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Et en bas, quand elle lui a montré son coffre, dites donc, d’autor la main au réchaud, plouf ! Un tombé sur la moulasse ! Mais il a la plaisanterie pour faire passer. Elle a jamais voulu accepter l’embroquée franco-belge, Trudette ; juste une petite pogne amitieuse parce que c’est mon camarade. Et point à la ligne. Par exemple, elle a été commotionnée par ses surdimensions. En général, les Gros, ils ont pas la quéquette à l’échelle. C’est fréquent que les plus monumentaux te sortent de leur pantalon pour éléphant des navrances d’aspect auriculaire. Les potirons ont des petites tiges ! C’est la nature et ses fantaisies.

Elle gazouille. Je l’écoute. M’est avis que, demain morninge, tout devrait coller. Y a pas de raison : intelligent comme je me sens et conne comme je la vois…

* * *

Et à présent, le grand moment est arrivé. Çui que l’préposé des pététés va te déposer le Père Noël sur le paillasson.

8 heures 5

Gertrude Sambrémeuze sort de son nachélème. Elle est sanglée (comme ils écrivent) dans un imperméable marron gancé de rouge très very nice dans son genre. Ses cheveux sont tenus par un foulard tango. Elle a un sac à main en bredouillère (comme dit Béru). Son vieux papa l’escorte jusqu’au hangar à vélo de l’immeuble où il va chercher son mode de locomotion usuel. Elle, elle file vers l’arrêt du bus. Et c’est avant qu’elle ne l’atteigne qu’un très léger tagadagada-tsointsoin joué sur mon avertisseur la fait se retourner. Ma portière est déjà ouverte. Elle se précipite, engouffre, me saute au cou.

— Quelle bonne surprise, petit loup !

Le petit loup y va délibérément dans le mélo et même le méli-mélo.

— Je ne sais pas ce qui m’arrive, Gertrude, mais je suis fou de toi. Ta chère présence, ni nana nani nanèèèèère…

Une fille qui entend cette musique, surtout de la part d’un bon queutard voituré, alors qu’elle allait prendre le U 86, tu parles d’un effet sur son système glandulaire…

Qui dira jamais suffisamment l’impact transcendantal de la voiture à essence sur le clitoris des jeunes filles modernes. Ma dextre fouineuse lui va droit au trésor et le lui pétrit à travers cette infâme pelure d’oignon judicieusement baptisée « collant ».

Je continue, tout en conduisant de la gauche, à lui débiter de ces sornettes d’alarme qui font chmolquer les cœurs fragiles, les âmes candides et les slips.

Comme quoi la rosée du matin c’est de la boue pestilentielle par rapport à elle.

Comme quoi de penser à elle me fait bronzer tant elle est rayonnante intensément.

Comme quoi ceci.

Comme quoi cela. Tout bien, sans rater une seule épithète mouilleuse, un verbe déferleur, un adverbe sorceleur. Que je me donne à fond. Pur morcif d’anthologie pour manuel d’intellectuel anémié. Et le reste. Mon futal dont elle constate l’appartenance au cirque Jean Richard. Mon médius qui tourne médium, à lui scramouler la bagouze à col de fourrure. J’en passe…

Et puis, vu que mon automobile lui a fait gagner du temps, on met celui-ci à profit pour boire un café avant son boulot. On trouve un bistrot à stalles discrètes. Quand nous sommes servis, je lui roule une galoche asphyxiante en versant subrepticement le contenu d’un mignon sachet dans son caoua. Bien sucré, tu t’aperçois de rien. A preuve c’est qu’elle écluse tout le contenu de sa tasse. Alors l’heure du turbin arrive, car une heure de quelque chose finit toujours par sonner. Elle me quitte pour sa banque. Je lui annonce qu’elle aura probably la visite de mon ami, lequel a des documents à serrer dans son coffiot. Et on se promet des rancards imminents, des troussées folles, un amour au moins éternel.

* * *

10 heures 14

Il s’opère un léger remue-ménage dans les boyaux de M. Van De Boo. Une tourmente discrète qui le sollicite, l’induit à se dématiériser. M. Van De Boo est un homme dont la vie est réglée jusque dans son gros côlon. Quelque chose de ténu, qui ressemble à du bonheur, se coule en lui. Il sait qu’il est l’heure. Il a La Libre Belgique pliée menue dans la poche intérieure droite de son veston. Il en a lu les titres, la rubrique nécrologique et l’article de fond dans l’autobus. Aux chiottes, il potassera la rubrique à Bracque consacrée à la philatélie, car M. Van De Boo aime le timbre de sa vaillante nation à en ramasser les enveloppes sur les trottoirs pour que ne soit pas gâtée la petite vignette qui l’angule. Il possède tous les timbres belges, depuis les Atrébates jusqu’au présent roi Bédouin, en passant par l’époque de la Lotharingie et par le règne de Joseph II. Le timbre est le frêle îlot où se réfugie M. Van De Boo, en dehors des chiottes de la Banque Lisbrock. Voici quelques années, une quinzaine déjà, M. Van De Boo déféquait chez lui avant de se rendre au travail. Mais à la suite d’une colique, il fut amené à connaître les vécés de sa banque et il en eut le coup de foudre. En effet, les toilettes de cet éminent établissement sont, n’ayons pas peur des mots, luxueuses. Elles représentent tout le faste, toute la pompe (à merde) d’une civilisation aboutie. L’hygiène, le confort, la décoration des lieux, font du lieu un havre propice à la méditation. Dès lors, M. Van De Boo entreprit de discipliner ses entrailles en les retardant de deux heures un quart. Il dut lutter, pour réussir la profonde restructuration de son mécanisme digestif. Il eut bien des alarmes, connut moult affres, surmena dangereusement son sphincter, le contraignant à des prouesses qui défigurèrent parfois ses slips Rasurel.

Et puis le résultat vint. La ténacité implacable dont il fit preuve porta ses fruits. M. Van De Boo réussit à chier à dix heures quinze au lieu de huit. Car rien n’est impossible à l’homme déterminé.

Pourquoi ce martyre, me demanderas-tu, alors que la banque Lisbrock ouvre à neuf heures ? L’homme pouvait donc gagner soixante-quinze minutes sur le nouvel horaire qu’il s’infligeait. Nenni, mon ami, car M. Van De Boo, bien que chef, comme tout chef est assujetti à d’autres chefs. Son supérieur direct est M. Frickmann, le vice-fondé de pouvoir, personnage vétilleux pétri d’intransigeance. Déféquer pendant un quart d’heure, au cœur de la matinée et ce quotidiennement, provoquerait des remarques désobligeantes de la part de Frickmann. Heureusement, celui-ci se consacre au courrier de dix à onze, avec interruption de quinze minutes pour la petite pipe que lui fait Mlle Tugobbes, sa secrétaire. Ce quart de plombe était donc le seul laps de temps que M. Van De Boo pouvait mettre à profit.

Et voilà.

Alors il est 10 heures 14 et M. Van De Boo se conditionne pour sa grosse. Il recapuchonne son stylo, les pointes feutre se déshydratant très vite. Il écoute voluptueusement le gargouillis de ses tripes. Il sait que tout se passera bien et que ce sera bon. Il contrôle l’heure une seconde fois. Tire sur ses manchettes amidonnées. Jette un regard rassuré sur les écrans où s’inscrit, dans son intégralité, la rébarbative salle des coffres. Se lève. Il sourcille en voyant Mlle Gertrude Sambrémeuze dans les nuages, contemplant les évolutions d’une escadrille d’anges. Les femmes ne sont pas des humains normaux, selon lui. S’il était seul maître à bord, il n’engagerait que des hommes et t’expédierait toute cette racaillerie fendue à ses Tampax. « Heureusement que j’aie envie de “faire” », pense le misogyne en louvoyant jusqu’aux toilettes.

Il disparaît.

J’entre.

La môme Gertrude a les châsses en piège à mouches. Un voile est tombé sur sa vue. Pourtant elle me distingue.

— Vous ! elle exhale.

— Chérie, je n’y tiens plus. J’en ai une comme un démonte-pneu, j’ai beau me la passer sous l’eau froide, je continue de vous aimer.