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— Eh bien, c’est la même chose ici. Les sceaux sont brisés, comme une épée. On ne peut pas se contenter de bricoler. Ça ne fonctionnerait pas. Nous devons les retirer et en mettre de nouveaux à leur place. Nouveaux et meilleurs.

— Rand, c’est la chose la plus sensée que j’aie jamais entendue sur ce sujet. As-tu présenté les choses ainsi à Egwene ?

— Elle n’est pas forgeronne, mon ami…

— Exact, mais elle est intelligente. Plus que chacun de nous. Si tu lui expliques bien, elle comprendra.

— Nous verrons ça demain.

Perrin s’immobilisa, le visage illuminé par le globe de Rand. Son camp, placé près de celui du Dragon Réincarné, abritait une force aussi imposante que les autres armées présentes dans le champ de Merrilor. Rand trouvait incroyable que son ami ait pu rassembler tant de gens, y compris les Capes Blanches.

Selon les agents du Dragon, dans son camp, tout le monde était fidèle à Perrin. Jusqu’aux Matriarches et aux Aes Sedai, remarquablement enclines à faire ce qu’il leur disait.

Aussi sûr que le vent et le ciel existaient, Perrin était devenu un roi. Un souverain différent de Rand, parce qu’il régnait sur son peuple et partageait sa vie. Le Dragon, lui, ne suivait pas un tel chemin.

Perrin pouvait se permettre d’être un homme. Rand devait être plus que ça – pour quelque temps encore, en tout cas. Il lui fallait être un symbole et une force sur laquelle tout le monde pouvait compter.

C’était absolument épuisant. Physiquement, bien sûr, mais beaucoup plus en profondeur que ça. Être ce que les gens voulaient qu’il soit le minait aussi sûrement que l’eau érode une falaise. À la fin, c’était toujours le fleuve ou la mer qui gagnait.

— Dans cette affaire, je te soutiens, dit Perrin. Mais promets-moi une chose : ça ne tournera pas au massacre ! Je refuse de combattre Elayne. Et affronter les Aes Sedai serait encore pire. Nous ne pouvons pas nous permettre ça !

— Il n’y aura pas de massacre…

— Jure-le ! insista Perrin, le visage soudain si dur qu’on aurait pu casser des pierres avec. Jure-le, Rand !

— Je le jure, mon ami. Je nous conduirai jusqu’à l’Ultime Bataille dans l’unité.

— Alors, je te suivrai…

Perrin entra dans son camp et salua les deux sentinelles. Des gars de Deux-Rivières, Reed Soalen et Kert Wagoner. Ils rendirent son salut à Perrin, étudièrent Rand et s’inclinèrent, pas très à l’aise.

Reed et Kert. Rand les avait connus dans sa jeunesse. Enfant, il devait lever les yeux pour les regarder. Mais il ne s’étonnait plus que des gens jadis proches de lui le considèrent comme un étranger. Sur ses épaules, le manteau du Dragon Réincarné ressemblait de plus en plus à un carcan.

— Seigneur Dragon, dit Kert. Sommes-nous… ? Je veux dire…

L’homme regarda le ciel où les nuages, malgré la présence de Rand, semblaient de plus en plus noirs.

— Ça paraît mal parti, non ?

— Les tempêtes sont souvent menaçantes, Kert, mais Deux-Rivières a toujours survécu. Et il en ira de même à présent.

— Mais… (Kert hésita.) C’est très menaçant. Que la Lumière me brûle, mais ça l’est !

— Les choses seront comme le décidera la Roue, fit Rand avec un coup d’œil pour le nord. Allez en paix, Kert et Reed. Les Prophéties se sont presque toutes réalisées. Ce jour était prévu, et nos épreuves sont connues. Nous ne les affronterons pas à l’aveuglette.

Bien que Rand ne leur ait pas promis la victoire, ni même qu’ils survivraient, les deux hommes se redressèrent et sourirent. Les gens aimaient connaître l’existence d’un plan. Leur faire savoir que quelqu’un était aux commandes, voilà sans doute le plus grand réconfort que Rand pouvait leur apporter.

— Bon, les gars, dit Perrin, vous avez assez ennuyé le seigneur Dragon avec vos questions. À présent, tenez votre poste. Sans roupiller, Kert, et sans jouer aux dés.

Les deux gardes saluèrent de nouveau quand Rand et Perrin reprirent leur chemin. Dans ce camp, semblait-il, il faisait bon vivre, contrairement aux autres. Les feux paraissaient plus vifs et les rires plus spontanés. À croire que les gars de Deux-Rivières étaient parvenus à emporter un peu du pays avec eux.

— Tu les commandes bien, dit Rand tandis que Perrin saluait de la tête les hommes qui allaient et venaient encore.

— Ils ne devraient pas avoir besoin que je leur dise que faire, je n’en démordrai pas.

Pourtant, quand un messager déboula dans le camp, Perrin retrouva ses réflexes de chef. Appelant le jeune type par son nom, il l’entraîna à l’écart pour lui parler en tête à tête. Visiblement, la présence du Dragon paralysait ce gamin.

La conversation terminée, Perrin chargea le messager de trouver dame Faile. Puis il rejoignit le Dragon.

— J’ai encore besoin de parler à Rand.

— Eh bien, c’est facile…

— Non, parce que j’ai besoin du véritable Rand. Pas de l’homme qui s’exprime comme une Aes Sedai.

Rand soupira.

— Cet homme, c’est moi, Perrin ! Je n’ai jamais été autant moi-même qu’en ce jour.

— Peut-être, mais je n’aime pas m’adresser à toi quand tes émotions sont invisibles.

Un groupe de soldats passa et salua les deux amis.

Rand eut un pincement de cœur en songeant qu’il ne serait plus jamais comme ces types. Condamné à la solitude, il en souffrait plus que d’habitude en présence de gens de chez lui. Pourtant, il se força à être plus détendu, histoire de rassurer Perrin.

— Alors, que t’a-t-il dit, ce messager ?

— Tu avais raison d’être inquiet. Rand, Caemlyn est tombée. Les Trollocs grouillent dans les rues.

Rand sentit ses traits se durcir.

— Tu ne sembles pas surpris, constata Perrin. Inquiet, mais pas étonné.

— C’est exact, admit le Dragon. Je pensais qu’ils attaqueraient au sud, d’autant plus qu’on y signalait la présence de Trollocs. De plus, je suis presque sûr que Demandred est dans le coup. Sans armée, il ne s’est jamais senti à l’aise. Mais Caemlyn… Oui, c’est un bon choix. Je t’ai dit qu’ils tenteraient de faire diversion. S’ils envahissent Andor et incitent Elayne à y retourner, mon alliance deviendra bien plus vulnérable.

Perrin regarda en direction du camp d’Elayne, proche de celui d’Egwene.

— Si elle partait, ne serait-ce pas bon pour toi ? Dans cette affaire, elle soutient l’autre camp.

— Perrin, il n’y a pas d’autre camp. Nous n’en formons qu’un, avec un désaccord sur la façon de procéder. Si Elayne ne participe pas à la réunion, ça ruinera mon plan. De tous les dirigeants, elle est la plus puissante.

À travers le lien, Rand sentait bien entendu la jeune femme. Ce qu’il captait d’elle lui apprit qu’elle connaissait la nouvelle. Devait-il aller la voir ? Ou lui envoyer Min ? Réveillée, elle s’éloignait de la tente où il l’avait laissée. Et…

Rand sursauta. Aviendha… Elle était ici, au champ de Merrilor. Mais son arrivée était très récente.

Alors que Perrin le dévisageait, Rand ne fit aucun effort pour dissimuler son trouble.

— Nous ne pouvons pas laisser partir Elayne, dit-il.

— Même pour protéger son pays ? demanda Perrin, stupéfié.

— Si les Trollocs ont déjà conquis Caemlyn, il est trop tard pour qu’elle puisse agir. Ses troupes devront se concentrer sur l’évacuation des Andoriens. Pour ça, pas besoin qu’elle soit là-bas. En revanche, il faut qu’elle soit ici demain matin.

Comment garantir que ce serait le cas ? Comme toutes les femmes, Elayne regimbait quand on lui disait que faire. Mais s’il s’y prenait bien…

— Rand, dit Perrin, et si on envoyait les Asha’man ? Tous en même temps. On pourrait reprendre Caemlyn.