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La pièce est très intime. Canapés bas, moquette dont on n’a encore pas fait les foins, meubles laqués noir d’inspiration chinoise, éclairage tamisé, tableautins Louis XV, etc.

Chemin faisant, j’ai raconté à Béru l’avertissement que m’a lancé cette dame Barbara, la veille. Et sa proposition de me prendre comme modèle masculin.

Le Gros renifle l’air capiteux du salon. Il est comme charmé.

— Si tu voudras la vérité telle que j’la croive, me dit-il, c’te turne fait plus davantage songer à un bordel de lusc qu’à l’hôtel des Monnaies.

C’est très précisément ce que je me racontais dans mon for intérieur. M’est avis que le « Studio Barbara » est une maison faite pour. Je ne demeure pas longtemps dans l’expectative, car la porte s’ouvre et quatre très belles personnes entrent en file indienne. D’ailleurs, la première est indienne. La seconde est suédoise, la troisième belge ou française et la quatrième africaine d’après le Maghreb ou américaine de Harlem. Le tout beau choix, dont l’éclectisme en dit long sur le standing de cette maison.

Ces dames ont une courtoise inclination de tête et restent devant nous, dans des attitudes de mannequins. Elles sont vêtues fort élégamment, soit de tailleurs, soit de robes dernier cri. Leur maquillage ne le cède en rien. Et, rien qu’à voir leur maintien, on devine qu’elles ne sont pas allées pêcher leur vocabulaire dans le dortoir de l’Armée du Salut.

Elles attendent que notre convoitise nous dicte un choix — fort difficile au demeurant, vu la qualité des produits.

— Qu’est-ce j’te disais ! triomphe Bérurier. Non, mais t’as mordu c’cheptel, mec ? J’ai jamais trouvé de la viande pareille au boxif de not’ chef-lieu, que pourtant les putes étaient soigneus’ment sectionnées par Maâme Valentine, la sous-mac.

Il irradie, le Gros. Lance plus de feux que le « Régent » dans le faisceau d’un projecteur. Son œil dégouline de salacité, sa bouche de bave lubrifiante. Il renifle son extase et je vois trembler ses mains sur les accoudoirs de son fauteuil.

— Demi-tour à droite, droite, mes d’moiselles, plize, qu’on vous voye un peu la face cachée d’vos lunes !

Dociles, les quatre « hôtesses » nous présentent le dos.

— Videmment, balbutie le Mammouth, la solution de félicité, c’s’rait de grimper av’c la Noirpiote. Ou alors d’se payer un brin d’banquise à la langoureuse su’ la Nordiste. Pourtant, j’croye bien que je vais adopter l’Indouze à cause d’c’tatouage qu’elle a au front et de son cul en forme de console. Mouais, la bronzette me botte. Note qu’au cas qu’leurs tarifs cadreraient vouize nos budgettes, j’en mont’rais bien deux z’à la fois pour combler les temps morts. Tiens, la Suédoise, manière d’m’enflammer le bigorneau. C’est combien t’est-ce, vot’ comptée, les belles ?

La Française (elle a l’accent du seizième) répond :

— Nous ne nous occupons pas de ces questions, monsieur.

— C’est comme chez les espécialistes : on carme la secrétaire à la sortie ? rigole Béru. Bon, alors ça joue, y aura toujours des arrangeances av’c le ciel.

Il se lève et cueille les tailles de l’Indou et de la Scandinave.

Bérurier exit.

Les deux autres jeunes filles attendent mon bon vouloir.

— Mes chéries, leur dis-je, je ne voudrais pas vous offenser, mais ce n’est pas pour vous que je suis venu. En réalité c’est Mme Barbara que je souhaite rencontrer.

La Française a un léger hochement de tête.

— Barbara ne couche pas, voyons !

— Peut-être, en tout cas elle parle et c’est de paroles que j’ai besoin présentement.

Geste discret des deux, exprimant : qu’il en soit fait selon votre bon plaisir. Elles me quittent. Quelque part dans la maison, un monsieur doté d’un fort organe (au plan vocal du moins) se met à hurler qu’il part, qu’il part, qu’il part… Comme ça, jusqu’à ce qu’il soit arrivé.

Dont acte.

De chair.

Le silence revient.

La femme de chambre aussi.

Etonnée.

— Mais, monsieur ? elle proteste.

— Et quoi, ma ravissante, ne vous avais-je pas avertie que j’entendais être reçu par Mme Barbara ?

— Mais, Mme Barbara…

— Eh bien ? placé-je à bon escient, dans ce style incomparable des aimables feuilletonnistes du siècle dernier.

— Mme Barbara ne se dérange pas comme ça.

— Cependant, ma jolie, un bordel, ça se surveille de bien plus près qu’un pensionnat de jeunes filles. On n’y vend pas de marijuana dans un bordel ! On ne s’y soûle pas la gueule ! On n’y gougnote qu’à la demande du client. Et surtout, oui, surtout, l’on y parle un langage châtié. Toutes choses nécessitant une vigilance sans faille de la part de ses instances supérieures. Si cette maison est ce qu’elle paraît être, Mme Barbara ne saurait l’abandonner à son essor.

Mon discours paraît impressionner la soubrette. Elle branle la tête (car elle est en marge des activités de l’établissement) et murmure :

— Mme Barbara a tout de même ses jours.

— Quels jours ?

— Ses jours de détente. Ça lui arrive, de temps en temps, de ne pas descendre de la journée.

— Et celui-ci en est un ?

— On ne l’a pas vue !

— Raison de plus pour que je lui rende visite, moi.

— Oh, non ! Ça, surtout pas. Elle déteste être dérangée ces jours en question.

— Que fait-elle ?

La jeune ancillaire dérape de la prunelle et me ment fort courtoisement.

— Eh bien, elle… elle se repose.

— Je ne la dérangerai pas, vous savez. Quelque chose me donne même à penser qu’elle sera contente de ma visite car elle a fortement insisté hier soir pour que je vienne la voir.

Et comme elle hésite, j’ajoute :

— Allez vite, c’est très important, et comme toutes les choses importantes, cela urge.

Voilà ce qu’il convenait d’ajouter. La môme se remonte les loloches des deux mains et me laisse.

Au lieu de me laisser moisir la prostate au salon, je pars en expédition dans les étages : la femme de chambre n’a-t-elle pas dit que la Barbara n’était pas « descendue » ? Elle aime la flore, la belle cavale bordelière, vu qu’elle a flanqué de la plante dite verte partout. Ça philodendronne en exubérance sur les murs. Et puis il y a des caoutchoucs aux feuilles larges comme des palettes dans les angles. Et des misères pleureuses sur les meubles. Ça sent la serre. La plante d’appartement, moite et confuse, qui paraît trahir le règne végétal. Chaque porte de chambre est décorée d’une fleur peinte à fresque. Tu trouves de l’iris de Suse, du chrysanthème tubuleux, du glaïeul de Lemoine, de la rose Gloire de Dijon, de la tulipe de Greig, du dahlia globuleux, de la Belle-de-Jour, de l’azalée nudiflore et de l’helianthus. Ces fleurs ne sentent rien, certes, mais semblent soupirer. Y en a qui gémissent : « Encore ». D’autres qui supplient : « Plus vite ! ». D’autres qui exigent : « Prends plus haut ! » Et y a même le chrysanthème tubuleux qui gueule comme un con, et avec l’accent belge néanmoins, des : « Tiens, salope ! Tiens, salope ! » à t’en faire gicler les tympans. Et si je te disais encore : un lys Louise Martagon lance des « Rhhhoûa, rhhhoûa » pis qu’un lion qui essaierait de bouffer une côte de bœuf de chez Jacques Borel.

Un fauteuil Empire me propose ses abeilles. Je confie mon fessier à la soie verte et laisse pendre mes bras accablés sur les accoudoirs fuyants. J’attends. Une voix amie, dans ce tumulte culier, donne des directives avec infiniment de sang-froid et d’autorité.

— Toi, la mère, t’vas faire l’arbre fourcheux, que j’te déguste la case trésor, pendant qu’la potesse m’jouera Saint-Claude by night au fifre à breloques, vu ? J’espère qu’une Indouze sait tailler une pipe, mouais ? Av’c mécolle faut des dons, biscotte j’ai pas le module fakir, v’s’allez juger sur pièce. Bougez pas, v’là la truite à Chouvert. Bel objet, non ? soye dit sans me pavaner. Et encore elle commence juste à prendre ses zaises. Attendez qu’elle entrasse dans l’vif du sujet, la bourrique, et vous comprendrez qu’plus d’une bergère a dû prendre des démonte-pneus pour pouvoir qu’elle fasse coucouche-panier dans sa chaglate ! Sans parler des celles qui doivent t’ôter leur râtelier pour dévisser le capuchon à ma pointe Bic !