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L’anneau a été placé dans les naseaux du taureau. Je m’attends à un voyage agréable jusqu’au marché.

Pas de signature, mais elle n’en avait pas besoin. Seule Galina Casban pouvait envoyer ce merveilleux message. Galina, à qui Elaida confiait ce qu’elle n’aurait avoué à personne. Sa confiance était acquise à la chef des Ajahs Rouges. Après tout, élevée elle-même chez les Ajahs Rouges, à bien des égards, elle se considérait toujours comme une Ajah Rouge.

L’anneau a été placé dans les naseaux du taureau.

Rand al’Thor, le Dragon Réincarné, l’homme qui avait été sur le point d’avaler le monde, l’homme qui n’en avait avalé que trop – Rand al’Thor était couvert et sous le contrôle de Galina. Et tous ceux qui le soutenaient l’ignoraient. S’il y avait eu le moindre doute, Galina se serait exprimée différemment. D’après plusieurs messages précédents, il semblait qu’il eût redécouvert comment Voyager, Talent que les Aes Sedai avaient perdu depuis la Destruction, et pourtant cela ne l’avait pas sauvé, jouant même en faveur de Galina. Apparemment, il prenait l’habitude d’aller et venir sans prévenir. Qui irait soupçonner que cette fois il n’était pas parti de son plein gré mais avait été enlevé ? Elle gloussa.

D’ici une semaine, deux au plus, Rand al’Thor serait à la Tour, étroitement surveillé et guidé sans problème jusqu’à la Tarmon Gai’don, mettant fin à ses ravages dans le monde. C’était folie que de permettre à un homme capable de canaliser de circuler librement, et plus encore à l’homme dont la prophétie disait qu’il devait affronter le Ténébreux lors de la Dernière Bataille, la Lumière prévenant que ce pourrait être dans bien des années. Il faudrait des années pour préparer le monde correctement, en commençant par défaire ce qu’al’Thor avait fait.

Bien sûr, les dégâts qu’il avait provoqués ne pesaient guère à côté de ceux qu’il aurait pu causer s’il jouissait de la liberté. Sans parler de la possibilité qu’il aurait eue de se faire tuer avant qu’on ait besoin de lui. Eh bien, ce contrariant jeune homme serait emmailloté dans des langes et gardé en sécurité comme un nourrisson dans les bras de sa mère jusqu’au moment de l’emmener au Shayol Ghul. Après ça, s’il survivait…

Elaida eut une moue pensive. Les Prophéties du Dragon semblaient dire qu’il ne survivrait pas, ce qui serait préférable, sans conteste.

— Mère ?

Elaida faillit sursauter à la voix d’Alviarine. Qui entra sans même frapper !

— J’ai des nouvelles des Ajahs, Mère.

Mince et impassible, Alviarine portait le châle blanc étroit de la Gardienne, assorti à sa robe, pour montrer qu’elle était issue des Blanches, mais dans sa bouche, le mot « Mère » était moins un titre de respect que l’affirmation de leur égalité.

La présence d’Alviarine suffit à entamer la bonne humeur d’Elaida. Le fait que la Gardienne des Chroniques fût issue des Blanches, et non des Rouges, était toujours un rappel amer de sa faiblesse à l’époque où elle avait été élevée. Cette amertume s’était dissipée en partie, certes, mais pas complètement. Pas encore. Elle était lasse de regretter d’avoir si peu d’yeux-et-oreilles à l’extérieur d’Andor. Et de regretter que sa devancière et celle d’Alviarine se fussent échappées – ou plutôt qu’on les ait aidées à s’échapper, c’était forcé – avant que les clés du grand réseau de l’Amyrlin aient pu leur être arrachées.

Elle désirait ardemment ce réseau qui lui appartenait de droit. Selon une tradition puissante chez les Ajahs, elles communiquaient à la Gardienne les bribes apprises de leurs yeux-et-oreilles qu’elles voulaient bien partager avec l’Amyrlin, mais Elaida était convaincue qu’Alviarine en gardait une bonne partie par-devers elle Pourtant, elle ne pouvait pas demander directement des informations aux Ajahs. Elle donnerait l’impression de quémander.

Elaida resta aussi impassible que sa visiteuse, l’accueillant d’un simple signe de tête, tout en feignant d’examiner les papiers de la boîte laquée. Lentement, elle les retournait un par un, les remettait lentement dans la boîte. Sans en voir un seul mot. Faire attendre Alviarine était amer, parce que c’était mesquin, et la mesquinerie était tout ce dont elle disposait pour frapper une femme qui aurait dû être sa servante.

Une Amyrlin pouvait promulguer tous les décrets qu’elle voulait, car sa parole faisait loi. Pourtant, dans la pratique, sans le soutien de l’Assemblée de la Tour, beaucoup de ces décrets n’étaient qu’un gaspillage d’encre et de papier. Aucune sœur n’aurait désobéi à l’Amyrlin, du moins pas directement, pourtant bien des décrets nécessitaient une centaine d’autres ordres pour être appliqués. Dans le meilleur des cas, ce processus demeurait très lent, parfois si lent qu’ils n’étaient jamais appliqués, ce qui représentait le cas le plus fréquent.

Alviarine restait debout, calme comme un lac gelé. Refermant la boîte d’Altara, Elaida conserva le papier annonçant sa victoire certaine. Machinalement, elle le tripotait, comme un talisman.

— Teslyne ou Joline ont-elles enfin daigné annoncer leur arrivée sans encombre ?

Cela était destiné à rappeler à Alviarine que personne n’était à l’abri face à elle. Personne ne se souciait de ce qui se passait à Ebou Dar, Elaida moins que personne ; la capitale de l’Altara pouvait couler au fond des eaux, le pays ne s’en apercevrait même pas, à part les marchands. Mais Teslyne avait siégé à l’Assemblée pendant quinze ans avant qu’Elaida ne lui ordonne d’en démissionner. Si Elaida pouvait envoyer une Députée – une Députée Rouge – qui avait soutenu son ascension, comme ambassadrice dans un pays confetti, sans que personne n’en connaisse la raison, sauf à croire les centaines de rumeurs qui couraient, alors elle pouvait s’en prendre à n’importe qui. Pour Joline, c’était une autre histoire. Elle n’avait occupé son siège pour les Vertes que quelques semaines, et tout le monde était certain que les Vertes l’avaient choisie pour montrer qu’elles ne se laissaient pas intimider par la nouvelle Amyrlin, qui lui avait donné une pénitence effroyable.

Cela pour rappeler à Alviarine qu’elle était vulnérable, mais la mince jeune femme se contenta de sourire avec froideur. Aussi longtemps que l’Assemblée se perpétuait, elle était à l’abri. Elle feuilleta ses papiers et en cueillit un.

— Aucune nouvelle de Teslyne ou de Joline, Mère, quoique avec les nouvelles que vous avez reçues des trônes jusqu’à présent…

Son sourire se mua en amusement inquiétant.

— Elles veulent toutes s’essayer à voler de leurs propres ailes, pour voir si vous êtes aussi forte que… que votre devancière.

Même Alviarine eut le bon sens de ne pas prononcer le nom de la femme Sanche en sa présence. Mais c’était vrai. Tous les rois et toutes les reines, même de simples nobles, semblaient tester les limites de sa puissance. Elle devait faire des exemples.

Jetant un coup d’œil sur sa feuille, Alviarine poursuivit :

— Mais il y a des nouvelles d’Ebou Dar. Provenant des Grises. Avait-elle souligné cela pour retourner le couteau dans la plaie ?

— Il semble qu’Elayne Trakand et Nynaeve al’Meara soient là-bas. Posant aux Aes Sedai, avec la bénédiction des rebelles… ambassadrices… auprès de la Reine Tyline. Il y en a deux autres, non identifiées, qui font peut-être la même chose. Les listes des rebelles sont incomplètes. Ou ce ne sont peut-être que des accompagnatrices. Les Grises ne savent pas au juste.

— Par la Lumière, pourquoi seraient-elles à Ebou Dar ? dit Elaida avec dédain.

Aucun doute que Teslyne aurait annoncé cela.

— Maintenant, les Grises doivent transmettre des rumeurs. Le message de Tarna dit qu’elles sont avec les rebelles à Salidar.