— En tout cas, les enfants, moi je vous dis au revoir et meilleures salutations à vos dames, déclare-t-il. Vous pouvez être certains que le prochain train pour Paname, y aura moi et mon frère dans le wagon de tête si les petits cochons n’nous flinguent pas en route ! Tu viens, Pauley ?
Je donne de la main sur la table.
— Minute !
— Minute mon cul, camarade ! J’ai jamais voulu travailler dans le boudin, c’est pas à soixante et mèche que je vais commencer. Une affaire à ce point cacateuse, franchement, jamais encore j’en avais connu de pareille ! On va aller réparer notre p’tite maison de famille sur les bords du Loing, le frelot et moi. On adore bricoler, pas vrai, Pauley ? Lui, il est imbattable en électricité.
Pendant qu’il jacte, je lui saisis les pognes et je les renifle. Ensuite j’opère de même avec son cadet.
Ils sont outrés.
— Quoi ! Non, mais ça va pas la tête, poulet ! Tu t’imagines que c’est nous qu’on aurait pu flinguer le Rosbif ?
— J’imagine rien, je contrôle.
— On sent pas la poudre, j’espère ?
— Non, mais toi, Médé, tu devrais te laver les pattes quand tu sors des gogues, ça ferait plus mondain.
CHAPITRE VI
POUR DIRE DE FAIRE LA DEMI-DOUZAINE !
Il y a toujours des cas dans l’existence.
Eh ben, espère, celui-ci en est un.
Un cas d’espèce plus qu’une espèce de cas.
Un cas extrêmement rare, toujours est-il, puisque je n’ai encore jamais connu le même au cours du long de ma valeureuse carrière (de marbre, puisque c’est un cas rare[2]). Ce matin, tout était déclenché pour une opération terriblement dangereuse. Et voilà que le combat cesse faute de combattants ; coton, hein ? On reste seuls, Béru et moi, en équipe réduite.
Ça s’est bigrement décimé dans nos rangs. Tu parles : la Grande Armée, after Waterloo ! Comptez vos effectifs, gentlemen, après les décès et les démissions.
Les deux frelots, chiassards comme des porcelets, se carapatent sans demander l’heure des obsèques. Ils ne se pardonneront sûrement jamais d’avoir affranchi le Vieux de cette arnaque en préparance.
Ils nous adressent un salut militaire un peu impertinent et foncent vers la sortie.
— Ferme la lourde à clé ! enjoins-je au Dodu. Ensuite, on se sent les coudées plus franches.
— Tu piges quoi à ce turbin ? demande mon éminent auxiliaire.
— A vrai dire, un peu moins que pas grand-chose, gars. Mais j’en saurai p’t-être un bout plus long avant la fin de la journée.
Car je songe à la belle Barbara. Elle sait, elle, puisqu’elle m’a recommandé de me méfier des escaliers roulants.
Je glisse une main experte à l’intérieur du veston de l’Anglais. Un délicat larfouillet de croco à initiales d’or me vient dans la main : Les initiales sont A.B., comme celles de Bérurier. Dedans, y a une carte de l’American Express au nom de Arden Blinsh, et puis, de même, un permis de conduire les véhicules à pétrole de la première catégorie, et quelques cartes de visite au nom d’Arden Blinsh, sans adresse ni téléphone. Les papiers indiquent comme adresse, 14 Frottfor Place, London. Outre eux, y a des talbins. Une liasse de livres britanniques en décomposition avancée et des fafs belges florissants comme des florins.
J’espère un carnet, des documents, la moindre des choses, mais zob ! Je ne découvre qu’un cure-dent en ivoire dans un étui d’or et un stylo à encre de marque Parker. Et d’autre part encore un mouchoir blanc et une clé plate, toute seule.
On se rabat sur le bureau. Probable qu’il venait d’être locationné pour servir de point de rencontre à l’équipe, car il est rigoureusement vide. Tu n’y dénicherais même pas une feuille de bloc, une gomme, voire un crayon. Nu, quoi.
— En somme, résume Bérurier, toujours très clairvoyant, les deux branques de Prince sont les seuls qu’on n’aye pas cherché à effacer.
— S’ils n’avaient pas été en retard, on les aurait probablement trouvés morts au côté de l’Anglais.
Le Mastar remue une ratiche branlante de la pointe de sa langue.
— C’est toi qui l’dis, mec, répond-il autour de sa langue plus chargée qu’une 2 CV de campeurs. C’que je remarque, mégnace, c’est qu’y sont vivants. Et pis ce dont j’te prille de bien vouloir noter légalement, c’est que l’Angliche a été buté par quéqu’un d’connaissance. Mate comme il est pénardos su’ sa chaise, ce con. On l’a seringué à la surprenette, sans qu’il eusse une rédaction quéconqu’.
— T’insinuerais que ce sont les frangins qui lui ont fêté son jubilé ?
— J’insinère rien, j’hypothance.
— Tu es bien d’accord que celui qui a buté l’Anglais est le même qui nous a défouraillé contre ?
— Pourquoi ? C’est toi qui conclus tâtivement. Y pouvaient être plusieurs. Les Prince liquidaient le père Pébroque, et un sulfateur pro nous arrosait dans l’escadrin.
— Leurs doigts ne sentaient pas la poudre.
— T’as dit à Médé que les siens r’niflaient la merde, positiv’ment. Il a bien pu s’les carrer dans rogne après avoir buté mylord, manière de brouiller les pistes, c’t’un vieux forban, oublille pas !
— Jamais de sang sur leur pedigree.
— Pas officiellement, mais on n’a pas toujours t’été derrière euss au cours du long d’leur putain d’carrière, à ces deux z’oiseaux…
Il a beau renchérir, je ne partage pas son point de vue. Les frères Prince n’ont rien à voir dans ce petit Verdun et un point c’est tout, merde, j’ai l’droit d’avoir une opinion et de la changer en certitude, non ?
— Allez, caltons discrètement de cet immeuble, ça commence à bien faire.
— Où qu’on va ?
— Chez une dame de la bonne société, gars.
Le Studio Barbara, c’est tout un délicat petit immeuble dans un quartier élégant. Ce genre de maison étroite, protégée par une grille noire et ornée d’un perron, comme on en trouve beaucoup à Londres. La façade est blanche. Les volets d’un gris discret. Une plate-bande fleurie court au pied de la façade.
A droite de la porte, on peut lire, sur une large plaque de cuivre, en caractères noirs : « Studio Barbara ».
Et puis un lion de bronze à l’air pas commode, ouvre grande sa gueule pour montrer qu’il y a un bouton de sonnette à l’intérieur. J’y glisse mon doigt téméraire, qui s’est risqué dans bien d’autres orifices plus redoutables, et enfonce le timbre dans sa gâche.
Pourquoi ai-je la sensation qu’on nous observe ? Cependant, la porte vernie, à grosses moulurations, ne possède pas de judas !
Elle finit par s’ouvrir et tu ne vois personne. On s’avance tout de même. La personne délourdeuse se tient derrière, comme embusquée. C’est une mignonne petite môme blonde, déguisée en femme de chambre, comme la préposée au vestiaire du restaurant d’hier soir. Elle est bien faite, avec un nez retroussé et des yeux de souris qui regarde bander un vieux rat.
On se propulse dans un petit hall très joliment arrangé, feutré, aux murs garnis de soie rose sur quoi on a accroché tout plein de photos artistiques que ça représente des filles entortillées de leur délicate nudité. Bérurier n’a plus d’yeux dès lors pour autre chose.
— Vous avez rendez-vous, messieurs ? demande la soubrette.
— Non, mais je pense que Mme Barbara nous recevra. Il vous suffira de lui dire que je suis le garçon auquel elle a parlé, hier soir, au restaurant de La Cassolette.
La môme me file un grand coup de projo, histoire de me défrimer complètement, puis, sans mot dire, nous ouvre la porte d’un salon.