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Il ne déformait pas la vérité ; Niall ne respirait plus, et son assassinat était une trahison.

— Le Seigneur Capitaine Valda est arrivé trop tard pour le sauver, mais il a tué Omerna en plein milieu de son crime.

Balwer sursauta et commença à se tordre les mains.

Ce petit homme qui lui rappelait un oiseau, énervait Valda.

— Puisque vous êtes là, Balwer, autant vous rendre utile.

Il avait horreur des inutiles, et le barbouilleur était l’image même de l’inutilité.

— Portez ce message à chaque Seigneur Capitaine de la Forteresse. Dites-leur que le Seigneur Capitaine Commandant a été assassiné, et que je convoque une réunion du Conseil des Oints.

La première chose qu’il ferait quand il serait Seigneur Capitaine Commandant serait de botter ce petit homme desséché hors de la Forteresse, de le botter si loin qu’il rebondirait, et de choisir à sa place un secrétaire qui ne grimacerait pas.

— Qu’Omerna ait été acheté par les sorcières ou par le Prophète, je tiens à ce que Pedron Niall soit vengé.

— À vos ordres, mon Seigneur, dit Balwer d’une voix sèche et étranglée. Il en sera comme vous dites.

Apparemment, il trouva enfin la force de regarder le cadavre de Niall ; il se pencha sur lui convulsivement, sans rien regarder d’autre.

— Il semble donc que vous serez notre prochain Seigneur Capitaine Commandant, après tout, dit Asunawa quand Balwer fut sorti.

— Il le semble, répondit sèchement Valda.

Un minuscule bout de papier gisait près de la main tendue de Niall, du genre utilisé pour envoyer les messages par pigeon voyageur. Valda se baissa et le ramassa, puis soupira de dégoût. Le papier avait mariné dans une flaque de vin ; l’encre diluée, le message était perdu.

— Et la Main aura Morgase quand vous n’aurez plus besoin d’elle.

Ce n’était absolument pas une question.

— Je vous la livrerai moi-même.

Il pourrait peut-être arranger un petit quelque chose pour assouvir un certain temps l’appétit d’Asunawa. Qui servirait aussi pour que Morgase reste souple. Valda jeta le bout de papier sur le corps de Niall. Le vieux loup avait perdu sa ruse et son sang-froid avec l’âge, et maintenant, il appartenait à Eamon Valda de mater les sorcières et leur faux Dragon.

À plat ventre sur une hauteur, Gawyn observait le désastre sous le soleil de l’après-midi. Maintenant les Sources de Dumaï étaient à des miles vers le sud, au-delà des collines et des plaines vallonnées, mais il voyait toujours la fumée s’élevant des chariots en feu. Ce qui s’était passé là-bas, après qu’il avait conduit ce qu’il avait pu rassembler des Jeunes, il ne le savait pas. Al’Thor semblait avoir la situation en main, avec ces hommes en capes noires qui paraissaient canaliser, abattant les Aes Sedai comme les Aiels. La fuite des sœurs lui avait fait réaliser qu’il était temps de partir.

Il regrettait de ne pas avoir tué al’Thor. Pour sa mère, morte à cause de lui ; Egwene le niait, mais elle n’avait pas de preuve. Pour sa sœur. Si Min rapportait la vérité – il aurait dû l’obliger à quitter le camp avec lui, quoi qu’elle en dise ; il y avait trop de choses qu’il aurait dû faire différemment aujourd’hui –, si Min avait raison et qu’Elayne aimât al’Thor, alors ce destin terrifiant suffisait à justifier sa mort. Les Aiels avaient peut-être fait le travail pour lui. Mais il en doutait.

Avec un rire amer, il leva sa lunette d’approche. L’un de ses anneaux d’or portait une inscription : De Morgase, Reine d’Andor, à son fils bien-aimé, Gawyn. Puisse-t-il être une épée vivante pour sa sœur et l’Andor. Paroles amères maintenant.

Il n’y avait pas grand-chose à voir, à part de l’herbe desséchée et de petits bouquets d’arbres de loin en loin. Le vent continuait à souffler en rafales, soulevant des vagues de poussière. De temps en temps, un mouvement dans un repli de terrain entre deux hauteurs annonçait la présence d’hommes en marche. Des Aiels, il en était sûr. Ils se fondaient trop bien dans le paysage pour être des Jeunes en capes vertes. Fasse la Lumière qu’il s’en soit échappé davantage que ceux qu’il avait amenés.

Il s’était conduit en imbécile. Il aurait dû tuer al’Thor ; il devait le tuer. Mais il n’avait pas pu. Pas parce qu’il était le Dragon Réincarné, mais parce qu’il avait promis à Egwene de ne pas lever la main sur lui. En sa qualité de simple Acceptée, elle avait disparu de Cairhien, laissant à Gawyn une lettre qu’il avait lue et relue jusqu’à ce que le papier se déchire, et il n’aurait pas été étonné d’apprendre qu’elle était partie aider al’Thor d’une façon ou d’une autre. Il ne pouvait pas renier sa parole, et encore moins envers une femme qu’il aimait. Jamais envers elle. Quel qu’en soit pour lui le prix à payer. Il espérait qu’elle accepterait le compromis qu’il avait fait avec son honneur ; il n’avait pas levé la main pour nuire à al’Thor, mais pas pour l’aider non plus. Fasse la Lumière qu’elle n’exige jamais cela de lui. On dit que l’amour brouille l’esprit des hommes, et il en était la preuve.

Soudain, il porta la lunette à son œil quand une femme déboucha au galop sur un grand étalon noir. Il ne distinguait pas son visage, mais une servante n’aurait pas porté une robe divisée pour monter. Ainsi, au moins une Aes Sedai était parvenue à s’échapper. Si les sœurs étaient sorties vivantes du piège, peut-être que les Jeunes aussi. Avec un peu de chance, il pouvait les trouver avant qu’ils ne soient tués en petits groupes par les Aiels. Mais il devait d’abord penser à sa sœur. À bien des égards, il aurait préféré partir sans elle, mais la laisser seule, peut-être pour recevoir une flèche qu’elle ne verrait pas venir, n’était pas pour lui une option envisageable. Il commença à se lever pour lui faire signe, mais le cheval broncha et tomba, la projetant par-dessus sa tête. Il jura, puis se remit à jurer quand il vit dans sa lunette une flèche plantée dans le flanc de l’étalon noir. Il inspecta les collines à la hâte, et ravala un nouveau juron ; À moins de cent pas de l’Aes Sedai, environ deux douzaines d’Aiels voilés, debout sur la hauteur, regardaient le cheval tombé et sa cavalière. Il lança un regard en arrière. La sœur se remettait debout en chancelant. Si elle gardait son sang-froid et utilisait le Pouvoir, il était impossible à quelques Aiels de lui nuire, surtout si elle s’abritait d’autres flèches derrière le cheval tombé. Même ainsi, il se sentirait mieux quand il l’aurait mise à l’abri. Roulant sur lui-même pour minimiser les chances d’être vu par les Aiels, il descendit la pente et se releva quand il fut sûr d’être hors de vue.

Il avait amené avec lui cinq cent quatre-vingt-un Jeunes, presque tous ceux dont l’entraînement était assez avancé pour quitter Tar Valon, mais moins de deux cents attendaient sur leurs montures en contrebas. Avant que le désastre ne frappe aux Sources de Dumaï, il était certain qu’un complot se préparait pour veiller à ce que lui et les Jeunes meurent avant de revenir à la Tour Blanche. Pourquoi, il ne le savait pas, pas plus qu’il ne savait si l’idée venait d’Elaida ou de Galina, mais il avait assez bien réussi, quoique pas exactement comme ses inventeurs l’avaient envisagé. Pas étonnant qu’il eût préféré continuer sans Aes Sedai, s’il avait eu le choix.

Il s’arrêta près d’un grand hongre gris et de son jeune cavalier. Jeune – beaucoup ne se rasaient que tous les trois jours, et quelques-uns faisaient même semblant –, mais pour Jisao, son col orné de la Tour d’argent le désignait comme vétéran des combats à l’époque de la déposition de Siuan Sanche, et, sous ses vêtements, de nombreuses cicatrices témoignaient des combats livrés depuis. Il faisait partie de ceux qui pouvaient se dispenser du rasoir la plupart du temps ; mais ses yeux noirs appartenaient à un homme trente ans plus âgé que lui. À quoi ressemblaient ses propres yeux ? se demanda Gawyn.