— Vous pensez sérieusement pouvoir y arriver… collègue ?
— Sérieusement, oui.
— Vous avez un plan ?
— Cousu main.
— On peut savoir ?
— Volontiers…
Mais comme je m’apprête, des meuglements retentissent en provenance des régions limitrophes, à savoir — une audition attentive m’en informant — de la chambre voisine, qui est celle d’Alexandre-Benoît Bérurier.
Les cris articulés, inarticulés et désarticulés, tour à tour, ne faisant que croître, je me précipite afin d’y remédier. L’Amigo est un établissement de haut standinge ayant ma préférence à tous les autres hôtels de Bénéluxie et de Navarre.
La porte du Vaillant n’étant point close (je parle de celle qui fait communiquer nos deux chambres) il m’est aisé de rescousser. Et que trouvé-je ?
Je ne te le donne pas en mille car tu ne saurais où le mettre, mais te le dis en bloc, et si t’es pas suffisamment costaud, je t’aiderai à le charrier.
Bérurier, dépantalonné, mais chemisé, cravaté, vesté et chapeauté, se démène pour s’extraire d’une Japonaise à qui il a pratiqué la forme de calçage dont j’ai honoré, un peu plus tôt, la Gertrude de la banque. Il s’ébroue, la repousse à deux mains, mais la nature capricieuse les garde unis à la suite d’un double phénomène, de dilatation chez le mâle, de contraction chez la femelle. De même qu’il est impossible de déboucher certains flacons trop bien scellés, leur désunion semble absolument irréalisable. Le Gros fulmine dans un français entremêlé d’expressions patoises ; sa partenaire désespère en japonais moderne. Elle est toute menue, toute chétive, toute fripée, toute bridée et, dans son espèce de pyjama de soie, ressemble à un épouvantail de dessins animés. Elle couine pis qu’une reine d’Angleterre qu’on égorge. Elle se cramponne aux montants du plumard pendant que le Gros cherche à gagner le fond de la pièce. Mais, je te le redis une dernière fois, alors n’y reviens plus : ils sont soudés. Tu as déjà vu un couple de chiens dans cette sotte posture ? Imagine ce qu’elle peut fournir comme cocasserie lorsqu’elle concerne deux humains. Et quels ! Le cher Béru, avec sa prodigieuse bedaine et son pénis d’équidé. Le chapeau meurtri par le coït, comme une boîte de conserve dans une cour d’école communale. La trogne violacée. L’invective acerbe. La bave abondante. Il traite la dame nipponne de vieille carne. Il lui crie : « Lâche-moi, bourrique, que sinon j’te casse le pot ! ». Il la cigogne de droite à gauche et de gauche à droite, à lui en filer le vertigo. La bourre de coups de genoux dans l’estomac pour tenter de provoquer un relâchement de ses muscles chaglatiens. Et tout ça en vain. Cette jaune martyre a beau implorer Confucius, le Mikado de Noël, et des divinités encore plus recommandables, c’est comme si elle fumait du belge, vu que, précisément ça se passe à Bruxelles.
Mes potes, les Prince’s brothers, venus aux nouvelles meurent de marrade. Ils en oublient un instant l’opération impossible qui nous est confiée. Ils lancent des conseils au Gravos, lui recommandent d’aller sous la douche avec sa conquête, ou bien d’essayer un bain commun. Médé propose d’aller quérir une burette d’huile pour lubrifier les parties bloquées. Tout ça ponctué de hoquets, de pleurs, de claques sur les jambes.
Et v’là le Gros, décidé à tenter le tout pour le tout, qui se calme. L’énervement dilate les corps, tout comme la chaleur, puisqu’il est lui-même chaleur.
Non : la tronche froide.
Et puis l’eau froide idem, Pauley a raison.
On l’aide à se déshabiller l’hémisphère nord.
On désappe de même la Japonouille. Elle pleurniche, en anglais, que son mari va rentrer incessamment, la chercher, découvrir la triste vérité et qu’il courra chercher le sab de ses aïeux dans leur valise. Il ne s’en sépare jamais, et lui, l’honneur, pardon, il y tient un peu beaucoup ! Ne passe pas dessus ! Ce sera deux tronches sur la moquette.
Je la rassure. Si l’eau froide ne résout rien, on appellera un médecin.
Mais elle insurge.
— Ah que non ! Pas de scandale ! Silence ! L’honneur avant tout.
Bref, les v’là partis en trottinant malaisément jusqu’à la salle de bains.
Sa Majesté, toujours efforcée au calme, dit à la mère Butterfly de garder son self. Pas de panique ! C’est dans le froid de la raison qu’on puise les ressources salvatrices. Ils ne sont pas les premiers auxquels semblable mésaventure survient. Il va s’efforcer de songer à des trucs tristes pour dégoder, Alexandre-Benoît. Le décès de sa chère maman, la vie politique de Canuet, les enfants affamés du Bangladesh, son tiers provisionnel, les chansons de Sheila, tout ça… Les sujets ne manquent pas !
L’existence, il dit, Béru, ça ressemble à une tartine de merde dont on bouffe une bouchée chaque jour. Il pleure en actionnant les robicos de la douche, bien se préparer un dosage tiède.
Mais la flotte ne guérit rien, laisse le problème entier, de même que les sinistres évocations. Alors ses rognes lui remontent. Jamais plus il enfilera de Japonaise. L’Extrême-Orient, merci bien, c’est source de chieries et toutim ! Il ne baisera jamais plus à gauche que l’Italie. La Roumanie, à la rigueur, sœur latine qu’il admet dans le grand concert copulatoire. Lui, il tringlera en Occident, surtout. Les Ricaines aux frifris plus béants que des carrières. Ça oui. Avec elles tu risques pas de te coincer la tête haineuse dans l’étau ! C’est franc du collier, large comme des portes cochères. Praticable comme un pot de vaseline. Rien de comparable à ces obscures Extrême-Orientales, tout en pas de vis, recoins confus, détours de con, qu’à tel point t’aurais meilleur compte de loncher une araignée géante : la mygale est là, fourre-me !
— Bon, je dis à mon camarade syndiqué, vous devriez prendre un bon bain et écouter de la musique : y a rien de plus amollissant. Faut oublier votre situation, elle se dénouera toute seule.
— Oublier, oublier, t’as de la santé, tézigue, riposte l’Infâme. On voye que t’as jamais z’eu quarante-cinq kilos de Japonaise arrimés au bout de quéquette, merde ! Une guenon qui n’sait même pas brosser ! Bernique de pipe, macache d’estase. Tu parles d’un préservatif, cette grand-mère. Ah, ça m’apprendra de tremper au p’tit bonheur !
— Bon, je suis obligé de m’absenter. Si vous ne parvenez pas à vous désunir, il faudra appeler un docteur. C’est ce qu’on avait déjà été obligés de faire en Angleterre, je crois, tu te souviens ? Y a fallu une piquouze pour t’arracher à une pécore. Et pourtant elle n’était pas japonaise !
Là-dessus, je quitte mes imbriqués, ayant des besognes urgentes à accomplir.
Mon premier soin — comme il arrive qu’on exprime dans certaines circonstances moins tabulantes qu’icelles — est de me rendre dans une grande entreprise de huit cents mètres carrés virgule cinq de plancher (et de plafond par la même occasion) dans une construction en cours d’achèvement, où l’importante société que je dirige souhaiterait installer ses bureaux bruxellois. On s’empresse de me montrer dans la périphérie un épouvantable immeuble en ferraille et verre fumé qui est à l’architecture moderne ce que la tour de Pise est au fil à plomb. Tout le dernier étage est encore disponible. J’assure qu’il est apte à combler mes désirs et demande, avant de me décider, la permission de revenir visiter les lieux avec un technicien en vue de son aménagement. A quoi on me répond que comment donc et que je suis ici pratiquement chez moi déjà ; ce qui est gentil à eux, t’avoueras.
Me reste plus qu’à me présenter à la succursale belge de la Landon Shaffer’s. Un grand responsable (1 m 94) à gueule de tuberculeux fraîchement guéri et aux cheveux carotte, me reçoit. Il fume le cigare, m’en propose un que je décline car il est néerlandais, or je n’achète à la Hollande que son cacao et ses tulipes.