— Tu ne viendras pas parce que Fayol te connaît, suivant tes propres affirmations, mon bon goret. Et que ça la foutrait mal si on se faisait dépister d’entrée de jeu.
— Pourquoi le Fayol irait-il à la banque ?
— On ne sait jamais. Deux précautions…
— Valent mieux qu’un tiens, tu l’auras, complète le Mammouth qui sut toujours dépuzzeler les proverbes les plus efficaces de notre chère langue.
Il soupire.
— Puisqu’il en étang scie, j’vais charger un peu la Japonaise qu’on a vu morfondre au bar de l’hôtel. Depuis lulure je m’ai pas embourbé de Japonouilles. Ça m’changera un peu des jambons à la Berthy. C’te petite mère, av’c sa bouille ronde, sa tignasse façon pièce montée et ses stores en code, j’essayera de la calcer en danseuse, les mains en bas du guidon. Ça mouline, ces machins-là !
Content de sa décision, il abandonne son nombril excavatoire pour se dynamiter un vilain bouton, sommé de blanc tel le Fuji-Yama, qui se complaisait dans la pliure de sa cuisse.
Je le laisse débulonner pour aller louer un coffre à la Banque Lisbrock.
Et puis, bon, tout ça…
L’employée qui me loue le coffiot est une toute ravissante jeune Flamande, fardée belge, mais avec mesure. C’est-à-dire que son rouge à joues n’est que pourpre au lieu de violine, et son à lèvres orange au lieu de vert pomme. A part ça, elle est grande, moulée impec, lolochée de first. Sa chevelure blondasse ferait le bonheur des Carita’s sisters, tant c’est bizarre, jamais vu, tortillé machin, avec des zouzous et des trucs, et, en plus, des guiches dégoulinantes, tombant en rideau. C’est à la fois Joséphine de Beauharnais, Bardot des années soixante, Pauline Carton des années folles et le mime Marceau à Fleurus. Seulement elle se traîne un cul comme çui d’une jument laboureuse et des nichemards qui te donnent à croire que t’admires le Ballon d’Alsace en étant beurré à bloc.
— Un grand ou un petit ? elle me demande avec un merveilleux accent mélodieux.
Je lui rétorque qu’un petit satisfera mes besoins. J’assortis d’explications superflues, mais créatrices de cordialité. Je suis parisien, je travaille beaucoup avec la vaillante Belgique, et pour m’éviter de coltiner sans cesse des documents ou valeurs qui, que, je… Elle fait semblant de comprendre et m’explique le fonctionnement des coffres. Tout se commande depuis là qu’elle est (c’est son expression). Une série de touches numérotées correspondent chacune à un c.f. Lorsque je me présenterai, il suffira que je m’annonce, signe une fiche, présente ma clé. Et, sans quitter sa place, la môme débloquera la porte d’un ascenseur qui me descendra directo dans la salle, puis l’ouverture de mon coffre qu’il ne me restera plus qu’à ouvrir avec ma clé. Elle va descendre pour me montrer l’emplacement du compartiment 618 qui m’est dévolu contre une somme raisonnable.
Et nous empruntons l’ascenseur à commande téléguidée. La petite grand-mère sent le parfum inscrit dans les produits « aktion » d’un grand magasin. C’est à base d’essence de violette et de térébenthine, ça pue fort, loin et longtemps. Une gonzesse qui s’est ointe le lobe de ce truc suffit à embaumer la gare Saint-Lazare.
— Vous sentez le printemps, je lui gazouille.
Elle fait deux ou trois « arrr arrr » avant de murmurer :
— C’est gentil.
Puis, la converse étant engagée, elle murmure :
— Qu’est-ce que c’est, cette grosse chose à votre boutonnière ?
— L’ordre du Véribigzob, mon petit, une récompense pour services rendus à l’Iran. C’est Sa Majesté le Shah qui m’a décoré de ses propres mains pour me remercier d’avoir introduit l’ouvre-boîtes Moulinex sur les rives du golfe Persique.
— C’est très joli, on dirait comme un œil.
— C’en est un, ma jolie : celui de la déesse Fign’dé.
Eh oui, archi-oui, c’est vraiment un œil, puisqu’il s’agit de l’objectif de mon Sktekon à grand angulaire de frais, qui me permet de flasher tout azimut sur simple pression du modulard d’inflammation logé dans ma poche.
L’ascenseur nous déverse dans un immense local pareil à une morgue ultra-moderne, à cause des portes d’acier numérotées qui garnissent les murs. Le plafond est en acier, le sol idem, avec un cheminement de caoutchouc pour les axes principaux, nord-sud et est-ouest. Entre le sas où déboule l’ascenseur et la grande salle est une grille formidable, aux inexpugnables barreaux, munie d’une porte si lourde, si tout, qu’il faut une usine pour en assurer le fonctionnement. Pendant les heures d’ouverture, la porte bée. Sinon, elle reste fermaga.
Je mitraille, innocemment ; la porte, son système de verrouillage, les barreaux, la salle, le plafond, tout…
— Voici votre coffre, monsieur.
Elle me montre un compartiment classique, portant le numéro 618, l’ouvre avec ma clé. S’écarte pour me laisser admirer l’admirable vide rectangulaire qui s’offre aux yeux éblouis.
— Magnifique, dis-je, on s’y croirait !
Mon enthousiasme ne la surprend pas :
— Oui, hein ? elle murmure.
— Je suis ému, ajouté-je. Ce trou, et vous, tout près… Y a des harmonies dans la vie. Des rencontres. Cet instant en est une.
Elle sourit humide, peut-être rougit sous son crépi ? Va-t’en savoir…
— Comment vous prénommez-vous ?
— Gertrude.
— Quelle merveille ! Mon rêve ! Enfin une Gertrude ! Vous viendrez prendre un scotch, ce soir, au bar de l’Hôtel Amigo, j’espère ?
— C’est vrai ? joyeuse-t-elle.
Plus à hésiter. J’avance mes mains désirantes vers son buste convoitible. Alors, vitement, elle lève les yeux au plafond, comme Jeanne d’Arc quand elle s’est mise à faire de l’hallucination auditive.
— Attention ! M. Van De Boo nous observe peut-être. Il y a une installation vidéo et mon chef regarde sans arrêt. Il est vrai que… Quelle heure est-il ?
— Dix heures vingt-trois, annoncé-je, après déclenchement de ma montre digitale.
— Ah bon, alors non, c’est le moment qu’il va aux cabinets, entre dix et quart et dix et demie.
— Il est bien réglé, admiré-je fort sincèrement, car j’ai toujours été impressionné par les individus qui défèquent à heures fixes.
Je fais valoir à ma mignonne hôtesse que le sieur Van De Boo ayant encore sept minutes de chierie devant lui (si je puis dire) il n’appartient qu’à nous de les mettre à profit. Ce dont elle convient par de nouveaux « arrr arrr » ponctués de bave chérubine. L’embrasser n’est qu’un oui muet, auquel succède une main tombée au corsage. Ses seins ont la consistance du bon beurre Brabant et la tiédeur d’une bergerie pendant la période de stabulation.
Son rire con est un peu chiant, certes. Mais sa toison pubienne foisonne. Elle est niaise, mais salope. Et tu voudrais exiger quoi d’autre, en pareil cas, toi, l’artiste ?
Un doctorat en lettres ? Des citations proustiennes ? Des considérations élevées sur l’hypertrophie de la vessie masculine depuis la diminution des vespasiennes ?
Ah, non, camarade. Prends ce que t’offre la femme d’un instant ! C’est-à-dire son accès. Des vaniteux se vantent d’avoir un ticket avec une fille. Le terme n’est valable que si tu valides ledit ticket, en t’embarquant à son bord. Cette mistoune est disponible. Elle exécute la volte que je sollicite, prend appui au rebord du coffre 618, puisqu’il est ouvert et que, dans cet univers lisse et froid, sans aspérité, il constitue la seule. Fasse le ciel, pour la carrière bancaire de la gente Gertrude, que le sieur Van De Boo n’ait pas, à son dîner d’hier, mangé trop de pruneaux. Mais qu’au contraire, ce même ciel miséricordieux lui resserre la tripaille, le constipe jusqu’à l’occlusion et le rive à sa lunette, tel le courageux capitaine Karlsen à sa dunette.