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La statue du barbu souriant avait failli provoquer une émeute à la Tour Blanche. Car toutes les sœurs voulaient lire les milliers de livres qu’elle contenait.

— Tous ces ouvrages semblent avoir été écrits avant que la brèche se forme. Les recherches continueront, mais dans ces documents, tu trouveras tout ce que nous avons rassemblé sur le Ténébreux, sa prison et les sceaux. Si nous les brisons au mauvais moment, j’ai peur que ça provoque la fin de toutes choses. Lis donc ça.

Egwene tendit une feuille à Elayne.

— Le Cycle de Karaethon ? s’étonna la jeune reine. (Elle lut à voix haute.) « Et la Lumière échouera, et l’aube ne viendra pas, et pourtant le prisonnier fulmine. » Le prisonnier, c’est le Ténébreux ?

— Je crois, oui, répondit Egwene. Les prophéties ne sont jamais limpides. Rand veut se jeter tête la première dans l’Ultime Bataille et briser immédiatement les sceaux. Mais c’est une idée terrifiante. Une guerre totale nous attend. Libérer le Ténébreux renforcera le camp adverse et affaiblira le nôtre.

» Si ça doit être fait – et j’ignore encore si c’est le cas – il faudra attendre jusqu’à la dernière minute. Au minimum, nous devons en débattre. Rand a eu raison sur bien des sujets, mais il lui est aussi arrivé de se tromper. Cette décision, il ne faut pas l’autoriser à la prendre seul.

Elayne feuilleta les documents et s’arrêta sur une page.

— « Son sang nous donnera la Lumière… » (Perdue dans ses pensées, elle froissa la feuille avec un pouce.) « Attendre sous la Lumière. » Qui a ajouté cette note ?

— C’est l’exemplaire de Doniella Alievin de la traduction Termendal du Cycle de Karaethon. Doniella l’a surchargé de notes, et depuis, on débat presque autant sur ses remarques que sur les prophéties elles-mêmes. C’était une Rêveuse. La seule Chaire d’Amyrlin dans ce cas. Avant moi.

— Je sais…

— Les sœurs qui ont compilé ces documents en ont tiré la même conclusion que moi. L’heure de briser les sceaux sonnera peut-être, mais quoi qu’en pense Rand, ce ne sera pas au début de l’Ultime Bataille. Il faudra attendre le moment idéal. Étant la Protectrice des Sceaux, il me revient de le choisir. Je ne jouerai pas l’avenir du monde sur un des paris délirants de Rand.

— C’est vrai qu’il a quelque chose d’un trouvère, concéda Elayne, toujours aussi béate. Ton argument est excellent, Egwene. Expose-le-lui et il t’écoutera. Il est intelligent, donc susceptible de changer d’avis.

— Nous verrons. Pour l’heure, je…

Egwene sentit soudain chez Gawyn une ombre d’inquiétude. Tournant la tête, elle vit qu’il regardait derrière lui. Il avait capté des bruits de sabots. Son ouïe n’était pas meilleure que celle d’Egwene, mais remarquer ce genre de chose faisait partie de son travail.

Egwene s’unit à la Source. D’instinct, Elayne l’imita. Main sur son épée, Birgitte avait déjà écarté le rabat de la tente. Dehors, une messagère épuisée venait de sauter de selle.

Les yeux ronds, elle entra sous la tente. Gawyn et Birgitte vinrent la flanquer, au cas où elle aurait de mauvaises intentions.

Mais il n’y avait rien à craindre.

— Majesté, Caemlyn subit une attaque, dit la femme, haletante.

— Quoi ? (Elayne se leva d’un bond.) Comment est-ce possible ? C’est Jarid Sarand ?

— Non, des Trollocs, répondit la messagère. Ça a commencé au crépuscule.

— Impossible ! s’écria Elayne.

Elle prit la messagère par le bras et l’entraîna hors de la tente. Egwene suivit le mouvement.

— Depuis le crépuscule, dit Elayne, six heures se sont écoulées. Pourquoi ne nous a-t-on pas prévenus plus tôt ? Qu’est-il arrivé aux femmes de la Famille ?

— On ne me l’a pas dit, Majesté. Le capitaine Guybon m’a chargée de vous amener à lui le plus vite possible. Il doit venir d’arriver par un portail.

Le site de Voyage n’était pas loin de la tente d’Elayne. Une foule se massait autour, mais elle s’écarta pour laisser passer la Chaire d’Amyrlin et la reine d’Andor.

Des hommes aux vêtements tachés de sang émergeaient du portail avec les nouvelles armes d’Elayne. Les fameux dragons, montés sur des roues. Parmi ces guerriers, beaucoup semblaient sur le point de défaillir. Empestant la fumée, ils avaient les joues noires de suie. Plusieurs s’écroulèrent quand des soldats andoriens entreprirent de tirer les dragons à leur place.

D’autres portails s’ouvrirent au rythme où Serinia Sedai et plusieurs membres de la Famille les généraient. Pour rien au monde Egwene n’aurait voulu parler des « femmes de la Famille d’Elayne », pourtant…

Des réfugiés se déversèrent de ces passages comme l’eau d’un fleuve soudain libéré d’un barrage.

— File ! lança Egwene à Gawyn tout en ouvrant un portail en direction du site de Voyage du camp des Aes Sedai. Rassemble le plus de sœurs que tu peux. Et dis à Bryne de préparer ses soldats. Précise-leur qu’ils devront obéir à Elayne, et, via des portails, envoie-les dans les environs de Caemlyn. Nous devons faire montre de solidarité envers Andor.

Gawyn acquiesça et franchit le portail. Egwene le dissipa puis rejoignit Elayne près des soldats blessés et désorientés. Sumeko, de la Famille, organisait déjà les soins, avec priorité absolue pour les cas les plus graves.

L’air puait la fumée. Alors qu’elle courait vers Elayne, Egwene aperçut une image de Caemlyn à travers un portail. La splendide capitale brûlait !

Un instant sonnée, la jeune dirigeante se reprit très vite et recommença à courir. Elayne s’entretenait avec Guybon, le chef de la Garde Royale, qui semblait à peine capable de tenir debout. Armes et uniformes couverts de sang, il était en piteux état.

— Majesté, dit-il, des Suppôts ont tué deux des quatre femmes qui devaient envoyer des messages. Une autre est tombée pendant les combats. Mais nous avons récupéré les dragons. Après nous être échappés… (Guybon marqua une pause, comme s’il était soudain chagriné.) Après nous être échappés grâce à la brèche, dans le mur d’enceinte, nous avons découvert que plusieurs compagnies de mercenaires contournaient la ville pour rallier la porte où le seigneur Talmanes avait laissé des défenseurs. Par un heureux hasard, ces hommes ont pu nous aider.

— Tu t’en es bien sorti, assura Elayne.

— Mais la ville…

— Bien sorti, répéta la jeune reine. Pour avoir sauvé les dragons et tous ces braves gens, tu seras récompensé, capitaine.

— Gardez les récompenses pour les Bras Rouges, Majesté. Ce sont eux qui ont tout fait. Et s’il est possible de sauver le seigneur Talmanes…

Guybon désigna l’officier inanimé que ses hommes venaient de porter à travers le passage.

Elayne et Egwene s’agenouillèrent près de Talmanes. Au premier coup d’œil, la Chaire d’Amyrlin crut qu’il était mort. Mais malgré sa peau noircie, il prit une inspiration difficile.

Elayne lança une sonde… et soupira.

— Je n’ai jamais vu une chose pareille…

— Une lame de Thakan’dar, expliqua Guybon.

— Ça nous dépasse toutes les deux, dit Egwene en se relevant. Je…

Elle se tut, tendit l’oreille et capta quelque chose malgré les gémissements des blessés et les grincements des roues.

— Qu’y a-t-il ? demanda Elayne.

— Fais ton possible pour le maintenir, dit Egwene.

Elle partit au pas de course, fendant la foule afin de poursuivre la voix qu’elle avait entendue. Était-ce celle de… ? Oui. Là ! À la lisière du site de Voyage, elle avisa un portail dont des Aes Sedai déboulaient pour aller s’occuper des blessés. Gawyn avait bien fait son travail.

Et Nynaeve demandait, à voix très haute, qui commandait dans ce bazar. Egwene approcha, la saisit par le bras et la fit sursauter de surprise.