Valeureux et cher Bérurier, toujours apte, prêt, partant. Force de la belle nature à laquelle il joint sa sève personnelle… Tout est vrai chez lui. Tout est hymne. Il a la tranquillité d’un arbre.
Le radioreportage de ses frénésies sexuelles s’épand en ondes de choc sur les soupirs et suppliques râlés de la taule. Même quand il se tait pour claper la Suédoise, t’entends un bruit comme une meute qui mange sa soupe. Et il trouve, entre deux prises d’air, le moyen de commenter. Il ne marchande pas ses approbations. « T’as un goût de rosée, ma poule »… « Merde, c’qu’t’es hygiénique pour une pute ! »… « T’as une crinière comme un poney, ma grande ! »… « Hmm, y a bon la Suède ! »…, etc.
Je souris, indulgent. J’aime bien qu’un pote aille au fade. Il me semble toujours qu’il est comme épargné, le temps d’un instant… Qu’on ne lui peut rien. Comme si Dieu était avec lui.
La soubrette revient, maussade.
— Alors ?
— Elle n’est pas là, ça ne répond pas.
Moi, en ce moment, je déteste qu’on ne réponde pas aux coups de sonnettes. L’histoire de tout à l’heure, avec Mr. Blinsh, merci bien…
— Elle s’est absentée ?
— Il faut croire puisque…
— Vous semblez préoccupée, ma douce amie ? Effectivement, deux petites rides rendent compte de son souci, à l’angle de ses paupières.
— C’est-à-dire que, généralement, elle m’avertit quand elle quitte le studio.
Je sors mon sésame et le lui fais miroiter sous le blair.
— Qu’est-ce que c’est ? demande la soubrette.
— Un moyen de se rendre compte si elle est réellement sortie ou bien si elle s’est endormie avec des boules Quies dans les oreilles. Venez !
Faut croire que le silence de la Barbara la tourmente, Ninette, car elle me suit sans protester.
Je grimpe un escalier plus étroit que le premier, et recouvert d’une moquette velouteuse dans les tons cyclamen (les cycles financés par le Vatican). Il tortille un peu et va mourir dans une porte laquée bordeaux.
Sur cette porte une délicate main de femme, en cuivre, avec l’index replié comme pour un petit solo de clito. J’adore ce genre de heurtoir, et tu pourras remarquer que je l’utilise fréquemment dans mes polars. On a tous ses manies, hein ? Balzac, c’était d’écluser du caoua, Gide de se faire encaustiquer la porte étroite, Mauriac de nettoyer ses préservatifs à l’eau bénite, moi, c’est de foutre des heurtoirs de cuivre sur mes portes de suspense. Et puis on n’y peut rien et ça ne cause aucun dommage à quiconque.
J’ouvre cette porte presque aussi zézaiement que si elle n’avait pas de serrure. Mince, le pain de fesses, ça nourrit ! Je me trouve quasiment nez à nez avec un Dali de la grande époque, pas çui de la carte postale, son devancier. Un pas de plus, et c’est un Delvaux de toute beauté ! Mazette, elle vide les roupettes bruxelloises pour le bon motif, Maâme Barbara. L’adorable antichambre que voilà donc ! C’est d’un raffinement suprême. Son coin secret, pardon, elle a pas rechigné. Mourant, veux-tu que je te dise.
Mais enfin, je ne suis pas ici pour visionner ses toiles de maîtres ni son mobilier Louis XVI contre-signé, hein ?
L’antichambre est dans les tons bleu pastel. Une porte bleue avec mouluration blanche et poignée de porcelaine permet d’accéder à son séjour. La bonne s’apprête à l’ouvrir lorsqu’elle exclamationne :
— Oh, mon Dieu !
— J’arrive, dis-je.
Elle me désigne la poignée.
J’enlève mon sourire aussi prestement que les demoiselles d’en dessous leurs slips.
Le bouton de la lourde est poisseux de sang.
CHAPITRE VII
QUI EN VAUT LA PEINE
Des trucs pareils, crois-moi, rapprochent les individus.
Ainsi, la petite bonniche un tantisoit guindée jusqu’à présent, vient se blottir contre mon poitrail de gladiateur et balbutie : « J’ai peur », du même ton qu’elle emploierait pour me dire « Je t’aime ».
Grand frère tout plein, je lui pose la main sur l’épaule.
— Allons, allons, voyons, j’articule.
Content de ma prestation oratoire, je pèse sur la poignée avec mon sésame et l’huis s’écarte.
Je découvre illico ce que tu commençais à pressentir depuis déjà quelques pages, intelligent comme je te sais.
Oui : Barbara est défuntée.
Fallait. Ça s’inscrit dans la logique des choses.
Seulement, elle est morte d’une curieuse manière.
Que voici : on lui a attaché les mains derrière le dos. On l’a pendue au crochet qui déjà soutient la suspension. Et on l’a dénudée sauvagement, en lacérant sa belle robe d’intérieur qui gît à présent, en lambeaux, sur le tapis. Crime de sadique, sans aucun doute car on lui a pratiqué une horrible plaie au bas-ventre. A l’emplacement de son sexe, ce n’est plus qu’un horrible magma sanguinolent, tailladé, violacé, boursouflé et, pour tout dire, monstrueux.
La petite bonne cherche à hurler, seulement sa respiration se bloque au niveau de son larynx, elle fait comme un chien qui aboie dans un film muet, porte ses deux poings à son sternum, tourne de l’œil et se met en « Z » avant de choir.
Je m’approche de Barbara. Ses pieds en flèche se trouvent à pas dix centimètres du parquet, mais ça suffit pour être pendu. Je la contourne chouïa pour la voir de face. Du coup, c’est mylord ma pomme qui manque s’évanouir. Je mets du temps avant de comprendre. Car la chose est tellement effarante, si inhabituelle, surtout… si atroce… Barbara semble avoir, en guise de bâillon, une poire d’angoisse dans la bouche. Seulement, il ne s’agit pas d’une poire, mais d’un sexe masculin.
Et ce sexe masculin, blême, flétri, exsangue, c’est sur elle qu’on l’a prélevé.
Autrement dit sur « LUI » !
Barbara n’était pas une dame, mais un monsieur. Le plus ravissant des travelos. Peut-être son assassin a-t-il réalisé son rêve qui était d’être réellement femme ?
La soubrette suffoque. Elle a repris connaissance, mais question soufflets, ça s’arrange mal. P’t-être fait-elle de l’asthme aussi ? Je comprends qu’il convient de lui porter aide et assistance. Alors je fonce dans l’appartement, déniche la salle de bains, passe un linge sous l’eau froide et reviens lui bassiner le visage.
Elle se récupère un peu. Et alors, le grand cri sauvage qu’elle espérait lui part, libératoire comme un accouchement. Elle hurle sa trouille jusqu’au bout d’elle-même. Je la laisse faire. C’est une question vitale. Sinon elle allait clamser asphyxiée devant le cadavre de sa patronne.
Bon, ça va un peu mieux. Aux larmes à présent…
Je la traîne dans l’antichambre. Elle pleure contre mon cœur. Le moment est venu de lui distiller des mots réconfortants. Les plus glandus sont les plus efficaces, car seule compte l’intonation.
— Allez, petite… Allez, reprenez-vous. T’es mignonne… J’aime bien tes yeux. T’as un beau cul…
N’importe, en vrac, gentil, pour la ramener sur la berge… Elle me laisse haler. S’abandonne. Je voudrais, je pourrais la fourrer à sec sur le plancher. Seulement je n’en ai pas tellement envie. Tu te rends compte, ce pauvre être mutilé dans la pièce à côté ?