— Merci pour elle, ai-je grommelé. Une chouette calèche comme celle-là, si ce n’est pas malheureux ! Ah ! quand tu fais de la mise en scène, Angelo, tu déploies des dons, y a pas !
Il m’a sauté sur le râble et m’a téléphoné une prune à la pointe du menton. J’ai encaissé sans broncher et je lui ai collé un coup de savate japonaise dans le ventre. J’avais mis tout mon cœur dans cette ruade. Il est allé aux quetsches en se massant la prostate.
— Du calme ! a meuglé le flic.
Angelo se relevait, verdâtre, un rictus chargé en incisives au beau mitan de la façade.
— Charogne ! bégayait-il. Ah, charogne !
— Assez ! a crié Meyerfeld.
— Alors, vous croyez cet emmanché ? s’est révolté le rital. Vous pensez que si j’avais sucré le pognon je me serais amusé à bricoler cette auto en vous attendant au lieu de me casser ?
— Et comment ! lui ai-je répondu. Tu sais parfaitement que tu n’aurais pas été loin. L’organisation t’aurait fait la chasse. Tandis qu’en donnant le change t’avais tes chances, surtout si tu me flinguais en cours de discussion…
Meyerfeld a fait le tour de l’auto… Il s’est allongé à terre et a regardé sous le véhicule…
— C’est déjà fait, a murmuré Angelo… Demandez à mon ami Antoine…
L’ami Antoine n’était pas visible… Ça a dû sauter aux quinquets du gros flic.
— A propos, où est-il ?
— Dans sa baraque, a répondu l’Italien, il n’aime pas se mêler de ce qui ne le regarde pas.
— S’il est si discret, a objecté Meyerfeld, comment se fait-il qu’il vous ait aidé à fouiller la voiture ?
— Il m’a aidé parce que ça urgeait…
— Alors, allons lui demander des renseignements.
Nous sommes retournés à la cambuse. M. Antoine jouait les Je-suis-au-dessus-de-tout-ça, près de son poste de télé. Il paraissait plutôt embêté par la tournure des événements. Il avait voulu rendre service à son aminche, — sans doute avec l’espoir de rafler un gros bouquet — et voilà que sa baraque devenait une arène…
C’est Meyerfeld qui l’a attaqué.
— Dites-moi, vous avez assisté Angelo dans son travail sur la voiture ?
— Parfaitement.
Il parlait du coin de la bouche, sans presque ouvrir son clappoir, avec tout juste quelques centimètres de lèvre.
— Vous n’aviez pas peur que Kaput se réveille et vous surprenne ?
Angelo est intervenu.
— Je lui ai fait prendre un petit calmant à Paris chez un camarade à moi qui tient un restaurant.
La carne ! Voilà donc pourquoi il m’avait conduit chez son copain de la rue Lepic ? Ils étaient chouïa, les potes du rital !
Ça m’étonnait aussi, d’avoir aussi vite valdingué dans le cirage. Parce qu’enfin je suis résistant et une nuit blanche ne m’a jamais mis k-o. !
Le flic a écarté Meyerfeld.
— Laissez-moi m’occuper de tout ça, patron, a-t-il décidé. Tous ces gorets nous mènent en barque, je sais comment on doit leur causer…
Il a appelé son collègue qui était demeuré dans la chambre avec Merveille.
— Sidoine ! Boucle la môme dans la chambre et radine… Je vais vous souhaiter votre fête, mes gaillards, nous a-t-il promis.
Cette fois, pas d’erreur, j’avais gagné, car il nous mettait dans le même panier, Angelo, moi et son pote…
— J’ai rien à voir dans vos combines, a affirmé M. Antoine avec un maximum de dignité.
— C’est ce que nous allons contrôler.
L’arrivée du gars Sidoine a fait diversion.
— Tiens la pétoire, a fait le moustachu. Et file-moi une praline au premier qui remue, vu ?
Il s’est avancé vers Antoine dont l’air faux-cul le tentait.
— Alors vous ne savez rien ?
— Rien…
— Y avait pas de caisse à biscuit dans la bagnole, sous la bâche ?
— Non, parole !
Le poulet a libéré un crochet au flanc qui a produit un bruit de sac en papier qu’on fait éclater. Antoine a exhalé un long gémissement et a ouvert toute grande sa gueule pour se voter un supplément d’oxygène.
Mais le flic marron ne lui a pas laissé le temps de revenir de sa douleur. Son gauche partait cette fois, fulgurant, et atterrissait à la pointe du menton. L’autre a basculé. Il s’est mis à quatre pattes, ce qui appelait automatiquement le coup de tatane dans les vestibules. Il y a eu droit. Alors il s’est couché à la renverse et n’a plus bronché, malgré le coup de chaussette à clous dans les côtelettes que lui a généreusement dédicacé son tourmenteur.
Angelo pleurait de rage.
— C’est honteux ! larmoyait-il. Etre régulier comme je le suis et ne pas être cru ! Ah ! misère, si vous me laissez faire, je lui ferai bien avouer où est l’argent, à ce pourri !
— Vraiment ? a demandé Meyerfeld qui était prêt à se vouer à n’importe quel saint.
— Je vous jure, permettez au moins que j’essaie !
L’Américain a jeté un regard au policier, que celui-ci a parfaitement compris.
Il s’est essuyé le front où gouttait de la sueur et a plongé la main dans sa poche. Il en a retiré une paire de menottes qu’il m’a passées aux poignets avec une rapidité et une précision qui lui auraient valu le premier prix dans un concours de matuches.
— Bon, a-t-il murmuré. Régale-toi, Angelo. Seulement, je te préviens : si tu le butes, tu lui tiendras compagnie dans son caveau de famille !
— Vous en faites pas.
Le regard d’Angelo traduisait éloquemment son état d’âme. Comment qu’il m’en voulait, ce fumaraud ! J’allais la sentir passer, je crois bien que je n’avais jamais eu en face de moi un type aussi gonflé de haine.
Il a respiré profondément, puis a posé sa veste à la volée sur la table. Meyerfeld a allumé un cigare. Il semblait ennuyé. Il avait l’habitude de régler ses affaires derrière un bureau et douze téléphones… Le côté pratique du turbin lui échappait jusque-là et il commençait à le découvrir sans grand plaisir.
Il devait singulièrement regretter l’expérience de Calomar qui avait voulu me mettre à l’épreuve au lieu de me faire descendre purement et simplement.
Angelo a brandi sa main. C’était une main fine, manucurée et plutôt petite, comme la plupart des mains d’assassins.
— Tu as une ligne de vie un peu courte, ai-je dit.
Il a avancé sa dextre sur ma figure et ses ongles acérés se sont enfoncés dans ma joue droite, y plantant cinq racines de feu.
— Tu crois, a-t-il grincé, dents serrées.
J’ai essayé de lui remonter mon genou là où ça fait particulièrement mal, mais, échaudé déjà, il se tenait de côté.
Il a eu un geste court et ses cinq ongles m’ont déchiré la face.
Ça m’a fait un mal affreux, comme si on m’avait vaporisé la bouille avec une lampe à souder.
— Je m’étais toujours douté que tu avais des manies de petite fille, ai-je murmuré. Les griffes, tout de suite, comme une gonzesse !
Il n’a rien répondu et s’est contenté de me montrer sa main.
L’extrémité de ses doigts était rouge de mon sang et des copeaux de viande demeuraient sous ses ongles.