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C’était affolant de ne pouvoir aller plus vite.

Là-bas, une voix a crié :

— Mais, tirez-les, bon Dieu ! Tirez-les, bande de veaux !

Et alors, ça s’est mis à postillonner dans le coin !

Tout autour de moi l’eau jaillissait comme sous l’effet d’une grosse averse… On risquait de bloquer une prune au bon endroit et alors on allait pouvoir inscrire « Terminé » au programme, parole d’homme !

Heureusement, le vent qui soufflait hérissait la rivière de vagues serrées et il devait être duraille de nous ajuster à cause du miroitement.

Je pensais à folle allure. Des milliers d’images s’imposaient à moi. D’abord, je me disais que les flics n’avaient pas d’embarcations. Ils n’avaient pas prévu une fuite possible par la flotte. Il fallait qu’ils aillent à Auvers pour s’en procurer une, c’est dire que nous avions mille fois le temps de traverser le cours d’eau… Une fois de l’autre côté, nous ne disposerions que de quelques minutes. En admettant bien entendu que des courageux attirés par le tir de barrage ne viennent pas jouer les gros bras. Je ne le pensais pas, car ils avaient dû se foutre dans les taupinières, les rôdeurs de berges ! Les types qui musardent au bord de l’eau sont en général des pères tranquilles et cette épidémie de valdas devait les effaroucher !

Tout à coup, comme Merveille atteignait l’autre rive, elle a poussé un cri et je l’ai vu disparaître sous l’eau. Mon sang a mugi dans mes oreilles. Les salauds ! Ils venaient de me la flinguer devant moi. J’ai accéléré ma nage et j’ai aperçu une nappe rosâtre à la surface de la flotte. J’ai plongé. Merveille était au fond de la rivière, flottant sous le courant, ses cheveux plaqués sur sa belle figure close.

D’une étreinte prodigieuse, j’ai été à elle et je l’ai saisie par la taille. Un coup de talon et nous sommes remontés à la surface…

Je me disais que tout était foutu, et que mes ultimes efforts ne rimaient plus à rien. Je ne savais pas où cette garcerie de balle l’avait touchée, mais ce devait être très grave, à en juger par la rapidité avec laquelle elle avait coulé…

J’ai pris pied sur l’autre rive… Je ne prenais plus garde aux balles qui continuaient de crépiter autour de nous. Fort heureusement, un rideau d’arbres nous masquait maintenant.

J’ai saisi Merveille dans mes bras… et je me suis mis à cavaler comme un dingue à travers un champ de betteraves.

Tout en courant et en butant sur les mottes de terre, je regardais la petite et je voyais sa blessure… La balle l’avait prise en séton derrière le crâne. Je pensais qu’elle avait été assommée plutôt qu’autre chose, car il ne semblait pas que le projectile eût pénétré… Enfin, ça n’était pas le moment de l’examiner en détail…

J’avais estimé à quelques minutes le laps de temps dont je pourrais jouir une fois la sauce traversée. C’était faire montre d’un certain optimisme car, de toute évidence, les bourdilles avaient dû foncer en bagnole jusqu’au prochain pont distant de quatre ou cinq kilomètres. Cette distance, multipliée par deux, nous donnait un petit quart d’heure de voiture, compte tenu du mauvais état des chemins de halage. J’en avais usé environ la moitié à passer la rivière et à pêcher Merveille… Et j’étais là, avec cinq petites minutes environ devant moi, des fringues collées au corps, une fille inanimée dans mes bras, un revolver mouillé et une armada de tirailleurs faisant feu d’une rive à l’autre. Coquette situation. Si je n’ai pas tout envoyé faire foutre à cette seconde c’est sans doute parce que j’ai l’esprit de combativité chevillé au corps.

Ayant filé un coup de périscope désespéré autour de moi, j’ai aperçu un péquenot, avec un tombereau de fumier qui me regardait d’un air tellement con et abasourdi que j’aurais pu lui faire croire que j’étais saint Machin revenu sur la terre.

Les arbres formaient vraiment écran… Impossible aux bourdilles de nous voir, et personne d’autre à l’horizon.

J’ai déposé Merveille dans les betteraves et j’ai sorti mon pétard.

L’autre était un gros zig nourri de matières grasses, avec une moustache terrible et un chapeau de feutre enfoncé jusqu’aux sourcils…

Je me suis approché de lui, flingue en main.

— Lève tes bras !

Il avait dû faire la dernière guerre, car il a obéi avec une maestria dont je ne l’aurais pas cru capable. Alors j’ai pris du recul et je lui ai balancé un formidable coup de pied dans le ventre. Il est tombé net, foudroyé comme un chêne après l’ultime coup de cognée.

Je lui ai donné un autre coup de pompe. Puis, sans perdre une fraction de seconde, je lui ai ôté son futal et sa veste de velours. J’ai endossé ses fringues à la diable par-dessus les miennes. Mes vêtements trempés gênaient considérablement ce travesti, mais heureusement les nippes du bouseux étaient trop grandes pour moi.

Jamais je n’avais eu un sens aussi aigu, aussi douloureux du temps qui passe. J’avais dû mettre trois minutes à dégringoler le type et à revêtir ses hardes… Maintenant, c’était une question de secondes…

J’ai enfoncé son chapeau jusqu’aux oreilles ; j’ai traîné l’homme inanimé dans une touffe de broussailles en bordure de l’eau… Ensuite, j’ai chargé Merveille dans le tombereau, sur le fumier… A pleines mains, j’ai pris le fumier pour l’en recouvrir. Ça n’allait pas arranger sa blessure, mais tant pis ! Quand j’ai eu terminé, je me suis presque dit que les flics avaient du retard… J’ai saisi le bourrin par la bride en gueulant « Hue ! » Mais cette carne devait obéir seulement à son maître, car elle n’a pas décollé…

S’il était exclusif, j’allais le rendre plus sociable, le berrichon ! J’ai pris un couteau Opinel dans la poche de la veste de velours et je lui ai piqué les miches. Il a dû piger que j’étais pas du genre « Viens-mon-chou-t’auras-du-gâteau », car il a obéi à ma seconde sollicitation.

J’ai pris la bride et je me suis mis à marcher à côté de l’attelage… Maintenant, ça ne tiraillait plus, de l’autre côté des frondaisons ; par contre, je voyais une voiture noire se radiner sur le chemin… C’était encore à moi de jouer…

J’ai fait signe de la main. L’auto s’est arrêtée à ma hauteur, il y avait quatre poultoks à l’intérieur. L’air pas contents d’être flics et d’y voir clair. Probable qu’en haut lieu ils allaient se faire sonner les cloches…

Ce que je faisais était téméraire, car je risquais d’être reconnu. Pourtant, en y réfléchissant, les poulets couraient après deux personnes trempées, et ils n’avaient rien à branler d’un terreux mal rasé qui coltinait du fumier.

« Pourvu que Merveille ne moufte pas ! » me suis-je dit…

Le chef de la fine équipe m’a aboyé un « alors ? » qui aurait fait s’évanouir un régiment de tirailleurs marocains.

J’ai pointé le doigt en direction d’un boqueteau qui se dressait au milieu de la plaine, à un kilomètre environ.

— Y se sont encourus là-bas, vers le bois.

Les coudes au corps, les poulardins bombaient en direction du bois, planquant là leur bagnole inutilisable à travers les terres…

J’ai hésité… J’aurais beaucoup plus de sécurité en poursuivant ma route avec le cheval…Seulement Merveille ne pouvait pas rester éternellement sur son fumier. Cet attelage allait pour la campagne, mais dès que j’arriverais dans une agglomération les naturels repéreraient le bourrin…

J’ai attendu que les flics soient loin. Puis j’ai descendu la petite de sa couche malodorante… Elle battait faiblement des cils.

— Ne t’inquiète pas, mon amour, lui ai-je murmuré. C’était un peu truffe de balancer des réconforts au sirop à un pareil moment, mais je l’aimais.