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Isam eut envie de crier au gamin de ficher le camp. Qu’il coure donc, au risque de traverser la Flétrissure ! Ou de crever dans l’estomac d’un ver géant. Tout valait mieux que vivre dans cette maudite Ville et subir ce qu’elle vous infligeait.

File ! Dégage ! Crève !

L’incident ne dura pas, car le gamin battit en retraite dans les ombres. Isam avait été comme lui, il s’en souvenait très bien. Et à l’époque, il avait appris tant de choses. Par exemple, comment trouver de la nourriture assez fiable pour ne pas devoir la vomir après avoir découvert ce qu’il y avait dedans. Ou comment se battre à l’arme blanche. Ou comment éviter d’être vu et remarqué…

Sans oublier l’essentiel : comment tuer un homme. Pour survivre longtemps dans la Ville, c’était la première compétence à acquérir.

L’Élue regardait toujours la boisson noire. Elle contemplait son reflet, comprit soudain Isam. Qu’y voyait-elle donc ?

— J’aurai besoin d’aide, dit Isam. Le Dragon Réincarné est entouré de gardes, et il s’aventure rarement dans le rêve.

— Tu auras toute l’assistance requise. Mais tu devras le trouver, chasseur. Finis, ces jeux idiots censés l’attirer à toi ! Lews Therin sentirait aussitôt le piège. De plus, le Dragon ne déviera plus de son objectif, désormais. Le temps presse.

L’Élue évoqua le ratage désastreux, à Deux-Rivières. À l’époque, c’était Luc qui avait pris les choses en main. Isam, que savait-il des vraies villes et des gens réels ? Pour un peu, il s’en serait langui, mais en réalité, ce devaient être les émotions de Luc. Isam, lui, n’était qu’un chasseur. À part pour apprendre où loger leur flèche afin de percer le cœur d’une proie, les gens ne s’intéressaient pas à lui.

Cette affaire à Deux-Rivières, cela dit, puait plus qu’une carcasse laissée à pourrir. À ce jour, Isam ne pouvait toujours pas se prononcer. L’objectif était-il vraiment d’appâter al’Thor ? Ou n’était-ce pas plutôt un moyen de garder Isam loin des événements importants ? Parce qu’il savait faire quelque chose qui restait hors de leur portée, Isam fascinait les Élus. Bien sûr, ils pouvaient imiter sa façon d’entrer dans le rêve, mais pour ça, il leur fallait canaliser le Pouvoir, ouvrir un portail, gaspiller du temps…

Isam en avait assez de n’être qu’un pion dans leur jeu. Tout ce qu’il voulait, c’était chasser sans qu’on change sa proie chaque semaine.

Aux Élus, nul n’aurait osé faire de telles remarques. Du coup, Isam garda ses objections pour lui.

Des ombres envahirent l’entrée de l’auberge et la servante disparut au fond de la salle. Désormais, l’établissement était vide, à l’exception d’Isam et de l’Élue.

— Tu peux te lever, dit la femme.

Isam se hâta de le faire alors que deux hommes entraient dans la salle. Grands, musclés et voilés de rouge. En tenue ocre, comme les Aiels, ils ne portaient ni lances ni arc. Ces créatures tuaient avec des armes beaucoup plus mortelles.

Même s’il restait impassible, Isam éprouva une kyrielle d’émotions. Une enfance sous le signe de la souffrance, de la faim et de la mort… Et une vie entière à éviter le regard d’hommes comme ces deux-là…

Alors qu’ils avançaient vers la table avec la grâce des grands prédateurs, Isam eut du mal à s’empêcher de trembler.

Les deux hommes baissèrent leur voile et révélèrent leur bouche.

Que je sois maudit !

Leurs dents étaient taillées en pointe.

Ces deux-là avaient été Changés. C’était visible dans leurs yeux, qui ne semblaient plus normaux – en tout cas, plus humains.

Isam faillit se ruer dans le rêve. Deux adversaires pareils, il ne parviendrait pas à les tuer. Avant d’en avoir maîtrisé un, il serait déjà réduit en cendres.

Les Samma N’Sei, il les avait vus à l’œuvre. Souvent, ils tuaient simplement pour explorer une nouvelle façon d’utiliser leurs pouvoirs.

Ils n’attaquaient pas… Savaient-ils que la femme était une Élue ? Dans ce cas, pourquoi avoir baissé leur voile ? Ils ne le faisaient jamais, sauf pour tuer. Et seulement pour les meurtres qu’ils attendaient avec impatience…

— Ils t’accompagneront, dit l’Élue. Tu auras aussi quelques Sans Talent pour se charger des protecteurs d’al’Thor.

Elle se tourna vers Isam et, pour la première fois, croisa son regard. Elle semblait… révulsée. Comme si avoir besoin de l’aide du chasseur l’indignait.

« Ils t’accompagneront », avait-elle dit. Pas : « Ils te serviront. »

Pauvre fils d’une fichue chienne ! Cette mission serait un calvaire…

En se jetant sur le côté, Talmanes évita de justesse la hache d’un Trolloc. Quand le tranchant s’abattit sur le sol pavé, la terre trembla.

Se penchant, Talmanes enfonça sa lame dans la cuisse du monstre. Dotée de naseaux de taureau, la créature inclina la tête en arrière et beugla de douleur.

— Que la Lumière me brûle ! lâcha Talmanes. Mon cochon, tu as une haleine de vieux chien !

Il dégagea son épée et recula. Le monstre tomba sur un genou et l’officier en profita pour hacher menu la main qui tenait son arme.

Haletant, il recula alors que ses deux compagnons plantaient leur lance dans le dos du Trolloc. Contre ces abominations, il ne fallait jamais combattre seul. Bien entendu, c’était vrai face à n’importe quels adversaires, mais plus encore avec ceux-là, à cause de leur taille et de leur force.

À la lueur de la lune, des cadavres gisaient en tas un peu partout. Pour avoir de la lumière, Talmanes avait dû faire incendier les postes de guet, près des portes de la ville. Les quelques gardes encore présents étaient provisoirement intégrés à la Compagnie.

Comme une marée noire, les Trollocs battaient en retraite. En poussant jusqu’aux portes, ils avaient surestimé leurs forces. Enfin, en étant poussés… Avec eux, il y avait un Blafard…

Talmanes posa une main sur sa hanche blessée et sentit l’humidité du sang. Les postes de guet finissaient de se consumer. Si ça continuait, il devrait ordonner qu’on mette le feu à des boutiques. Au risque que l’incendie se propage, hélas. Tant pis. De toute façon, la ville était perdue. Tenter de la tenir n’avait plus aucun sens.

— Brynt ! cria Talmanes. Flanque-moi le feu à cette écurie !

Alors que Brynt s’exécutait, une torche au poing, Sandip déboula près de son chef.

— Ils reviendront… Bientôt, probablement.

Talmanes acquiesça. Les combats finis, les citadins sortaient des allées et des coins sombres, filant vers les portes et leur promesse de sécurité.

— On ne peut pas rester ici pour tenir cette issue, dit Sandip. Les dragons…

— Je sais. Combien de tués avons-nous ?

— Je n’ai pas encore le compte… Une centaine, au moins.

Lumière ! Quand il apprendra ça, Mat me fera écorcher vif !

Matrim Cauthon détestait perdre des soldats. Chez lui, il y avait une douceur au moins égale à son génie. Un mélange étrange, mais… hautement inspirant.

— Charge des éclaireurs de surveiller toutes les routes d’où peuvent débouler des Créatures des Ténèbres. Avec les charognes des Trollocs, fais ériger des barricades. La chair morte est aussi efficace que le reste. Soldat, toi, là !

Un des hommes sursauta. Pour l’heure, il portait les couleurs de la reine.

— Seigneur ? demanda-t-il.

— Il faut que les gens apprennent que cette porte est sécurisée. Ces bouseux sauraient-ils distinguer une sonnerie de cor d’une autre ? Quelque chose qui les inciterait à venir ici…

— Bouseux…, répéta le garde, qui semblait ne pas apprécier ce mot.