Il me fixe de ses globes plus rouges que never.
— Va te faire fourrer, grande lope !
C’est suicidaire comme attitude, tu ne trouves pas ?
Y a des gens, commak. Pourtant, un grosse gonfle vicelote comme lui, on pouvait espérer qu’elle flancherait rapidement. Un gars pourri, sadique, meurtrier, ça n’a rien d’un Bayard. Note que Bayard, hein ? Y aurait fallu le voir dans la même situation. On lui aurait filé un boisseau de fourmis rouges dans l’armure, à Marignan, il moulait aussi sec le François Pommier pour aller se faire déculotter au chalumeau oxhydrique, je garantis. Et pourtant, cézigue, il raffolait les rois puisqu’il en a servi trois avant de se faire allonger comme un gland sous un chêne.
Mais comme l’écrivait encore mon bon maître Roland Dumas (pardon, j’voulais dire Alexandre ; Roland, lui c’est pas un auteur, c’est un mousquetaire) revenons à ce problème préoccupant qui est le nôtre.
L’initiative est laissée à Bérurier, lequel, en auxiliaire zélé, fait très bien son sévice.
Au fond du local se trouve un sauna. En face du sauna, il y a une sorte de piscine minuscule, de trois mètres sur deux, pas davantage, dans laquelle se trempent les ébouillantés après leur séance de suffocation.
Le Gros va s’assurer de la profondeur de ce trou : environ un mètre soixante-six.
Il chope l’haltère liée aux pieds de Jef et se met à haler. Le reste suit : l’ex-barbu et le deuxième haltère.
— Où est-ce que tu hales ? m’informé-je.
— Tu pourrais m’donner un coup d’main au lieu de curiositer, ronchonne le haleur (qu’il est).
Inutile, le premier haltère est déjà au bord de la piscine.
— T’sais pas, dit le Mammouth à l’Incendié, j’vas virguler c’te bricole dans l’eau. Ça va t’faire de la longation des cannes, déjà qu’t’as le pot d’échappement au ras du gazon. J’suppose qu’tu pourras pas résister longtemps. Si tu voudras qu’on stoppe la manoeuv, tu dis « pouce » et tu réponds aux questions d’monsieur qu’voilà.
Il exécute son plan. Le premier haltère bascule. Ça flanque une secouée noire au vilain. Il rehurle, se cramponne, grimace. Il est happé par le poids inexorable qui l’attire vers la piscine. Ravaillac, Damiens, priez pour lui ! Sans ambages, il va devenir sans jambage, comme un « o ».
— Non ! J’peux pas ! qu’il dit ! Je peux pas !
— Tu vas causer ? demande bonhomme Béru.
— Ouiiii… arrêtez ! Je glisse, arrêtez !
Pépère retient le deuxième haltère.
— Alors grouille-toi de jacter, mon pote.
— Ouiiii… Qu’est-ce qu’il faut dire ?
— Pourquoi as-tu tué Barbara ?
— Mais… mais non… Je n’ai pas tué Barbara…
— Tu voyes l’à quel point il ostine ? fait Bérurier en relâchant l’haltère.
Ce qui suit nous surprend plutôt. Tout ce qui est fortuit surprend, quand bien même ce serait prévisible. En abandonnant la tige de l’haltère, le Mastar, sans le faire exprès, lui a imprimé une secousse. Et voilà les deux roues qui se mettent à tourner. Jef Inidschier file droit dans la flotte, avec l’énorme poids comme bouée de sauvetage. Plouf, et plouf ! Plus rien que des bulles à la surface du mouilloir.
— Merde !
Onsepresse. Dans le fond, y a enchevêtrement d’haltères et de gros mec en noyade. Il peut pas remuer. Juste sa bouille éperdue qu’efforce de se tendre vers la surface. Je pose ma veste prompto, puis commence à dégrafer mon bénoche pour lui plonger à la rescousse.
— Haut les mains ! hurle une voix de ce que tu voudras, de stentor tiens, si ça peut te faire plaisir.
On volte-face.
Ce qui se présente à nous, c’est une grosse dame en limouze de nuit et fusil de chasse.
Elle a les pieds nus, pas très propres, mais ça vient peut-être d’un effet d’optique consécutif à ses varices. Elle est grosse et ressemble fortement à l’ancien barbu. Son flingue est un Crémieux-Dugenoux à lunette, conçu et réalisé pour la grande chasse. Les pruneaux qu’il éjacule doivent faire dans la viande des trous grands comme le rire à Canuet.
— Qu’est-ce que vous faites là, une fois ? elle demande avec un accent si fort et si belge qu’elle postillonne des frites en causant.
— Nous voulons aider Jef à sortir, dis-je.
— Je vous connais pas, une fois !
— Nous pourrons faire connaissance dès qu’il sera sorti, ajouté-je en me tournant vers le trou-piscine où Inidschier émet à présent des bulles pas plus grosses que dans une flûte de champagne.
— Bougez pas, une fois ! hurle son ogresse de maman, car s’il ne s’agit pas de sa mère, la personne au fusil ne peut être que la sœur jumelle de celle-ci.
Je rectifie la position en songeant qu’il est triste pour une vieille maman de provoquer sans le savoir le décès de son garçon. Enfin, j’espère pour elle qu’elle possède d’autres enfants mieux réussis !
— Où est Jef, une fois ? elle a la bonne idée d’enfin demander.
— Dans la piscine, madame, et je me proposais de l’en tirer lorsque vous eûtes la mauvaise idée d’intervenir.
— Quoué ? elle s’abasourdit.
— Venez voir, maintenant il faut faire vite !
Cette fois, elle avance, le fusil sous le bras, ne songeant plus à en presser la détente. Elle aperçoit le gros silure crevé, dans l’eau savamment régénérée, à la surface duquel court un friselis.
Elle se met à glapir d’horreur maternelle, la pauvre.
Puis elle se calme :
— C’est pas Djééf, assure-t-elle : çui-ci, une fois, il a pas de barbe.
— Ne touchons à rien, préconisé-je, et appelons les pompiers. Tu viens, Béru ?
On abandonne la vieille dame à sa louche contemplation. Pas jojo, un noyé rivé au fond de l’eau, tout boursouflé, convulsé, exorbité, retroussé et le reste…
Ouf ! L’air vaporeux de la nuit nous dissipe un peu ce début de mélanco. Je réalise piteusement que je n’ai rien pu tirer du gros Jef. Il est mort avec ses secrets.
Si Mémère n’était pas venue nous faire son numéro de « Halte à l’envahisseur ! » une partie du voile, etc.
— J’ai à la fois soif et sommeil, soupire Bérurier en se dirigeant vers la strada.
— Minute !
— Quoi ?
— On va jeter un œil dans la Porsche.
J’effracture la porte et me mets à explorer la boîte à gants, le vide-poches (en l’occurrence vide-Porsche), le dessous des sièges. Nothing ! Après cela je passe au coffre. La trousse à outils, le cric, une boîte en carton contenant des chaînes pour la neige. Qu’est-ce qui m’incite à vider tout de même la boîte ? T’es en mesure de m’expliquer, toi, le fin psychologue ? Donc, je renverse le carton. Les chaînes forment sur le tapis du coffre une espèce de grosse bouse métallique. Je la tripote pour écarter ce serpent de maillons un peu graisseux. Rien.
A cet instant précis, comme il est dit dans la vraie littérature d’action, une vive lumière éclaire l’impasse. Produite par les deux phares de la Maryland-Rover-Machin-Chose que je saurai jamais le nom de ces camions de déménagement déguisés en bagnoles pour gentleman-farmer.
C’est les péones à feu Jef qui reviennent de leur morgue’s partie.
Le conducteur pile sec en apercevant Béru planté devant la crèche du patron.
L’un des deux vilains sort en catastrophe et court au Mastar. Un gros feu musclé brille dans sa pogne de chourineur.
— Qu’est-ce que tu fous là ? demande-t-il avec une réelle âpreté.
Bérurier est moins bon dialoguiste que Pascal Jardin, aussi se contente-t-il de répondre :
— Et ta sœur ?
— Je vais te la présenter, riposte l’autre, qui mène ainsi par un à zéro.