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Le prénommé Paul glisse d’autor les cinq francs dans la poche du poitringue. Puis, comme s’il prévoyait la suite, il se retire prestement. Fayol ouvre et ferme la bouche, pareil que quand on criait au secours dans le ciné muet. L’énorme barbu, avec une force que je te vas qualifier de surhumaine, étant pressé, et une adresse que je te ponctuerai de diabolique pour la même raison, balance une boule de l’haltère sur le temporal de Fayol que le coup phénoménal mortalise net et qui tombe du tabouret. Sans perdre une seconde, l’obèse lui fracasse la tronche d’un second coup de boulaga.

Puis il jette l’haltère sur le plancher, et ça fait un bruit caverneux.

— Les cafards, ça s’écrase, hein ? dit-il à ses mannequins. Débarrassez-moi le plancher de cette saloperie.

— Comme d’habitude ? demande le super-tondu.

— Evidemment.

Nous deux, Béru et moi, sur notre toit, on a visionné cette séquence sans intervenir. Tu voulais quoi ? Impossible d’ouvrir ces coupoles de plexiglas. Tapoter dessus pour alerter l’attention des meurtriers, ça ne pouvait que nous valoir de graves ennuis de leur part, vu qu’on est coincés sur notre perchoir et qu’il leur suffisait de se mettre à la fenêtre pour nous tirer. Et nous n’avons pas d’arme pour riposter. Tout ça, bon, manière de t’expliquer notre passivité.

Bérurier mate la tronche fracassée du pauvre Fayol. Elle est de guingois, kif un portrait dont le cadre a « travaillé » et qui bizancointe.

— Quand on me disait qu’une haltère désaltère, il ronchonne pour funèbrement oraisonner. Ce pauvre gus préférait sûr’ment les bib’rons dont j’lu f’sais avaler.

Je ne réponds pas. Je raffole de l’humour noir, mais je n’ai pas la moindre envie de plaisanter. Je suis pris d’une rage fiévreuse contre l’affreux barbu. Je songe aux mutilations qu’il a effectuées sur le pauvre Barbara, à ce sadisme élaboré qu’il s’est payé avec Fayol. Et un besoin intense de venger ces deux épaves humaines me noue tripes et gésier, muscles et cordes vocales. Je voudrais l’ouvrir comme un bahut normand, que sa boyasse lui sorte toute et qu’il la regarde fumer longtemps avant de clamser.

Mais revenons aux agissements de nos trois lascars, comme écrirait Dumas (de Cocagne) que par moments je regrette qu’il t’ait pas écrit les San-Antonio, ce con, afin que je pusse m’entièrement consacrer à la vraie littérature, celle qu’on écrit avec des pattes de mouches sodomisées. Mais Alexandre, s’il pouvait pas coller un « Holà, messire » toutes les trois lignes, il faisait une dépression. Or, qu’on le veuillasse ou pas, Santonio, c’est pas seulement des « Holà, messire » ou alors j’ajoute à cacheter. C’est pas d’infatigables bourrins sur lesquels un Etroit Mousquetaire emporte une Dame Bonacieux en croupe pour se l’aller calcer à l’auberge du Zob d’Etain. Et tu trouveras jamais Richelieu sans Drouot dans mes polars. Alors, donc, pas de regret.

Revenons, disais-je, très peu plus haut, à nos trois misérables.

Les péones au Barbu s’amènent avec une housse de plastique à tirette Eclair. Ils y logent dextéritement le cadavre de notre ci-devant complice et s’empoignent chacun une extrémité du pacsif.

Aplatis au bord du toit, nous les voyons opérer. Ils amènent l’auto qui tenait compagnie à la Porsche blanche (une Machin-Rover, haute sur pattes) devant la porte de l’institut. Et puis ils flanquent Fayol. Et en route !

On attend un brin d’instant. Les deux coupoles s’éteignent. Jef Inidschier quitte la salle de culture physique pour gagner ses appartements. Sa tenue (un kimono) me donne à croire qu’il habite son « institut » d’abattage clandestin.

Trèsbien. Nous redescendons du toit. Je m’active avec mon sésame. Mais zhélas, la porte est munie d’un verrou très véhément. Alors on est marron pour entrer par là. Les fenêtres sont pourvues de volets de fer. J’essaie de taquiner ceux du rez-de-chaussée, mais sans barre à mine ni chalumeau, t’as le bonjour d’Alfred (pas d’Alfred Sauvy, mais d’Alfred Hitchcock).

— On est refaits dans l’immédiat, soupiré-je.

— A moins qu’on s’le baise en canard, suggère le Gros.

Il a des inflexions pleines d’éloquence, Babar. Moi, à l’oreille, comme certains bûcherons détectent l’essence d’un arbre au bruit de son feuillage agité par le vent, je sais qu’il a trouvé la solution. Ça s’entend nettement.

— Tu proposes quoi ?

— Fais semblant d’y faucher sa Porsche, en bricolant l’allumage. Tu parles qu’il va se radiner presto, av’c son tablier de sapeur au vent. Moi, j’s’rai plaqué cont’ la lourde. Sitôt qu’il sortira j’lu déguste mon kilo d’osselets dans la margoule. Surtout, planque-toi bien, car c’est le genr’ d’gonzier très capabl’ de t’allumer sans assommation.

Ingénieux. Il a son tas de choucroute traversé d’éclairs, mon Béru.

— Essayons, admets-je.

Sa Majesté se baisse et cueille quelque chose sur le sol.

— Tu diras pas qu’l’bon Dieu n’est pas av’c nous ! fait-il en m’exhibant un gros boulon qui, aussitôt, sert de noyau à son poing.

CHAPITRE X

AUQUEL TU NE POURRAIS RIEN ÔTER !

Ça se passe en deux temps.

Au premier, dès que le moulin de son bolide ronflote, l’immonde barbu jaillit à une fenêtre et se met à gueuler :

— Foutez le camp ou je tire.

Moi, planqué derrière le capot, j’attends qu’il défouraille, mais je ne crois pourtant pas trop à sa salve, parce que je pense qu’un bonhomme qui vient de faire évacuer de chez lui un cadavre devenu cadavre par ses soins, n’est guère soucieux de rameuter un quartier à coups de flingue, ni de voir rappliquer la police.

Mon calcul est juste. Ça ne praline pas. Le vilain quitte sa fenêtre, ce qui veut dire qu’il est déjà en train de cavalcader jusqu’à la porte.

Moi, accroupi au ras du pare-chocs avant, je guigne attentivement l’entrée. La loupiote du perron s’éclaire. Je vois mon bon Béru, monumentalement en haut-relief, à gauche de l’huis. J’espère que le gorille à barbe sera suffisamment fougueux pour ne pas s’arrêter sur son seuil.

Tu parles qu’il l’est !

D’où je suis, je l’entends arracher les verrous en gueulant de vilaines invectives que, par respect pour mes amis belges, ça me ferait chier de répéter ici, comme quoi il va m’arracher la tête, me manger les testicules et que maman est une ceci-cela qui m’a eu avec un bouc, tout bien, quoi !

Et puis il sort, toujours drapé dans son kimono et dans sa barbouze. Et ce qui lui arrive, il ne s’en rend seulement pas compte, tellement qu’il est rapidos, le Béru, quand il veut vraiment. Son coup, je le vois se préparer, partir, arriver. Un demi-moulinet arrière. Et puis le poing féroce qui se pointe en pleine barbe, entre la bouche et le pif selon mon approximation. Le gnon claque comme une cassure du col du fémur dans une salle de bains de général en retraite. Et le sieur Jef Inidschier a un drôle de cri de pintadeau, genre : blllblll ! Reste pantelant debout, ses bras identiques à ceux d’un primate regardant Tarzan enfiler Jane. Les yeux comme s’il y avait deux doubles blancs dans sa boîte à dominos. Vraiment vertical par habitude et parce que son centre de gravité il l’a au cul, Jef. Alors ça lui compense les vertiges, mais pas pour des années, espère ! Car Bérurier a pris du recul, tel un Gallois qui cherche à transformer. Et ça passe entre les poteaux, pile au milieu ! Le plus sérieux coup de saton dans les parties, parties pour lors sans laisser d’adresse. Cette fois, y a plus de centre de gravité qui tienne : le meurtrier de Fayol tombe en renverse. Le Gros entre, le tire à l’intérieur de l’institut.