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— Vous désirez, messieurs ?

— Police !

Je ne voyais que l’un des deux poulets maintenant. Il était grand, avec une moustache blonde collée sur un air triste.

L’autre se tenait de côté et m’échappait.

— Vous êtes le docteur ?

— Oui…

— Nous cherchons un dangereux repris de justice qui se terre dans le quartier… Une femme de ménage prétend avoir vu une voiture noire entrer chez vous ce matin, est-ce exact ?

— Exact, on m’amenait un blessé à panser…

— Vous n’avez rien vu de suspect ?

— Non, du tout !

— Quel genre de blessé était-ce ?

— Un maçon qui était tombé d’un échafaudage…

— Son âge ?

— La cinquantaine.

Il était champion, le doc pour le bourrage de mou. Je trouvais sa présence d’esprit magnifique. Probablement qu’il aurait des ennuis avec la rousse par la suite, à cause de son attitude présente.

— Parfait, excusez-nous, docteur…

— Je vous en prie…

Les flics sont partis, le médecin est rentré et a repoussé la porte.

— Vous avez eu la trouille, hein ? a-t-il grommelé.

— Moi ?

— Ne faites pas le malin, vous êtes vert comme l’enseigne au néon d’un pharmacien…

— Parce que je me sens mal… Cette blessure…

— Ah, au fait… Venez dans mon cabinet…

— Non…

Je ne voulais plus revoir Merveille. Maintenant, c’était fini, et cette réalité me terrifiait. Il me semblait qu’en l’apercevant je serais tombé raide tout comme une rosière.

— Bon, alors attendez-moi là…

Il est allé chercher un tas de machins, entre autre une seringue. Il a scié une ampoule et empli la seringue… Il était calme, mais ses lèvres restaient blanches comme la cire…

— Vous me faites une piquouze ?

— Il le faut.

— En quel honneur ?

— C’est un antibiotique, votre plaie est salement infectée…

— O.K…

J’ai retroussé ma manche et il a nettoyé mon avant-bras à l’éther… Comme il s’apprêtait à planter l’aiguille, je l’ai repoussé et j’ai cueilli l’ampoule vide. Sur l’étiquette j’ai lu : Penthotal.

La rogne m’a saisi… D’un revers de main, j’ai envoyé promené la seringue pleine.

— Petit fumier, il est chouette ton antibiotique !

Auboin a baissé la tête.

— Tu allais m’endormir, hein, lopette ? Et ensuite prévenir ces bons messieurs qui n’auraient plus eu qu’à attendre que je me réveille !

Je lui ai allongé une paire de baffes retentissantes.

— Tiens, ça te donnera des couleurs…

Ça lui en a donné, effectivement.

— C’est bon, allez-y tuez-moi ! Je suppose que ça ne peut pas se terminer autrement avec vous ?

Chose étrange, je n’avais pas la moindre envie de le foutre en l’air…

— Non, mon salaud, garde ta petite peau, elle est trop précieuse à l’humanité souffrante… C’est un autre cadeau que je fais aujourd’hui.

Je me suis brutalement retourné car la vitre de la croisée venait de voler en éclats… Un canon de mitraillette était braqué sur moi.

Un voix hurlait :

— Les mains en l’air, Kaput, ou tu es mort !

— C’était cela que je voulais pour éviter, a balbutié le petit toubib…

— Tu les as prévenus en douce ?

— Avec les yeux seulement, a-t-il avoué.

Toujours la même chose ! Il n’y a rien à espérer des caves. Ils vous comprennent un instant, paraissent accepter de prendre vos patins, mais ils ne peuvent résister aux charmes des poulardins. J’ai levé les bras, mais brutalement j’ai agrippé le médecin et lui ai fait opérer une volte-face de manière à l’interposer entre la mitraillette et moi.

— Lâchez le docteur !

— Mes fesses !

La porte s’est ouverte et le grand flic à la moustache blonde est entré. Par-dessus l’épaule du toubib, j’ai levé mon soufflant et j’ai tiré. Le roussin s’est abattu, tué net. En serrant fortement contre moi le docteur qui tremblait, j’ai reculé jusqu’à l’escalier… Une fois là, je l’ai lâché et je me suis rué dans les étages… En trois enjambées, j’ai été au premier… Un autre escalier, plus étroit, s’offrait ; je l’ai pris.

Au second, c’était le grenier. J’y suis entré et j’ai refermé la porte au verrou.

Cette fois, j’étais cuit, fini, râpé, mort déjà !

J’ai poussé la béquille du vasistas… Une violente galopade faisait trembler la maison… Une vraie troupe radinait par les escadrins. Une secousse, un rétablissement, et je me suis trouvé sur le toit d’ardoises… J’étais presque nu et je n’avait plus un laranqué. Mes millions s’étaient effilochés en quelques heures. Les ultimes dollars se trouvaient dans les fringues que j’avais mises à sécher près de la cuisinière…

J’ai couru sur le toit plat… D’en bas, on a commencé à m’envoyer du plomb chaud. J’ai sauté derrière une cheminée…

A quatre mètres environ, il y avait le toit de l’autre pavillon… Il se trouvait légèrement en contrebas par rapport au mien. Un saut pareil était risqué, non seulement à cause de ce fossé de quatre mètres, mais surtout parce que la pente de l’autre toit était beaucoup plus accusée.

J’ai pris mon élan par petites enjambées rapides, mais au moment de la détente, j’ai posé mon pied sur une gouttière qui a cédé et j’ai piqué une tronche dans le vide.

Je me suis vu flambé. Ça allait être un drôle d’écrasement : une dizaine de mètres en valdingue et l’atterrissage sur les pavetons, c’est recommandé contre les rhumatismes articulaires.

Seulement, la petite ruelle était transformée en chantier à cause d’une réparation de canalisation et, par un hasard que je n’ose qualifier de miraculeux, j’ai plongé dans un énorme tas de sable. La secousse a été rude et il m’a semblé qu’on me rentrait les flûtes dans le buste. Pourtant, j’ai pigé illico que je n’avais rien de cassé.

Sans vérifier mes abattis, j’ai mis les coudes au corps et tracé vers l’extrémité de la ruelle. Cette chute libre était passée inaperçue et les flics devaient penser que j’avais réussi à traverser le précipice, car j’avais disparu de leur champ visuel…

La ruelle donnait sur un terrain vague au milieu duquel on commençait la construction d’un merveilleux H.L.M. Une moitié d’immeuble se dressait déjà… Chose curieuse, il n’y avait personne en vue… Mais j’ai pensé que nous étions samedi et que les ouvriers ne bossaient pas…

J’ai couru jusqu’à l’immeuble pour m’y réfugier… A poil, je ne pouvais passer inaperçu… Seulement, ce refuge n’en était pas un, car les flics allaient radiner et me coincer dans le chantier… Je ne pourrais jamais me sauver dans cette lande nue que formait le terrain vague…

Haletant, je regardais désespérément. Alors, j’ai remarqué ce qui pourtant crevait les yeux : la gigantesque grue dressée à côté de l’immeuble en construction… Je me suis dit que sa tourelle, là-haut, offrait un abri sûr d’où — c’était le cas de le dire — je pourrai voir venir…

Personne ne survenant, je me suis mis à gravir les échelons de fer conduisant à la plate-forme. J’allais vite, comme un singe escaladant le tronc d’un palmier. En un rien de temps, je me suis glissé par la trappe ronde qui donnait accès à la cabine vitrée.

Ma vue portait très loin par les carreaux sales. Je dominais toute cette banlieue grise et pelée. Je me suis agenouillé afin de me rendre invisible à ceux d’en bas, mais le chantier restait désert… De mon promontoire, je découvrais parfaitement la maison du toubib. Le jardin semblait minuscule avec la perspective plongeante. Les perdreaux allaient et venaient, comme ces jeunes chiens de chasse dont on exerce l’odorat en traçant des méandres dans un jardin avec un vieux bout de barbaque.