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Prendre l’accent illianien n’avait pas été facile, loin de là, mais sa façon de parler typique du Seanchan était dangereuse, ils étaient tombés d’accord là-dessus. Surtout quand on voyageait au milieu d’Aes Sedai. Selon Bayle, aucun Illianien digne de ce nom ne l’aurait prise pour une compatriote, mais elle était assez bonne pour abuser un étranger.

Leilwin se sentit soulagée à mesure qu’ils s’éloignaient du camp des Aes Sedai. Avoir deux amies parmi ces femmes – oui, elles étaient amies, malgré leurs désaccords – ne lui donnait pas pour autant envie de traîner au milieu d’une horde de sœurs.

Le Champion guida les deux époux jusqu’au centre du champ de Merrilor. Sur un grand terrain, une multitude de petites tentes composaient un immense camp.

— Des Aiels, souffla Bayle à sa femme. Il doit y en avoir des dizaines de milliers.

Intéressant, ça. Des récits terrifiants circulaient sur les guerriers du désert. Des légendes qui ne pouvaient pas être toutes vraies. Cela dit, si exagérées qu’elles fussent, ces histoires laissaient penser que les Aiels étaient les meilleurs combattants de ce côté de l’océan. Dans d’autres circonstances, Leilwin se serait bien entraînée avec un ou deux de ces braves.

À cette idée, elle tapota un côté de son sac. Celui où elle avait rangé son gourdin, dans une poche spéciale très facile à atteindre.

En passant devant certains de ces guerriers, apparemment très détendus autour de leurs feux de camp, Leilwin constata que les récits ne mentaient pas sur un point : les Aiels étaient très grands ! Et leurs yeux semblaient encore plus vifs que ceux des Champions… Des gens dangereux, prêts à tuer même quand ils se reposaient le soir.

Dans le ciel noir, on ne pouvait pas distinguer les étendards qui flottaient au-dessus de ce camp.

— Champion, quel roi ou quelle reine dirige ce peuple ? demanda Leilwin.

L’homme se retourna, visage noyé dans la pénombre.

— Ton roi, Illianienne !

Près de Leilwin, Bayle se raidit.

Mon roi ?

Oui, le Dragon Réincarné !

Leilwin fut très fière de ne pas s’être emmêlée les pinceaux en marchant. Mais ça n’était pas passé loin… Un homme capable de canaliser. C’était bien pire que les Aes Sedai ! Cent fois pire !

Le Champion conduisit les deux époux devant une tente, au centre du camp.

— Vous avez de la chance, elle n’a pas encore éteint la lumière.

En l’absence de gardes, l’homme demanda à entrer et y fut invité. Écartant le rabat, il fit signe à Leilwin et à Bayle d’avancer. Mais sa main libre reposait sur la poignée de son épée, et il semblait prêt à en découdre.

Leilwin détestait l’idée d’avoir dans son dos la lame de cet homme, mais elle entra quand même sous la tente éclairée par un globe lumineux. En robe verte, une femme très familière, assise à son bureau, rédigeait une lettre.

Nynaeve al’Meara était ce qu’on aurait appelé une telarti dans l’Empire du Seanchan. Une femme avec du feu en guise d’âme. Durant son séjour de ce côté de l’océan, Leilwin avait appris qu’une Aes Sedai, en principe, était aussi calme qu’une mer étale. Nynaeve pouvait apparaître ainsi à l’occasion, mais il ne fallait pas s’y tromper. Ces eaux paisibles là, on les trouvait en aval des cascades les plus tumultueuses.

Nynaeve continua d’écrire sans relever la tête. Apparemment, elle n’arborait plus de natte, ses cheveux tombant sur ses épaules. Une vision aussi perturbante que celle d’un navire sans mât de misaine.

— Je serai à toi dans un moment, Sleete, dit-elle. Pour tout te dire, la façon dont les Champions me couvent, ces derniers temps, me fait penser à une poule qui a perdu un œuf. Ton Aes Sedai n’a pas de travail à te confier ?

— Nynaeve Sedai, Lan est important aux yeux de beaucoup d’entre nous, répondit le Champion.

Sleete, donc…

— Et à mes yeux, tu penses qu’il ne compte pas ? Sincèrement, je me demande si on ne devrait pas vous envoyer couper du bois ou un truc dans ce genre. Si un Champion de plus vient s’enquérir de mes besoins…

Levant les yeux, Nynaeve vit enfin Leilwin. Aussitôt, elle afficha son masque d’Aes Sedai. Impassible et glacial.

Leilwin sentit de la sueur perler à son front. Cette femme tenait sa vie entre ses mains. Pourquoi Sleete ne l’avait-il pas plutôt conduite chez Elayne ? Au fond, elle n’aurait peut-être pas dû mentionner Nynaeve…

— Ces deux-là veulent te parler, dit le Champion.

Son épée, il l’avait dégainée. Leilwin ne s’en était pas aperçue, mais Bayle marmonnait entre ses dents.

— Selon eux, tu leur dois de l’argent, et ils viennent réclamer leur dû. À la tour, ils ne se sont pas fait connaître, mais ils ont trouvé un moyen de se faufiler dans un portail. L’homme est illianien. La femme vient d’ailleurs, car elle contrefait son accent.

Eh bien, Leilwin n’était peut-être pas aussi bonne qu’elle l’avait cru. Du coin de l’œil, elle lorgna l’épée. Si elle faisait un roulé-boulé latéral, Sleete visant sa gorge ou son cœur, le coup la manquerait peut-être. Alors, elle sortirait son gourdin et…

Non, elle était face à une Aes Sedai. Donc, elle ne se relèverait jamais de son acrobatie. Le Pouvoir de l’Unique l’en empêcherait, en attendant pire…

— Je les connais, Sleete, dit Nynaeve, très calme. Tu as bien fait de me les amener. Merci.

Son arme rengainée en un éclair, le Champion sortit, aussi discret qu’un murmure.

— Si tu viens implorer mon pardon, dit Nynaeve, tu te trompes d’interlocutrice. J’ai bien envie de te confier aux Champions, pour qu’ils t’interrogent. De ton esprit tordu et pervers, ils tireront peut-être de précieuses informations sur ton peuple.

— Je suis également contente de te revoir, Nynaeve, dit Leilwin sans se laisser démonter.

— Bon, qu’est-il arrivé ? demanda l’Aes Sedai.

De quoi parlait-elle ? s’interrogea Leilwin.

— J’ai essayé, dit soudain Bayle, contrit. Je les ai combattus, mais ils m’ont vaincu sans mal. Ils auraient pu incendier mon bateau, nous noyer tous et tuer mes hommes.

— Illianien, j’aurais préféré que vous mouriez, lâcha Nynaeve. Le ter’angreal a fini entre les mains d’une Rejetée. Semirhage se cachait parmi les Seanchaniens, faisant mine d’être une espèce de juge. Une Voix de la Vérité ? C’est bien ce nom ?

— Oui, souffla Leilwin. (Elle comprenait, à présent.) Je regrette d’avoir violé mon serment, mais…

— Tu regrettes, Egeanin ? dit Nynaeve. (Elle se leva, sa chaise basculant en arrière.) « Regret » me semble un mot bien faible, quand on a mis en danger le monde, poussé ses habitants au bord d’un gouffre d’obscurité et flanqué un coup de pied pour qu’ils y tombent. Femme, Semirhage a fait fabriquer des copies de cet artefact. Et l’une d’elles s’est retrouvée autour du cou du Dragon Réincarné. Tu imagines ? Le Dragon contrôlé par une Rejetée ?

Nynaeve leva les bras au ciel.

— Lumière ! Par ta faute, nous sommes passés à un souffle de la fin. La fin de tout ! Plus de Trame, plus de monde – plus rien. À cause de ton imprudence, des millions de vies auraient pu être anéanties.

— Je…

Soudain, le fiasco de Leilwin lui parut monumental. Sa vie, perdue. Son nom, perdu. Son navire, arraché à son commandement par la Fille des Neuf Lunes en personne. Tout ça, ce n’était rien face à ce que disait Nynaeve.

— Je me suis battu, insista Bayle. J’ai donné tout ce que j’avais !

— J’aurais dû me joindre à toi, semble-t-il, fit Leilwin.

— J’ai essayé d’expliquer ça, marmonna Bayle. Que la Lumière me brûle, j’ai essayé, il fut un temps !