— Pas de ça, Lisette… a fait « les-grosses-bacchantes » sans s’émouvoir.
Il me semblait que la comédie devait être marrante pour les spectateurs et cependant personne ne riait ! Ils avaient tous des mines graves et attentives qui m’ont donné à réfléchir. J’ai été un instant dérouté, et puis j’ai eu un petit gloussement d’allégresse car je venais de piger : ils n’avaient pu mettre la main sur le pognon. C’était pour ça qu’ils venaient jouer Crime et Châtiment à mon chevet… S’ils avaient eu le fric, ils m’auraient collé une bastos dans la mansarde et se seraient dégrouillés de creuser un trou assez vaste pour ma carcasse… A moins que Moustaches n’ait ramené ma peau à la maison Poulet, histoire de se faire porter en triomphe pour avoir démoli l’ennemi public number one !
— Où est l’argent ? a questionné Meyerfeld qui m’avait l’air d’être un type précis, peu soucieux de faire des affaires sur un accompagnement musical.
— Comment ! me suis-je exclamé, vous ne l’avez pas trouvé ?
— Non…
J’ai pris l’air abasourdi.
— Il était planqué dans le coffre de la voiture.
— A d’autres ! Nous avons tout fouillé…
Il avait perdu un peu de son calme et ça m’a fait plaisir.
— Alors, on me l’aura volé…
— Cessons de plaisanter…
— Vous êtes arrivé quand ?
— Voici un quart d’heure…
— Et vous avez eu le temps d’examiner toute la carriole ?
Angelo est intervenu.
— Moi, je l’avais déjà fait, elle ne contient rien… J’ai tout chambardé, il n’y a pas trace de fric…
— Tu veux dire qu’il n’y a plus trace de fric ! Evidemment, si tu l’as mis à gauche avec ton pote, le proprio de la crèche…
Il est devenu blême sous l’accusation et a levé sa péteuse.
— Salaud !
— Arrête ! ai-je crié. C’est trop facile, Angelo, de dessouder ceux qui peuvent parler, tu m’as fait le coup hier avec Paulo.
T’as eu les jetons qu’il se mette à table en se voyant fichu et qu’il te foute dans le bain, alors tu lui as balancé le potage sous prétexte de me défendre…
Meyerfeld est intervenu.
— Vous ne tirerez pas sur cet homme sans mon autorisation, a-t-il grincé.
— Non, mais vous l’avez entendu ! Il me traite d’arnaqueur ! Demandez un peu à Antoine si…
Le flic véreux lui a enlevé la carabine sciée des mains.
— T’es trop nerveux pour faire joujou avec ça, a-t-il dit en guise d’explication…
J’avais mis dans le mille en accusant Angelo parce que je venais de jeter le doute dans les esprits.
— Il ment ! a hurlé Angelo, sentant que l’idée faisait son chemin dans le crâne de ses copains… Il débloque à fond pour essayer de me perdre. J’ai toujours été réglo avec vous… Et pourtant il y a eu de sales moments…
— On trouve un tas de gars réguliers, Angelo, tant que cent et quelques briques ne sont pas en jeu…
Je venais de déplacer un nouveau pion. Je lui chauffais sa dame, à ce dégueulasse, et il suait comme un vieux gorgonzola.
— Alors là, merde, c’est trop fort, s’est-il emporté. Vous savez que je vais me le payer s’il continue.
— Du calme ! a jeté Meyerfeld.
Il s’est placé devant moi, mais hors de ma portée, cependant.
— Vous dites que l’argent était dans le coffre ?
— Naturellement. Vous pensez bien que je ne fuyais pas les mains vides ! Il se trouvait dans une caisse à biscuits, sous une bâche… une bâche verte, toute cradingue !
Si je parlais de bâche, c’était intentionnellement, car effectivement je me souvenais qu’il y en avait une dans le coffre de la Cade. Ce détail n’avait pu échapper à Meyerfeld lorsqu’il était arrivé et, psychologiquement, il donnait du corps à mes affirmations.
Quelque chose, en moi, m’assurait que je tenais le bon bout. Meyerfeld ne me laisserait jamais abattre tant qu’il n’aurait pas récupéré le pèze. Je ne voyais pas bien comment je pourrais me sortir d’une telle impasse, mais croyez-moi si vous voulez, la présence de Merveille, morte de frousse, me fortifiait jusqu’à me communiquer une espèce d’optimisme.
— Faudrait savoir, s’est impatienté le flic.
Le pauvre Angelo roulait des yeux blancs.
— Si tu crois que ça va se passer comme ça, Kaput ! T’as des berlues ! Je vais te la faire cracher la vérité, mon salaud ! Et ça ne va pas traîner…
— Parle pas de vérité, Angelo, ça ne te va pas…
Je me suis tourné vers Meyerfeld.
— Ecoutez-moi et faites magner vos méninges si vous en avez. J’avais remisé l’argent dans le coffre de cette Cadillac. La voiture était remisée dans un box que j’avais loué rue du Sergent-Benoist. Ce garage fermait grâce à un rideau de fer spécial dont il n’existait qu’une clé.
« Donc, personne d’autre que moi n’avait accès au garage. Tout à l’heure, en partant de Paris, je peux vous affirmer, que l’oseille s’y trouvait. Si ce faisan de rital n’est pas un foie blanc, il peut vous dire qu’aussitôt arrivés nous nous sommes pagnotés, la petite et moi…
— C’est vrai, a susurré Merveille.
Cet acquiescement n’avait aucune valeur en soi, mais dit de cette façon candide, il éclatait littéralement dans la chambre.
C’était le moment d’enchaîner sur la vitesse acquise.
— Conclusion, ai-je déclaré, ou bien j’ai laissé le fric à Paname, et votre petit doigt vous chuchote sûrement que non ; ou bien quelqu’un l’a secoué ici avant votre arrivée…
L’argument prenait une telle valeur qu’Angelo lui-même n’a rien trouvé à dire. Moi, je me suis adossé à l’oreiller et j’ai croisé les bras comme le font tous les vainqueurs.
CHAPITRE IX
Il y a eu un bref silence.
— Lève-toi ! a ordonné le flic.
Il ressemblait à un gros chat en colère. Ses yeux proéminents lui sortaient de la tête.
— On va aller à la bagnole, a-t-il déclaré.
Meyerfeld a approuvé d’un bref hochement de tête. Ce dernier paraissait de plus en plus glacé. Tellement glacé même que je le devinais sur le point d’éclater. J’ai sauté du lit et, sous la menace de l’arme que tenait maintenant le gros poulet, j’ai enfilé mon bénard.
— Toi, surveille la donzelle, a-t-il lancé à son acolyte, un gars maigre et blême aux cils farineux.
Nous sommes sortis dans la cour. Il faisait une belle nuit lourde d’étoiles. Angelo fulminait. Il marchait derrière le groupe, surveillé du coin de l’œil par Meyerfeld qui, visiblement, ne l’avait plus en grande sympathie.
Je me demandais un peu comment la situation allait s’orienter, car nous étions engagés dans une voie négative pour tout le monde. En effet, mon sursis reposait sur ma discrétion absolue quant à la planque de l’auber. Angelo ne pouvait révéler la cachette, puisqu’il ne la connaissait pas. Si bien que la seule ressource des autres consistait à nous « travailler », le rital et moi, pour nous faire accoucher dans la douleur d’un secret que ni l’un ni l’autre ne pouvait révéler.
En parvenant aux abords de la bagnole, je me suis rendu compte qu’en effet Angelo avait procédé à des recherches très poussées. La voiture ressemblait à un costume qu’un tailleur a mis à plat pour le rebâtir. La carrosserie avait été découpée à la cisaille, l’entoilage gisait sur le sol, en rouleaux. Les banquettes n’étaient plus qu’un gracieux assemblage de ressorts. Les enjoliveurs des roues avaient été enlevés. Le coffre béait. Bref, visiblement Angelo et son camarade Antoine s’étaient acharnés sur le malheureux véhicule…