Le Mammouth (qui enfonce les gueules) frotte ses deux poings toujours crispés sur son bénouze pour les nettoyer.
— Tu l’as entendu ? il demande. Non, mais des fois, un saint-panzé pareil, que t’aurais envie, dans tes bons jours d’lu balancer des cacahuètes, m’parler commak !
— D’accord, admets-je, mais voilà qui brouille salement nos brèmes. Youyouille, ce pétrin ! On est marron. Tu penses que ce petit futé va courir porter le pet auprès de l’Angliche.
— A moins qu’on l’retir’rait de la circulation, émet Alexandre-Benoît, mi-figuier, mi-vigne.
Je sursaute.
— Tu ne vas pas scrafer ce gus sous prétexte qu’il t’a reconnu, non ?
— Evidemmanche ! Mais c’qu’on peut, c’est le fout’ au vert le temps qu’on s’occupe ?
— Tu connais des pensions de famille pour truand encombrant, en dehors de Fresnes ?
— On va chercher. C’est pas le problo des deux robicos qui coulent z’en même temps, quoi, merde !
On toque à la porte de communication. La mère Gertrude passe son minois fétiche par l’encadrement.
— Vous me laissez ? reproche-t-elle.
Elle avise Fayol dans sa position saugrenue et dit :
— Qu’est-ce qu’il fait, lui, là ?
— Du yoga, chut, ne le dérangeons pas.
Et je la ramène dans ma piaule. Ma perplexité ferait peine à voir si je parvenais à la mettre en devanture. Ce sac de nœuds volants, bon Dieu de bois !
Béru se montre peu après.
— Ecoute, me dit-il, tu peux aller vous promener ailleurs si j’y suis, j’ai une idée !
Sa main ponctue le désir qu’il a de notre éviction. Elle m’enjoint de calter presto avec ma rombière. Ce que j’empresse.
Ce n’est pas la mauvaise greluse, la Gertrude. Elle est belge comme le jour, au contraire. La chouette luronne du plat pays qui est le sien et çui de Brel. Une gentillesse foncière, jointe à une naïveté quasi congénitale, accompagnée d’une connerie en contre-point. Elle lit les bandes dessinées d’amour, va voir les films où que ça baisouille et mange des frites à son petit déjeuner. Elle aime son boulot, la grosse bibite bien joufflue et les franfreluches.
Les employés de l’Amigo me regardent traverser le hall avec un rien de surprise au coin de la prunelle, se demandant anxieusement ce qu’un beau gosse comme moi fiche en compagnie d’une mademoiselle pipi ; et pourquoi je m’embourberais ce paquet mal ficelé, alors que la chère Belgique est pleine de ravissantes sujettes toutes disposées à m’accorder leurs faveurs et ce qu’il y a en dessous. Mais je sais subir les mortifications d’un cœur généreux. L’homme fort doit s’assumer en toutes circonstances. Je dois absolument subir l’humiliation qui consiste à traîner cette pétasse dans des endroits convenables. Alors je presse sa jolie dextre en me disant qu’elle devra, cette merveilleuse menotte, me taper une foule de nombres, y compris le nombre 44, sur un clavier de merde le jour proche où on le lui demandera poliment, avec sans doute un revolver à l’appui enveloppé dans la dernière édition du Soir.
Quelques apéritifs propitiatoires…
Taxi !
Puis c’est le grand restaurant deux étoiles qui l’éblouit de ses fastes. On a une table voisine de la cheminée dans laquelle flambe une belle bûchée. Il fait bon, beau et faim. Les cristaux étincellent. Les maîtres d’hôtel sont empressés. Les flammes des bougies récitent des sonnets sur les joues des dames. Malgré que ma compagne ne corresponde pas exactement au genre de nana que tu aimes à driver dans ces sortes d’endroits, je me dis qu’elle n’empêchera pas les filets de sole d’être délicats, ni le canard aux pêches délectable, et encore moins le Château-Gruaud-Laroze d’avoir emporté la France à la semelle de son cul de bouteille. Alors, la vie est belle, parfois, pendant quelques minutes, non ? T’as pas remarqué ?
Nous venons d’écluser un porto de trente-sept ans d’âge et la chère Gertrude rit à haute voix, comme une conne déjà ivre, lorsqu’une dame travestie en femme de chambre s’approche de notre table et se penche sur mon oreille pour me faire sentir son haleine riche en oignon consommé cru.
Et aussi pour me chuchoter :
— Monsieur, l’on vous demande au téléphone.
— Moi ? dis-je, faute de mieux, emporté par la surprise, sinon tu penses que j’aurais trouvé une réplique moins banale.
Et tout en articulant ce « moi » pourtant bref, j’ai le temps de me dire que nul ne sait ma présence ici, non plus que mon nom. Et alors c’est étrange, quand on y réfléchit, n’est-ce pas ? Note qu’il m’est arrivé d’être contacté en des lieux où je me croyais ignoré.
Je me lève pour suivre la femme de chambre. Elle fait en réalité office de dame du vestiaire, gardienne de gogues, standardiste. Et sûrement que j’en oublie. Ah, oui, tiens : marchande de cigares, cigarettes !
En cours de trajet elle me dit :
— En réalité, monsieur, il ne s’agit pas du téléphone, c’est une dame qui demande à vous causer en particulier.
Allons, bon, v’là aut’ chose !
Une dame ?
Qui peut-ce ?
Elle me guide aux toilettes. Avant les chiches, il y a une cabine tubophonique capitonnée de velours bleu roi. Et avant la cabine, une porte marquée « service ». La femme de chambre me fait signe de la pousser, mais son signe est accompli par une main en creuset qui tarde à se retirer. Je la rapatrie moyennant un talbin que ça représente le roi Baudouin en uniforme de j’sais pas quoi. Et puis je me sers de la porte pour entrer. Et alors, nom de foutre, il me prend un frisson kif-kif que quand tu sors en pyjama, l’hiver pour voir si le thermomètre est au-dessous de zéro, et qu’il y est bel et bien, ce con !
La dame annoncée, eh ben je te promets qu’elle ne ressemble pas à une tranche de pain dans la soupe aux choux !
Le papa et la maman qui ont réussi cet exploit peuvent mourir tranquilles : ils ont accompli brillamment leur mission terrestre. Fais-moi penser de leur écrire un de ces jours pour les complimenter.
Le Grand Cordon ombilical de la Fabiola, ils méritent, avec palmes !
Que je te dise pour commencer ce qui aurait tendance à clocher chez cette personne, qu’on se débarrasse du négatif pour pleinement se consacrer au positif. Eh ben, ce qu’elle a d’un tantisoit nuisant, c’est son aspect tapageur. Grande beauté altière, hardie, cavalesque, hennissante, walkyrie, figure de proue, mangeuse de vent, hurleuse d’espoir, gobeuse de foutre, allégorique, superbe, peinte par David, reproduite sur timbre-poste, pasionaria, marseillaise de chair fardée. Tu comprends ? Tu mesures ? Tu envisages ? Conçois ? Subodores ? Merci.
Elle est un peu plus grande que moi, ce dont je regrette, biscotte les complexes. Elle a les cheveux de Dalida, mais sans strabisme émergeant. Une belle bouche large, tellement sensuelle que tu t’y crois déjà ! Brune, à mèches blondes. Bizarre. L’œil sauvage et velouté à la fois. Convoiteur et pourtant sûr de lui. Et je te parle pas de son module. Dedieu ! Roulée ! Merde ! C’est trop. Assez pour une première regardée, mes rétines en pèlent. Vont se fissurer. Mes nerfs optiques vont pendouiller comme les ressorts d’un fauteuil voltaire au grenier de tante Hortense.
— Vous m’avez fait appeler, madame ?
— Oui, monsieur, et je vous en demande bien pardon.