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Et Papa rengouffre dans les cagoinsses pour tenter de terminer ce qu’il avait commencé.

Moi, j’atterris dans une pièce à vivre, encombrée et fleurant le sur. La maman mate les débloqueurs télévisés depuis un fauteuil d’osier qui prend de la gîte. C’est une personne assez finie pour son âge, munie d’un appareil acoustique qui ne doit pas fonctionner, ou du moins insuffisamment, car ma venue ne la fait pas tressaillir.

Fort des recommandations paternelles, je traverse le séjour pour frapper à l’une des deux portes le concluant. Comme on ne me répond pas, je frappe à la deuxième. Me semble qu’on y joue une nouvelle version de Cris et Chuchotements. Mais il ne m’est point répondu d’entrer, alors j’entre.

Me trouve nez à raie avec un fessier masculin souligné d’un slip dans les tons bleu rêve. Un pantalon tombé compose le premier étage de la fusée, le dernier jouant à la lime folingue. La gente Gertrude est en train de se faire embroquer comme une reine au bord de son canapé-lit.

Ne s’est même pas déchaussée et ses mules mordorées sont comme les extrémités fléchues des aiguilles d’une montre indiquant dix heures un quart (sa jambe gauche forme un angle droit).

Elle profère des exhortations syncopées, pareilles à celles que je lui ai arrachées lorsque je me trouvais dans la position de Marcellin. La scène est pour moi une leçon de modestie. Ce derrière allant et venant constitue une sorte de projection de moi-même et son activité pistonnante me montre crûment la dérision de cette danse bestiale et si peu glorieuse lorsqu’elle est considérée de l’extérieur.

Marcellin fait « hanhanhan ». Puis il a un magnifique spasme qui lui permet de mettre sous presse et il s’exténue en beauté. Un léger temps mort lui permet de remettre de l’ordre dans ses idées. Après quoi, il débouche Gertrude pour en mettre dans sa toilette. Justement, la chambre de la pure jeune fille est pourvue d’un lavabo. Sans m’avoir encore vu (dans cet appartement, je me fais l’effet d’être le Passe-Muraille) le beau jeune homme aux cheveux carotte et à la carotte déconfite va se briquer Coquette au robinet. Il fourbit en conscience, comme une cuisinière lave une truite qu’elle vient de vider, soubresautant aimablement des noix pour que ses aumônières soient également de la fête, tout en chantant un petit air content de lui.

Gertrude, toujours allongée sur le divan, a laissé retomber ses jolies jambes. Un effet de perspective me donnerait à penser qu’elle a de la barbe, à découvrir ainsi la surface de son visage derrière la broussaille gastéropodée de son frifri ; mais je sais très bien qu’elle ne ressemble pas à Mme Soleil et que je ne suis que le jouet d’un angle farceur.

Pour dissiper cette impression pileuse, j’opère un léger mouvement avant. La môme en profite pour m’apercevoir. Elle se dresse brusquement, le rouge de la gêne au front.

— B’jour, balbutie-t-elle. Vous avez vu ?

— Très réussi, applaudis-je. C’est un coup franc et massif tel que le général Massu devait les aimer dans son jeune temps.

L’ablutionneur se retourne, le panoche enrubanné de mousse de savon. Il le tient à deux mains, ce qui est tout à son honneur. Avec cependant une certaine tendance à l’étirer, ce qui dénote de sa part un léger penchant à la tricherie.

— C’est Marcellin, me déclare Gertrude.

— Ravi, lancé-je au rouquemoute dont je constate seulement le strabisme plus que convergent. Je ne vous serre pas la main parce que les deux vôtres sont occupées, mais la cordialité y est, mon bon ami.

Ilopine (car il a des réserves) et entreprend de se polisher Mister Glandu avec la serviette-éponge achetée pour et qui tient tout droit, comme une sentinelle oubliée devant une porte moscovite pendant la retraite de Russie.

— Tu devrais refermer tes jambes, Trutrude, dis-je : ça produit un courant d’air.

Elle barricade son cloaque mondain avec cette fabuleuse docilité des connes en état de gêne.

— Navré de vous importuner, les amoureux, mais j’avais besoin de te parler, mignonne.

Elle acquiesce.

— Marcellin est mon cousin de Gand, déclare-t-elle, c’est pas mon amoureux.

— Pardonne ma méprise, l’homme est toujours enclin aux conclusions hâtives. Et sais-tu pourquoi, Trutrude ?

Elle répond que non en regardant à plusieurs reprises et alternativement côté cour, puis côté jardin.

— Parce que l’homme est un paresseux de l’esprit, Trutrude. Il va au plus pressé sans chercher à donner aux choses le prolongement qu’elles comportent.

— C’est bien vrai, que fait ma dindonne.

— L’homme voit des nuages au ciel et il croit à l’absence du soleil. Alors que, tu ne sais pas, Trutrude ? le soleil est simplement au-dessus des nuages. C’est pour tout pareil.

— Exactement, coasse la grenouille.

Marcellin a renfourné son outillage à loncher, et le voici redevenu cousin de Gand, bien honnête, très rouquin et plus loucheur que les deux tibias en croix sous la tête de mort d’un pavillon de corsaire[4].

Il attend, adossé au mur, les poings au bout des manches ; pas par belliquerie, mais parce qu’il ne saurait pas quoi fiche de ses mains.

— Trutrude jolie, murmuré-je en m’asseyant sur le divan copulatoire, quelque chose me fascine en toi, c’est le rayonnement de ton esprit. On devine, à te fréquenter quelque peu, que ce qui te rentre dans la tête une fois n’en sort plus jamais. A propos tu pourras aller faire tes ablutions dans trois minutes, je ne serai pas long. Je suis certain, ma Trutrude, que nous pourrions faire des expériences cérébro-spinales endémiques, toi et moi. Il y a dans ton toi second une considération obédiante qui concomite avec le mien. T’en rends-tu compte, mon enfant ?

— Beu… oui, bien sûr, répond-elle.

— Je ne te le fais pas dire ! La preuve ? Tu vas me la donner. Prenons ton travail par exemple.

Elle est ahurie, la chérie. La moulinette farcie, quasi nue en compagnie de cousin Marcellin, sous la photographie de sa défunte grand-mère et l’œil miséricordieux de sainte Gudule de Namur, vierge et (de ce fait) martyre. Et puis mon intrusion. Ma goguenardise aimable. Et ces questions saugrenues…

Le vrai instant baroque, quoi. T’as de la peine, une gentille connasse pas compliquée, d’assumer à la fois la honte et la surprise. Se garder le moule à farce fermaga en présence de deux messieurs qui t’ont carambolée l’un et l’autre et devoir subir la converse drôlement élaborée du plus intelligent en présence de celui que tu viens de découiller, ben, mon vieux, salut ! A la tienne !

Elle tente de faire front, mais je la sens éperdue.

— Gertrude, ma splendeur, ma merveille dont le cul est aussi expressif que la frimousse, je voudrais qu’en présence du cousin Marcellin, si gentil et bien chibré, tu répondes à ma question en moins de dix secondes. Non, je ne vais pas te demander la couleur du cheval alezan d’Albert Ier. Je vais me contenter de plonger dans ta vie professionnelle. Cousin Marcellin, soyez gentil, dites-moi un nombre de 0 à cinquante…

— Brzzz… gneuf… heurgggf… articule clairement le Gandin.

— 44 ? Vous dites 44 ? Soit. Prenons donc le 44 puisque vous le souhaitez, cousin. Trutrude, concentre-toi et en moins de 10 secondes, dis-moi le nom du type qui a loué le coffre 44 à la Banque Lisbrock.

Culotté, non ? Ou plutôt puéril. Je sais. Mais avec certains êtres, le mage Perlimpinpin passe pour Jésus-Christ.

J’ai pointé mon index droit contre son sein gauche. Ma prunelle irradiante lui donne à bronzer. Elle ramasse ses pensées, les enfonce dans sa mémoire. Je sens défiler des chiffres et des lettres, les chibres et les laides. Elle se récite des trucs… Elle murmure :

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4

La force de San-Antonio réside dans le raccourci de ses métaphores. (Bernard PIVOT.)