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— Voilà !

— Voilà quoi, Gertrude ?

— C’est ça qui déclenche. Le caissier et tous les services en contact direct avec le public sont équipés d’un micro à ultrasons, c’est comme ça qu’on appelle, je crois. On nous a appris à souffler d’une manière espéciale. Faut relever la langue dans sa bouche, comme ça…

Elle me montre le muscle charnu, constellé de particules de sole qui lui sert à déconner et à coller des timbres. La pointe dudit touche son palais et elle expulse doucement une goulée d’air.

— On peut y faire même avec la bouche presque fermée, déclare la douce enfant. Le type qu’est vis-à-vis de toi se rend compte de rien, mais ce micro estrasensible démarre à la sixième seconde. Tu te rends compte ?

— On n’arrête pas le progrès, assuré-je, en pensant qu’il suffira cependant d’un caramel mou offert au bon moment pour l’arrêter dans ce cas précis.

Et puis je change de sujet. Je lui explique ce que je vais lui pratiquer comme séance de zizi-panpan après le repas. Elle postillonne sa sole, comme quoi elle me trouve drôlement dessalé, pour dire. Parfaitement digne de la vieille et flatteuse réputation française, que si on a pas de pétrole et pas tellement d’idées non plus, du moins on sait encore fonctionner du perchoir-à-frifri. Son mignon slip doit ressembler à la peau de chamois d’un pompiste lorsque le repas se termine. Je demande la note. On me la présente rapidement, car dans les grandes boîtes, ton addition te précède presque, et quand tu lèves le doigt pour la réclamer, y a déjà lulure qu’elle poireaute, pliée en deux dans une assiette.

Lorsque le maître d’hôtel me rend la mornifle, je lui glisse dans le conduit aux dix tifs (il est chauve) :

— Pourriez-vous me dire qui sont les trois personnes qui dînent au fond de la salle, sous le tableau représentant un cervidé agonisant au clair de lune ?

Il mate, discret. Je vois son front en suppositoire se bourreler.

— Le couple âgé, je ne connais pas, monsieur.

— Et la dame brune à mèches blondes ?

— La dame non plus, monsieur…

Pourquoi me ment-il ?

Car il ment.

Il ment comme un con, maladroitement. Me semble même qu’il a rougi plein sa calvitie. Curieux. Bon, je verrai plus tard.

— Allez, hue ! fais-je à ma conquête.

Elle avance vers la sortie.

CHAPITRE V

QUI DEVRAIT TE FAIRE PEUR

Je viens de lui finir la figure 14 ter de « Volga en flammes », là que les pontonniers défoncent la glace à coups de pics, et Chère-Gertrude en est réduite à appeler sa mère en flamand rose (elle n’avait encore jamais pris du rond) quand un remue-déménage retentit dans la chambre voisine, m’informant du retour béruréen.

L’empétardeur de Japonaise est tout guilleret. Schlass un brin, dirait-on même, puisqu’il fredonne « Les matelassiers » tout en chahutant le mobilier.

Je termine ma « coffrière » en conscience, car l’amour ça ne doit pas se bâcler, jamais, n’importent les circonstances. Quand bien même un mari ferait retour alors que tu bouillaves avec sa baronne, coûte que coûte tu dois mener icelle au panard, sans tenir compte des cris ni des tempêtances maritales. Voilà où j’en suis. Y a de l’apostolat dans la tringle. Faut la respecter, car elle est l’essence de la vie. Et rien n’est plus stupide que de tomber en panne d’essence.

La gosseline se remet tant mal que bien de ma séance par un bain de siège prolongé. On dit qu’après l’amour l’animal est triste, chez l’homme c’est pas de la tristesse mais de l’irritation (au sens inflammatoire et dermatologique du terme).

Cette jeune Belgeuse, somptueusement sodomisée, pis qu’une reine de Saba, a besoin de se refaire un fondement quand l’Antonio est passé par là. Logique !

Un paf, c’est pas une carotte : tu n’peux pas le râper avant de l’introduire. Ils sont épice-copeaux les braques de mon envergure. Défonceurs, pour tout dire. Leur vocation, en somme. Pics épiques et colériques.

Je laisse Gertrude désendolorer. Chaque médaille a son revers. Pour elle, c’est le côté pile qui foire et déglingue.

Mister Béru a des yeux comme des boucles d’oreilles en rubis. Ils étincellent et branligotent.

— T’es blindé comme la ligne Siegfried, Gros ? reproché-je.

Rien n’est plus éprouvant que l’ivresse des autres lorsqu’on est impec soi-même.

— J’ai tué le temps à la gueuse alambic, il explique. Pour la bière, y sont champions, les Belges. Ce qui y a, c’est que ça fait pisser. A la fin, je licebroquais carrément sous la table !

— Et Fayol ?

— Affaire réglée, mylord.

— De quelle façon ?

— Au mieux de nos intérêts.

— C’est-à-dire ?

Il ouvre la bouche, non pour répondre, mais pour accrocher les wagons. Puis il commence à se dessaper avec des grâces nubiles de jeune vierge mimant un strip-tease.

— Eh bien ?

— Ecoute, gars…

Il est interrompu par son derrière, toujours très turbulent voire même disert en fin de journée.

— Ah, çui-là ! sourit le Mastar avec indulgence, faut toujours qu’il la ramène quand est-ce qu’on lu d’mande rien. Bon, pour le petit tubar, si tu voudras bien, j’préfère n’pas en causer. J’l’ai mis en réserve d’la République, on a l’champ lib’, un poing c’est tout.

— Mais, nom de Dieu, j’ai le droit de savoir !

Il secoue sa tronche pensante énergiquement.

— Ces choses, moins on les sait, au mieux qu’ça vaut.

Une vague angoisse me constricte.

— Eh, dis, Gros, ôte-moi d’un doute, tu ne l’aurais pas ?…

— T’es louf, tu m’prends pou’ l’louchébem de Sulderdorff !

— Alors ?

— Alors, gaude naille, sœur ! J’m’zone, j’ai les lampions qui font relâche, moi, à force d’à force. Quelle journée !

Il est nu.

Il se couche.

Je me penche sur lui. Le secoue, lui intime l’ordre de parler. Un rot tornadesque, riche en réminiscences charcutières me fait reculer.

Et le voici endormi, bébé rose.

Je reviens dans ma chambre.

La Gertrude pionce aussi.

Et mézigue, malgré mes prouesses et le beau doublé de la journée, je n’ai pas sommeil. Rien de plus démoralisant que l’insomnie parmi des dormeurs.

Ma tocante raconte une plombe moins des broutilles. Faire quoi ? Bruxelles by night  ? Des bars, des putes ? Des artères qui s’engourdissent…

J’hésite. Cette conne dans mon plumard me donne envie de fuir. Je la voudrais aux cinq cents diables.

La réveiller pour la reconduire chez elle ? Je ne m’en sens pas le courage. Elle va encore parler. Et j’en ai classe de l’écouter. Déjà, au restaurant, j’en pouvais plus de ses bavasses. Souvent, des pétasses de son espèce, tu leur flanques ton braque dans le clappoir uniquement pour les faire taire un moment.

Je cherche de quoi lire. J’aurais dû me munir d’un bouquin. Ici, y a que la Bible et l’annuaire du téléphone. Je me demande dans lequel de ces deux polars les personnages sont le plus cocasses, et j’opte pour le second.

Je l’ouvre à la lettre « S ». Sans le vouloir.

Et pour lors il me vient une idée. Je parcours les colonnes d’un regard rapide jusqu’à ce que je déniche « Studio Barbara, 6 ter, place Van Deputt ».

Qu’est-ce que je risque ?

Elle a le bigophone, la grande panthère noire à mèches blondes.

Je réclame son numéro. Ça gredouille tout drôlet, à l’autre bout. Pas comme un biniou ordinaire. L’on dirait plutôt une sonnerie de gare. On se hâte pas de répondre. Peut-être le « Studio » n’est-il occupé que dans la journée, s’il est seulement destiné à des fins professionnelles ? J’insiste un peu, pour dire. Des fois que la Barbara pioncerait. Je vais pour renoncer lorsqu’on décroche enfin.