Il fait signe à son copain d’éteindre les calbombes. Noir complet. Le conducteur rejoint le duo. Et puis, c’est comme dans une comédie italienne : la fenêtre s’ouvre au premier et la mamma Inidschier paraît en clamant :
— Au secours, une fois, au secours : y z’ont tué mon Djééf !
Tiens, elle a enfin réalisé, la vioque !
— Taisez-vous, Moumoute, on est là ! intime et rassure le carabinier.
Puis, au Gros :
— Lève les bras et fais demi-tour !
Bérurier lève les bras, fait demi-tour, et place une ruade de pur-sang dans le bide de son tagoniste. J’sais pas la marotte de mon adjoint, si parfaitement bien membré qu’on l’a surnommé « Queue-d’âne », de si souvent s’attaquer aux bas morcifs de ses adversaires. Leur satonner les prunes d’importance, sans jamais se lasser. Des coups de pied retournés, comme maintenant, ou bien des drops aériens, et puis des tirs francs, tout ça… Les claouis, c’est sa vraie friandise, Bérurier.
Le gnard s’allonge en verdissant, trépignant et tu connais la lyre, les séquelles d’un parpaing dans les burnes malgré la minusculité des tiennes, mon pauvre lapin ? Ton peu suffit à te renseigner sur la dolorance qui peut consécuter d’un coup de pied de bourrin à cet endroit plus faillible que le talon d’Achille, ce con !
L’autre bonhomme (c’est l’architondu), dégaigne un truc dangerous de sa vague. Un engin que je n’avais encore jamais vu, même au Salon de la Découverte, ou au Concours Lépine (de cheval, bien sûr).
C’est comme un manche de bambou d’une vingtaine de centimètres ; il le secoue et une lame télescopique en jaillit, longue d’un bon mètre. Il se met en garde.
Le Gros, surpris, considère cette étrange épée sans paraître y croire. Mais mézigue, je comprends le danger. Je l’sentais que ces deux fromages étaient d’anciens moniteurs ou maîtres d’armes : leur allure, leur gueule d’adjudoche… Entre ses mains, une telle lame est infaillible pour qui n’a pas de feu à lui opposer. Et tu parles, Mister Pépère, cette cible qu’il offre !
Alors je biche le paquet de chaînes. Le tintannabulage interrompt les sombres desseins du scalpé qui mate dans ma direction. Mais je suis dans l’ombre. Le tas de chaînes va se baguenauder dans l’obscurité. L’épéiste esquive, du moins les chaînes s’entortillent-elles après l’épée rétractile, laissant pour lors le champ libre à Béru. Son une-deux au glabre menton du Tondu assurerait sa gloire s’il l’administrait sur le ring du Palais des Sports. Pourtant, l’autre est coriace. Il a dû morfler d’autres taquets de ce tonneau au cours de sa vie cabossée. Il rompt mais ne plie pas, car il n’a rien du roseau pensant. Béru veut suivre, marche sur le paquet de chaînes, trébuche. L’autre, à la volée, lui met un coup de pied à suivre à la face. On dirait qu’on fiche à la renverse une boîte de dominos. Mon pote mord la poussière. Attends, c’est pas fini, referme pas le bouquin ! Le vilain tondu ramasse son épée. La retire de l’entrelacs de maillons. Veut planter le Gros au sol, tel un coléoptère. Et tu crois que l’Antonio de tes deux va laisser fiche ?
Pas de ça, Louisette ! C’est la trousse à outils, troulalaiti, qu’il chope et s’élance avec. Poum ! Le mec s’écroule, parce que quand tu reçois à la vitesse Mach 2 : trois clés à molette № 8-16-32, deux tournevis modèle 63 b et 89 z, un marteau en fer, une clé à bougies en acier remoulu, une tige de cric à double interligne, une pince Notre-Seigneur, une tenaille à manches isolants, et un tas d’autres vacheries que je serais bien en peine de t’indiquer l’à quoi qu’elles peuvent bien servir, étant de nature plus bricolé que bricoleur, oui, quand tu reçois tout cela, élégamment présenté dans une trousse de toile noire, à la base du crâne, eh ben tu tombes raide et voilà.
Donc, nous sommes maîtres de l’impasse et du coup, de la situation. J’aide Bérurier à se relever. Et c’est alors que mon bon ange (c’est ainsi que je nomme le gonzier qui m’arrange les bidons) fait des heures supplémentaires sous la forme dont je vais.
Là, près du gars allongé, parmi les outils dispersés par l’impact, accrochée à l’une des fixations de la chaîne à neige, une espèce de petite médaille remue doucettement. Le surnaturel, tu sais pas ? C’est à cause d’un rais lumineux qui tombe droit dessus, en provenance de la fenêtre du premier, et l’éclaire comme une icônerie dans une orthodoxie. Je pèse mes mots : sur-na-tu-rel ! Le hasard qu’il falle pour que ce pinceau de clarté se soit posé sur cette petite chose brillante. Et, dis donc, avant d’en arriver là : que j’eusse eu à propulser ces chaînes ! J’ai connu un monsieur, il avait pêché une montre Louis XVI dans l’Yonne. Tu te rends compte, ces millions de milliards d’improbabilités pour que son con d’asticot passe par la boucle de l’oignon, qu’ensuite un poisson se le goinfre, et puis qu’il ramène le tout, ce pêcheur miracle[5] ? Ça flanque le frisson, hein ? Comme lorsque tu calcules combien il faudrait de zizis comme le tien, mis bout à bout, pour aller de la Terre au Soleil.
Enfin quoi, c’est la vie, non ? Moi j’y peux rien.
Et l’objet qui brille, si je te le compare à une médaille, c’est bien pour dire de t’emmener en barlu, te fourvoyer la crédulité. Je connais mon métier de suspenseur. Je t’aurais dit tout de go qu’il s’agissait d’une clé, ça perdait de son envoûtement. Pourtant c’est bien d’une clé d’acier brillant qu’il est question. Une clé que je reconnais car elle ressemble comme une cousine jumelle à celle que m’a remise la Gertrude à la banque, quand je me suis fait ouvrir un coffre et que je l’ai embroquée contre, cette poulette.
Je la décroche, comme on prend un fruit mûr à la branche dont il est sorti et qu’il allait larguer.
Elle porte le numéro 44.
CHAPITRE XI
QUI APPARTIENT AUX PLUS BEAUX DE MA CARRIÈRE[6]
La sirène d’une voiture de police retentit dans le silence de la nuit. Sûr que la maman Inidschier a prévenu la Poule. Fallait s’y attendre.
— Vite ! lancé-je au Gravos, lequel s’éponge le visage avec du papier hygiénique qu’il pique dans les restaurants afin d’emporter les reliefs (non de ses repas car il n’y a pas plus de reliefs dans l’assiette du Gros que sur un court de tennis) des voisins de table.
Il pige et se hisse dans la Land-Erneau-Rover. Me voici au volant. Manœuvre rapide. Je l’arrache de l’impasse tragique (comme l’écriront les baveux de demain) et m’engage dans la rue des Frères Paul Kenny (surnommé le Malin, parce qu’il est de Malines). A l’instant précis, la Volkswagen à phare tournant de la police se présente. Je lui fous mes loupiotes en grand et j’appuie sur la girolle. La bagnole flicarde freine pour se laisser croiser. Doit y avoir tempête sous les crânes des trois poulagas se trouvant à son bord. Il y a bulle puisqu’il y a cons, et au bout d’un assez bref conciliabule, deux flics sortent de la tire cependant que le troisième opère une époustouflante volte-capot, histoire de nous courser.
— J’ai idée qu’on n’est pas encore au plumard, soupire l’Endommagé.
Il n’est rien de plus fastidieux qu’une poursuite en voitures, la comtesse de Sussmela me le disait encore pas plus tard que naguère. Fastidieux pour qui la visionne dans son fauteuil de cinématographe, fastidieux aussi pour ceux qui l’exécutent. Foncer, le pied au plancher, éviter les embûches de Noël et les autres tout en gardant un œil dans son vadérétroviseur (Satanas), prendre des virages à la corde, suer du dos, se cogner le front au pare-brise à cause des freinages en catastrophe, ah, Dieu, quelle corvée.