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Je crois qu’une dizaine de jours ont passé dans ce climat lénifiant. Et puis un soir, Baumann a appelé Robbie qui lavait la vaisselle. Moi j’essuyais, toujours la fine gâche, vous pouvez voir.

— Nous partons tous les deux demain matin, pour deux jours, a déclaré le patron.

Robbie a semblé surpris.

— Rien que nous deux ? a-t-il fait.

— Ça te déplaît ?

— Non…

— Alors, à demain, six heures…

Je les ai entendus se barrer, depuis ma chambre. C’est le ronron du moteur qui m’a tiré du sommeil. J’ai bondi à la croisée. Baumann tenait le volant, Robbie, toujours en pull roulé, lui ouvrait le portail.

Quand le bahut a été dehors, il a repoussé les vantaux de fer. Son regard a couru sur la façade de la maison, à ma recherche, car il avait senti que j’étais là, à mater le départ. Nos yeux se sont rencontrés. Il a fait un geste obscène à mon intention avant de disparaître…

A huit heures, Emma est sortie de sa chambre, drapée dans un peignoir arachnéen. On aurait dit qu’elle était sous cellophane comme un cigare de luxe et j’apercevais en transparence son slip blanc et son soutien-niflards. Comme réveil chantant, ça se posait là.

Tous ces jours, depuis l’incident de la chambre, elle avait feint de m’ignorer, mais ce matin-là, ses yeux retrouvaient leur éclat salace. Elle avait les lèvres humides et elle sentait encore le lit.

Je me disais que, dans cette tenue, elle ne devait pas avoir de pistolanche sur elle. Je l’avais belle pour lui faire une prise japonaise.

— Vous préparerez le déjeuner de notre malade ! a-t-elle ordonné.

— D’accord.

— Moi, je m’occupe de mon café.

Elle ne prenait qu’une tasse de noir avec un jus de citron dedans, sans sucre, pour la ligne, probable.

On s’est retrouvés à la cuisine, un moment plus tard.

Elle soufflait sur sa tasse brûlante et me regardait à travers la buée qui s’en échappait.

— Ça ne va pas vous reprendre, a-t-elle murmuré de sa voix angoissante.

— Qu’est-ce qui ne va pas me reprendre ?

— Vos… Enfin vous le savez bien. Je ne vais pas vivre avec un revolver ou un fouet à portée de la main comme une dompteuse de tigres !

— Alors, je lui ai riposté, il faudra y mettre du vôtre. Si vous venez me promener sous le nez votre panoplie de pin-up, je ne réponds de rien.

— Dois-je mettre une armure ?

— Pas la peine, vous avez pas le physique à jouer Jeanne d’Arc.

Elle est sortie en faisant claquer la porte.

La journée s’est écoulée, un peu plus calme encore que les autres. Elle a lu, comme à l’accoutumée et, à midi, je lui ai servi son pamplemousse et sa tranche d’York-biscotte dans la salle à manger. Elle était en short et portait un sweater blanc. C’était plutôt téméraire de sa part parce qu’en la voyant ainsi nippée je défiais quiconque de ne pas avoir envie de lui sauter sur le poil, histoire de lui arracher le peu de fringues qu’elle portait.

Pourtant j’ai fait bonne contenance. La garce m’observait à la dérobée, inquiète de mon indifférence.

Je me suis occupé du vieux. Il toussotait un peu, je l’avais laissé trop longtemps à la fraîche, la veille au soir. Je lui ai demandé si un grog lui ferait plaisir. Il m’a fait « oui » de sa pauvre tête. Alors je lui ai préparé une mixture carabinée. Et il s’est endormi recta, sonné par l’alcool brûlant.

Je me sentais comme une bête qui devine un séisme. Il faisait beau parce qu’on tenait un été costaud, pourtant, au fond du ciel, on devinait comme une menace et l’air était lourd infiniment.

J’ai pris une douche, histoire de me calmer les nerfs. Mais l’eau froide ne peut rien contre un volcan.

Ma chemise me collait à la peau, j’avais la bouche sèche et, quand il m’arrivait de fermer les yeux, mes paupières brûlaient mes prunelles.

Le dîner expédié, je suis sorti à la fraîcheur du soir. Ce moment-là je l’avais attendu toute la journée, c’était lui le véritable bain régénérateur.

J’ai contourné la maison et je suis allé m’effondrer dans les hautes herbes qui poussaient au fond de la propriété. A cet endroit c’était bourré de grillons qui accordaient leur musique pour le récital nocturne. Des grenouilles leur répondaient. Une vache pastorale, comme vous voyez… J’ai mis mes mains derrière ma tronche et je me suis mis à regarder le ciel à pleins yeux : un bath ciel de velours où se dessinaient des étoiles pâlichonnes.

Soudain, une ombre s’est dressée, derrière moi. Le parfum qui l’accompagnait était éloquent : c’était ELLE.

A la renverse je l’ai regardée s’approcher. Elle est restée immobile un long moment. Je la reniflais ; son odeur se mariait formidablement bien avec celle du crépuscule d’été. C’était enivrant.

— Qu’est-ce que vous faites ? je lui ai enfin demandé.

J’ai été effrayé par ma voix rauque qui avait de la peine à sortir de ma gorge.

La réponse est venue, dans le noir.

— Je vous regarde…

— Ah oui !… Ça vaut le déplacement ?

— Je ne sais pas…

J’ai allongé la main, à tâtons. Mes doigts ont rencontré ses jambes nues, chaudes et douces. J’ai remonté jusqu’à la naissance du short. Elle ne bougeait pas.

Enhardi, je me suis mis debout, contre elle.

— C’est le moment de dégainer votre artillerie, ai-je balbutié.

Mais elle ne faisait aucun mouvement.

Alors je l’ai jetée à terre, violemment et elle a poussé un petit cri de douleur. Ce cri a fait bondir mon cœur dans ma gorge. Un voile rouge a passé devant ma vue. Sans trop savoir ce que je faisais je l’ai giflée à toute volée. D’une main je l’ai maintenue contre le sol tandis que, de l’autre j’arrachais son short, son slip, son sweater… Une fureur immense bouillonnait en moi. Je serrais les dents. Elle hoquetait, secouée par de brefs sanglots.

CHAPITRE VI

Elle restait allongée dans la rosée, comme morte ; son corps doré se détachait crûment sur les lambeaux blancs des fringues que j’avais passablement malmenées…

Je me suis agenouillé à côté d’elle. Il y avait en moi comme un silence de sanctuaire. J’étais désert et vanné.

Je la caressais, doucement, sans pensées précises. Il me suffisait de la sentir là, contre moi. Je la voyais frémir, et elle se rapprochait plus près encore, tout en ronronnant de plaisir, comme une chatte.

Sa bouche était entrouverte sur l’éclat des dents. Je n’ai pas pu m’empêcher de l’embrasser encore, histoire de goûter une fois de plus à sa salive. Nos dents ont crissé, mais ça ne me dérangeait pas. J’aurais voulu me casser en petits morceaux contre cette fille. Elle m’affolait. Même à bout de forces comme j’étais, son corps m’électrisait.

— Allons, ai-je murmuré, lève-toi, il fait froid et tu es nue…

Elle a soupiré :

— Porte-moi.

Elle avait vu ça au ciné et elle en voulait ! Seulement au ciné tout est truqué. Dans l’état où je me trouvais je ne me sentais pas capable de charrier une mouche.

Je me suis baissé ; elle a noué ses bras autour de mon cou et j’ai pu l’arracher de terre. Mes jambes tremblaient, mais à part ça j’étais plus costaud que je le pensais.

Je me suis mis en route dans le sentier. Son odeur me chavirait. Sa chaleur se répandait dans mon corps et j’avais hâte d’arriver à une surface horizontale pour la lancer dessus et recommencer mon numéro de Casanova.