

— Ça, je n’en jurerais pas… La dernière fois que je m’en suis mêlé, j’ai failli…

Androl n’alla pas plus loin.

— Je t’écoute !

— Je préfère ne pas en parler…

Androl eut le sentiment d’avoir rougi. Non, il ne s’étendrait pas sur cette époque de sa vie.

Si je me laisse aller, tout le monde croira que je suis un pire affabulateur que Nalaam.

Emarin détourna la tête pour contempler la pluie qui malmenait la fenêtre.

— Si mes souvenirs sont bons, dit-il, le succès de la rébellion de Knoks fut éphémère. En deux ans, la famille noble a repris le pouvoir, les insurgés étant bannis ou exécutés.

— C’est vrai, admit Androl.

— Ici, nous ferons du meilleur travail… Androl, je suis avec toi. Nous le sommes tous. Les hommes d’Androl !

— Non. Les hommes de la Tour Noire ! Je veux bien commander, s’il le faut, mais il n’est pas question de moi, de toi ou de n’importe qui d’autre. C’est une affaire collective. Et je cesserai de diriger le mouvement dès le retour de Logain.

S’il revient un jour… À l’intérieur de la tour, les portails ne fonctionnent pas. Tente-t-il d’entrer mais est-il bloqué dehors ?

— D’accord, capitula Emarin. Alors, que faisons-nous ?

Androl reprit son harnais et ses outils.

— Laisse-moi une heure pour réfléchir…

— Je suis navrée, dit Jesamyn en s’agenouillant à côté de Talmanes. C’est au-delà de mes compétences. Je ne peux rien faire contre cette blessure.

Talmanes hocha la tête et remit en place le pansement. Comme si elle était gelée, la peau, sur son flanc, avait viré au noir.

La femme de la Famille le regarda, le front plissé. Cette blonde semblait très jeune, mais avec le Pouvoir de l’Unique, il fallait toujours se méfier.

— Je m’étonne que tu puisses marcher, seigneur.

— Je doute que ça mérite encore le nom de « marche », marmonna Talmanes.

Il se redressa et clopina en direction de ses hommes. Il tenait encore debout, plus ou moins, mais les vertiges devenaient de plus en plus fréquents.

Guybon discutait ferme avec Dennel, qui désignait sa carte et gesticulait follement. Dans l’air, la fumée était si dense que plusieurs hommes avaient noué un mouchoir sur leur nez.

— … Même les Trollocs évacuent ce quartier, insista Guybon. Trop d’incendies.

— Les Trollocs se replient en direction du mur d’enceinte, et ce dans toute la ville. Leur intention est de laisser Caemlyn brûler jusqu’au matin. Le seul secteur qui n’est pas en feu est celui où se trouve l’issue des Chemins. Pour créer un pare-feu, ils ont démoli tous les bâtiments.

— En utilisant le Pouvoir de l’Unique, dit Jesamyn dans le dos de Talmanes. Je l’ai senti… Des sœurs noires ! Je ne conseillerais pas d’aller dans cette direction.

Jesamyn était la dernière représentante de la Famille, car sa compagne avait péri. Incapable d’ouvrir un portail, elle ne se révélait pas inutile pour autant. De ses yeux, Talmanes l’avait vue carboniser six Trollocs infiltrés derrière leurs lignes.

Cette escarmouche, il avait dû en être seulement témoin, car la douleur le terrassait. Depuis, Jesamyn lui avait donné des herbes à mâcher. Si ça aggravait ses vertiges, ça atténuait la douleur. Il aurait juré que son corps, pris dans un étau géant, se faisait lentement écraser. Mais au moins, il tenait de nouveau sur ses jambes.

— Nous allons prendre le chemin le plus court, dit-il. Le quartier qui ne brûle pas est trop proche des dragons. Je refuse que l’engeance du démon découvre Aludra et ses armes.

Si ce n’est pas déjà fait.

Guybon foudroya Talmanes du regard. Mais c’était l’opération de la Compagnie. Si l’Andorien y était bienvenu, il n’avait pas son mot à dire.

Le groupe de Talmanes continua de s’enfoncer dans la ville truffée de périls. Même en connaissant la position de l’entrepôt d’Aludra – approximativement, en tout cas –, le rallier ne serait pas un jeu d’enfant. Beaucoup de grandes rues étaient bloquées par des débris, le feu… ou l’ennemi. Du coup, il fallait passer par des dédales de ruelles si tortueux que même Guybon, pourtant du cru, avait du mal à s’y repérer.

D’autant plus qu’il fallait éviter les secteurs qui brûlaient au point de faire fondre les pavés. Contemplant les flammes jusqu’à ce que ses yeux se dessèchent, Talmanes entraîna ses hommes dans de nouveaux détours.

Pas vite, certes, ils approchaient de l’entrepôt. Par deux fois, ils tombèrent sur des Trollocs en quête de citadins à tuer. Avec le soutien des arbalétriers, les Bras Rouges firent un massacre.

Talmanes assista de loin au combat, car il ne se sentait plus en état de ferrailler. Sa blessure avait raison de lui. Mais pourquoi avait-il laissé son cheval en arrière ? Une idée idiote, ça. Quoique… Les Trollocs auraient fondu sur l’équidé…