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J’ai repassé ma première et tâté l’accélérateur. La bagnole est repartie. Ça semblait tourner rond… L’arrière était défoncé et les vitres avaient fait des petits, mais l’essentiel était de pouvoir rouler.

— Nous l’avons eu, Merveille !

— Et comment !

J’ai regardé dans le rétroviseur mais je n’ai aperçu qu’une masse sombre au milieu de la route. Le matuche avait eu son content de tisane ! Ça lui apprendrait à faire du zèle !

Nous sommes parvenus à l’Isle-Adam… La localité en écrasait et il n’y avait plus que quelques lumières aux fenêtres. J’ai foncé sur la droite, en direction d’Auvers-sur-Oise. Je me sentais vachement fébrile… Ça faisait près d’un quart d’heure que nous étions en cavale et l’alerte devait être donnée à tout va.

On pouvait parier une pipe en sucre que les gendarmes de Pontoise étaient en train de carrer une charrette en travers de la route à cette heure… Et ceux d’ailleurs aussi…

— Qu’est-ce qu’on fait ? a demandé Merveille, comme un écho de ma pensée.

— Il faut que nous trouvions une planque coûte que coûte… D’un instant à l’autre nous sommes appelés à larguer la voiture, ça me ferait mal aux seins d’abandonner les trois pneus…

— Mais où ?

— Attends…

J’ai compris qu’en traçant comme un perdu, je ne pourrais jamais mettre à profit les incidences du chemin. Il fallait étudier ça de près…

Je me suis arrêté soudain…

Là-bas, à moins d’un kilomètre, je voyais fourmiller des lumières sur la route…

— Ce sont eux ! ai-je murmuré, on y va tout chaud tout bouillant !

— Fais marche arrière ! a dit la petite. Il me semble avoir remarqué un sentier sur la gauche, à cent mètres d’ici.

J’ai éteint les phares et je me suis mis à reculer… Elle ne s’était pas trompée : il s’agissait bien d’un sentier. Celui-ci était caillouteux et creusé d’ornières profondes, mais on pouvait tout de même le pratiquer avec une bagnole.

La tire dansait sur ce chemin comme une barque sur la mer en furie… Merveille, qui n’avait pas le volant pour s’y cramponner, ballottait de la portière à mon épaule…

— Ça chahute ! hein ? lui ai-je dit, histoire de la réconforter…

Mais elle n’avait pas besoin de réconfort. C’était une fille terriblement gonflée et il lui en aurait fallu bien davantage pour l’émouvoir…

— Continue ! a-t-elle soupiré. Et surtout n’allume pas les phares car ici nous sommes en terrain découvert. Ils nous apercevraient depuis la route et nous serions cernés…

— T’es malade, je connais mon boulot, non ?

Elle a ri :

— Oui, Kaput, tu le connais…

Le sentier torturé conduisait aux berges de l’Oise. Une fois là, il y avait un ancien chemin de halage bordé de grands arbres et je me suis senti quelque peu rassuré…

Cette voie dans laquelle nous débouchions ne valait guère mieux que le chemin de terre, pourtant on y roulait plus aisément car elle était en ligne droite…

J’ai ralenti. Pour un moment, nous étions à l’abri des flics, mais cette trêve serait de courte durée. Si je continuais d’avancer, je parviendrais dans le bourg d’Auvers, et si j’attendais là, au petit jour on nous signalerait aux autorités…

Comme j’ai toujours été farouchement contre l’immobilisme, j’ai rétrogradé en seconde et continué de rouler. Nous sommes alors parvenus à proximité d’une propriété. J’ai coupé le contact. Si les occupants percevaient un bruit de moteur en ce lieu si peu carrossable et si désert, ils risquaient d’être inquiets et de prévenir les bourdilles…

— Bouge pas, ai-je recommandé. Je vais aller en reconnaissance…

Et je me suis avancé à pas de loup jusqu’à la grille. Il y avait contre celle-ci un panneau de bois attaché avec du fil de fer. Sur le panneau un rectangle de papier était épinglé… Je me suis approché et j’ai à moitié lu, à moitié deviné les mots :

« PROPRIÉTÉ À VENDRE ».

Pas d’erreur possible : c’était le Bon Dieu qui nous avait guidés jusqu’ici.

Un cadenas et une chaîne enserraient les deux barreaux des vantaux. Un cadenas, pour moi, n’a jamais été le symbole de la propriété, il ne m’est jamais apparu non plus comme étant un obstacle.

Je l’ai saisi à pleines mains et il ne m’a pas fallu trois secondes pour en avoir raison… J’ai ôté la chaîne et la partie gauche du portail s’est ouverte toute seule avec une plainte rouillée qui a ressemblé au glapissement d’un animal nocturne.

Je suis entré dans le parc envahi par les ronces et les hautes herbes. C’était vraiment le coin rêvé pour s’y terrer… J’ai ôté la tirette de l’autre partie du portail et ouvert largement celui-ci. Puis je suis revenu à la voiture.

— Je viens de faire une acquisition, ai-je dit à Merveille. Figure-toi que ce paradis terrestre est à vendre. Plusieurs hectares, des arbres centenaires et l’Oise sur l’évier, c’est pas le rêve, dis ? Que nous réussissions seulement à nous planquer ici deux ou trois jours et nous voilà sortis de l’auberge…

Elle a battu des mains, joyeuse comme une petite fille à qui on vient d’offrir un jouet.

— Merveilleux, mon chéri…

Je suis entré doucement dans le parc. J’ai mis mes codes car la végétation était tellement luxuriante que vraiment je ne risquais pas de me signaler à ceux qui faisaient les cons, là-bas, sur la route…

Une allée dite cavalière allait du portail à la vaste maison géométrique, nichée dans cette sylve. L’exubérance de la végétation l’avait rétrécie au point de la transformer en sentier… Les ronces griffaient la carrosserie sur notre passage.

J’ai roulé jusqu’au terre-plein précédant la maison… Puis j’ai coupé les phares et suis redescendu.

— Ne bouge pas, chérie, je vais aller relourder…

Lorsque j’ai eu rajusté le cadenas je me suis retourné et j’ai été satisfait : depuis le chemin de halage on ne pouvait pas voir la maison ni à plus forte raison, la voiture !

J’ai couru jusqu’à la môme. D’un seul coup je me sentais heureux et délivré.

J’ai commencé par embrasser Merveille avant de gravir le court perron. La serrure était ancienne, donc solide, mais peu compliquée. Je suis allé prendre un tournevis dans le coffre à outils de l’auto et il ne m’a pas fallu très longtemps pour ouvrir la porte. J’ai reçu en plein visage une bouffée d’humidité et de moisi. La maison était froide et pourrie. Cela devait faire des dizaines d’années que personne ne l’occupait plus. Sans doute les crues annuelles de l’Oise y étaient-elles pour quelque chose ? Maintenant, de moins en moins, les grandes taules trouvent acquéreur. Les richards préfèrent le genre californien au style tarabiscoté du siècle dernier. J’ai trouvé un commutateur et l’ai actionné, mais, bien entendu en pure perte car depuis belle lurette on avait coupé l’électrac dans la masure. Je n’avais sur moi qu’une boîte d’alloufs. J’en ai gratté une et la flamme fragile m’a permis de découvrir un grand vestibule nu dont le papier partait en longues languettes et dont le plafonnard achevait de peaumer son plâtre. J’ai frotté une seconde allouf, histoire d’inventorier les parages, mais tout était complètement vide et partait en quenouille… La gentilhommière n’avait décidément rien de folichon.

— Alors ? m’a demandé Merveille en me voyant réapparaître.

— Tu sais, ça ne vaut pas le Plaza !

— Peut-être, en tout cas c’est plus tranquille…