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J’imaginais la nuit de mon crime. Je me voyais, dans l’ombre, guettant Baumann à travers les vitres embuées d’une brasserie. M’effaçant lorsqu’il sortait, le suivant, attendant l’endroit propice… Et…

Je ne pouvais pas le supprimer d’un coup de pétard, c’était trop risqué. L’étrangler ne me disait rien car je le soupçonnais d’être plus costaud que mézigue. Alors, y avait pas à se tortiller la matière grise : le surin, comme les rôdeurs de palissades.

Ça non plus, ça ne me plaisait guère. Pourtant je voyais pas de meilleur système, à moins de lui écraser la bouille d’un coup de tuyau de plomb.

Mais on n’est jamais certain de taper au bon endroit et, au cas où il faudrait faire fissa, je pouvais ne pas terminer le turbin.

— Il y va quand, à Rouen ?

— Mardi prochain…

Ça me laissait six jours pour me décider et tout mettre au point. Emma a fait glisser la jambe de son pyjama, puis elle s’est couchée sur moi et a pris ma bouche dans ses dents. Sa chaleur, son odeur me firent oublier tous nos sinistres projets.

CHAPITRE VIII

Baumann et Robbie sont rentrés le lendemain. Je ne sais pas s’ils ont fait gaffe à ma gueule ravagée, en tout cas j’avais l’impression qu’on lisait sur ma frime mes ébats de ces dernières heures.

Ça m’a fait un drôle d’effet de revoir Baumann. Je ne le biglais plus avec les mêmes châsses. Mon optique, comme on dit, s’était déplacée. Maintenant, c’était plus le zig mystérieux qui m’avait sauvé la mise et qui me tenait dans ses paluchettes, mais le pauvre tordu que j’allais dessouder très prochainement. J’en avais des frémissements dans les avant-bras. Il me faisait un peu pitié, comme vous font pitié les paumés, les pas de chance…

Je renouchais son cou et je me disais qu’avant longtemps je planterais une lame bien aiguisée dedans…

Je n’avais pas peur. J’étais trop jalmince pour reculer. La pensée que ce type se pieutait à côté d’Emma me foutait dans une rogne glacée. C’était bath qu’il calanche, et surtout que ce soit moi qui l’envoie au pays du noir intégral.

Quelques jours ont passé. Emma avait repris ses lectures. Je soignais le vieux, Robbie cuisinait, Baumann partait le matin et revenait le soir… La grande baraque dégageait la même quiétude et l’été nous servait une forte dose de mahomed, de quoi faire bronzer un cachet d’aspirine. Emma était dorée comme du miel. Je la voyais bien dans son élément, en Amérique du Sud. Si tout gazait aux pommes on allait se la couler douce, là-bas…

Seulement, auparavant, j’avais un sacré turbin à accomplir.

On restait seuls, très peu de temps, Emma et moi. Juste la demi-heure que Robbie prenait pour faire les courses. J’essayais de la prendre, mais elle refusait.

— Non, mon chéri, pas comme cela, à la sauvette, ça n’est pas digne de nous.

Alors on causait. Et vous devinez de quoi ?

— Tu mettras des lunettes et un chapeau, c’est puéril mais efficace, rien de tel pour modifier l’aspect de quelqu’un…

— Où je les choperai ?

— J’ai trouvé un vieux chapeau de feutre au grenier ; il doit t’aller. Quant aux lunettes, le vieux en a deux paires dans ses bagages… Tu n’auras qu’à en prendre une…

— Mais avec ça sur le naze je serai miro. Ma vue est bonne, à moi !

— Tu ne les mettras que lorsque tu seras en société : pour prendre ton billet à Saint-Lazare, par exemple…

— Si tu crois…

— Pour… pour le reste, as-tu… ce qu’il faut ?

J’avais ce qu’il fallait, dès le deuxième jour. Et même bien ce qu’il fallait : un couteau de cuisine à la lame usée, longue, mince et pointue, plus un morceau de tuyau de plomb déniché dans le hangar… Je passais mes insomnies à aiguiser le canif. Il coupait le papier comme du beurre.

Le mardi est arrivé, enfin. J’en crevais de l’attendre. Ce matin-là, lorsque je me suis éveillé, j’ai senti que j’atteignais au point culminant de mon existence. Mais j’étais étrangement calme, comme certains boxeurs le jour du grand combat.

J’ai vaqué à mes occupations habituelles. J’ai levé le vieux et l’ai débarbouillé. Il restait de bois, depuis l’autre jour, ça me contristait un peu. Si les flics l’interrogeaient, il parviendrait peut-être à leur cafter ma partie de jambes en l’air avec la « patronne » et les perdreaux trouveraient fort de café qu’elle devienne veuve à cet instant…

J’ai demandé à Emma :

— Entre nous, qui c’est, le vieux ?

— Son fils était associé avec Baumann. Il est mort… Alors on a recueilli le père qui aimait bien mon mari.

— Pourquoi « aimait » ? Il a changé de sentiments ?

— Je ne pense pas ; pourquoi aurait-il changé du moment que nous sommes chics avec lui ?

— Peut-être qu’il a signé un papelard au sujet de son héritage avant de rappliquer ici, non ?

Elle a souri.

— Décidément, tu n’es pas bête.

— Alors c’est ça, hein ? Baumann lui a fait faire son testament en sa faveur et il l’a pris chez lui pour pas qu’il puisse se raviser ?

— Tu brûles !

— Ça m’a l’air d’être un drôle de démerdard, ton Baumann.

— Ne parlons plus de lui, veux-tu ?

— Au contraire, c’est le moment ou jamais de le faire…

Elle a pigé l’allusion et a détourné son regard. Nous étions dans la salle à manger. Nous avons vu le portail s’ouvrir devant un Robbie chargé de provisions.

— Tu as pensé à lui, pour le narcotique ?

— J’y ai pensé. Je lui ai dit d’acheter une bouteille de Martini, je sais qu’il aime ça… Un bon conseil : n’en bois surtout pas…

— Compris…

Je ne l’ai pratiquement plus revue de la journée. Sur le soir, vers cinq plombes, elle m’a appelé.

Robbie ronflait comme un sonneur dans sa chambre. On se serait cru au Bourget, un dimanche de grand meeting aérien.

— Bon, voilà le chapeau, les lunettes. Tu as de l’argent ?

— Non…

— Tiens, vingt mille francs… Pars en avance car il serait imprudent de prendre un taxi ou un bus dans le quartier. Va jusqu’au métro à Maillot en coupant par le bois, un peu de footing ne te fera pas de mal… Cette nuit, pour rentrer, tu prendras deux ou trois taxis et tu te feras arrêter au Rond-Point de la Reine…

— D’accord.

— Dissimule ton visage le plus possible, mais sans jouer toutefois les conspirateurs d’opérette.

— Tu me prends pour un con ?

— Certainement pas…

Elle m’a tendu ses lèvres et je lui ai roulé le plus magnifique patin de ma vie.

— Et le vieux, ai-je dit, il va bien sentir que je ne suis plus dans la carrée ?

— Non, je te parlerai comme si tu étais ici… J’ai déjà prévu cette question.

Elle avait prévu toutes les autres par la même occase. Ce qu’il y avait de badour avec cette polka, c’était son esprit d’organisation. Avec elle pas la peine de se consumer en gamberge stérile : elle pensait pour deux !

C’est ce que les bons parents appellent une femme précieuse.

J’ai reniflé un grand coup la bonne odeur de l’été. Puis je suis parti pour mon destin.

C’est un rencart où il vaut mieux se rendre seul.

CHAPITRE IX

J’ai suivi à la lettre les prescriptions d’Emma. C’est-à-dire que j’ai marché longtemps avant de choper le métro.