Non, elle le savait bien, ils aiment leur art de la mort. Lorsque les ovations commencèrent à diminuer, elle se permit de s’asseoir. Leur loge se trouvait à l’ombre, mais Daenerys sentait un martèlement sous son crâne. « Jhiqui, demanda-t-elle, de l’eau fraîche, s’il te plaît. J’ai la gorge très sèche.
— C’est Khrazz qui va avoir l’honneur de la première mort du jour, lui annonça Hizdahr. Il n’y a jamais eu de meilleur combattant.
— Belwas le Fort était meilleur », insista Belwas le Fort.
Khrazz était un Meereenien d’humbles origines – un homme de haute taille, avec une crête de cheveux raides, rouge-noir, qui courait au centre de son crâne. Son ennemi était un piqueur à peau d’ébène venu des îles d’Été, dont les assauts d’estoc tinrent un moment Khrazz en respect. Mais une fois que son épée courte éluda la pointe de la pique, ne resta plus qu’une boucherie. Quand elle fut achevée, Khrazz découpa le cœur de l’homme noir, le brandit au-dessus de sa tête, rouge et ruisselant, et mordit dedans.
« Khrazz croit que le cœur des braves le rend plus fort », expliqua Hizdahr. Jhiqui murmura son approbation. Daenerys avait un jour dévoré le cœur d’un étalon pour apporter de la force à son fils à naître… mais cela n’avait pas sauvé Rhaego lorsque la maegi l’avait assassiné dans le ventre de Daenerys. Trois trahisons te faut vivre. Elle était la première, Jorah la seconde, Brun Ben Prünh la troisième. En avait-elle terminé avec les traîtres ?
« Ah, nota Hizdahr avec satisfaction. Voici maintenant le Félin moucheté. Regarde comme il se déplace, ma reine. Un poème sur deux pieds. »
L’ennemi qu’avait trouvé Hizdahr pour ce poème ambulant était aussi grand que Goghor et aussi large que Belwas, mais lent. Ils se battaient à six pieds de la loge de Daenerys quand le Félin moucheté lui sectionna les tendons. Lorsque l’homme s’écroula à genoux, le Félin plaqua un pied contre son dos et une main autour de sa tête, et il lui ouvrit la gorge d’une oreille à l’autre. Les sables rouges burent son sang, le vent ses derniers mots. La foule hurla son approbation.
« Mauvais combat, belle mort, jugea Belwas le Fort. Belwas le Fort pas aimer quand ils crient. » Il avait fini toutes les sauterelles au miel. Il laissa fuser un rot et avala une rasade de vin.
Des Qarthiens pâles, des Estiviens noirs, des Dothrakis à la peau cuivrée, des Tyroshis à barbe bleue, des Agnelets, des Jogos Nhais, des Braaviens graves, des demi-hommes à la peau mouchetée des jungles de Sothoros – ils venaient des bouts du monde mourir dans l’arène de Daznak. « Celui-ci est très prometteur, ma douceur », signala Hizdahr à propos d’un jeune Lysien aux longues mèches blondes qui flottaient au vent… Mais son ennemi agrippa une poignée de ces cheveux, tira dessus pour déséquilibrer l’adolescent, et l’éventra. Dans la mort, il paraissait encore plus jeune qu’il ne l’avait été une lame à la main. « Un enfant, protesta Daenerys. Ce n’était qu’un enfant.
— Seize ans, insista Hizdahr. Un homme fait, qui a librement choisi de risquer sa vie pour l’or et la gloire. Aucun enfant ne meurt aujourd’hui à Daznak, comme l’a décrété ma douce reine dans sa sagesse. »
Encore une menue victoire. Peut-être ne puis-je pas rendre mon peuple bon, se dit-elle, mais je devrais au moins essayer de le rendre un peu moins mauvais. Daenerys aurait également souhaité proscrire les rencontres entre femmes, mais Barséna Cheveux-noirs avait protesté qu’elle avait autant que n’importe quel homme le droit de risquer sa vie. La reine avait aussi souhaité interdire les folies, ces combats bouffons où estropiés, nains et vieillardes s’en prenaient les uns aux autres à coups de couperets, de torches et de marteaux (plus ineptes étaient les combattants et plus cocasse la folie, de l’avis général), mais Hizdahr avait assuré que son peuple ne l’en aimerait que plus si elle riait avec eux, et argumenté que, sans de telles gambades, les estropiés, les nains et les vieillardes périraient de faim. Aussi Daenerys avait-elle cédé.
La coutume voulait qu’on condamnât les criminels à l’arène ; elle avait accepté de ressusciter cette pratique, mais pour certains crimes uniquement. « On peut contraindre les assassins et les violeurs à se battre, ainsi que tous ceux qui persistent à pratiquer l’esclavage, mais ni les voleurs, ni les débiteurs. »
Les combats d’animaux étaient toujours autorisés, cependant. Daenerys regarda un éléphant se débarrasser promptement d’une meute de six loups rouges. Ensuite, un taureau affronta un ours dans une bataille sanglante qui laissa les deux animaux agoniser en lambeaux. « La chair n’est pas perdue, intervint Hizdahr. Les bouchers utilisent les carcasses afin de préparer pour les affamés un bouillon revigorant. Tout homme qui se présentera aux Portes du Destin aura droit à un bol.
— Une bonne loi », jugea Daenerys. Vous en avez tellement peu. « Nous devons veiller à maintenir cette tradition. »
Après les combats d’animaux, vint une feinte bataille, opposant six fantassins à six cavaliers, les premiers armés de boucliers et d’épées longues, les seconds d’arakhs dothrakis. Les faux chevaliers étaient revêtus de hauberts de mailles, tandis que les faux Dothrakis ne portaient aucune armure. Au début, les cavaliers semblèrent prendre l’avantage, piétinant deux de leurs adversaires et tranchant l’oreille d’un troisième, et puis les chevaliers survivants commencèrent à s’attaquer aux montures et, un par un, les cavaliers vidèrent les étriers et périrent, au grand écœurement de Jhiqui. « Ce n’était pas un vrai khalasar, décréta-t-elle.
— Ces dépouilles ne sont pas destinées à votre revigorant ragoût, j’espère, commenta Daenerys tandis qu’on évacuait les morts.
— Les chevaux, si, répondit Hizdahr. Pas les hommes.
— Viande de cheval et oignons rendent forts », expliqua Belwas.
La bataille fut suivie de la première folie du jour, un tournoi que se livraient deux nains jouteurs, offerts par un des seigneurs yunkaïis invités par Hizdahr au spectacle. L’un chevauchait un chien, l’autre une truie. On avait repeint de frais leurs armures de bois, afin que l’un arborât le cerf de l’usurpateur Robert Baratheon, l’autre le lion d’or de la maison Lannister. Cela avait été fait à l’intention de Daenerys, clairement. Leurs cabrioles ne tardèrent pas à faire hoqueter de rire Belwas, bien que le sourire de Daenerys fût pâle et forcé. Quand le nain en rouge dégringola de sa selle pour se mettre à courir dans les sables aux trousses de sa truie, tandis que le nain monté sur le chien galopait à sa poursuite en lui claquant les fesses avec une épée de bois, elle déclara : « C’est bouffon et absurde, mais…
— Patience, ma douceur, lui dit Hizdahr. Ils vont lâcher les lions. »
Daenerys lui jeta un regard interloqué. « Des lions ?
— Trois. Les nains ne s’y attendront pas. »
Elle fronça les sourcils. « Les nains ont des épées de bois. Des armures de bois. Comment veux-tu qu’ils combattent contre des lions ?
— Mal, répondit Hizdahr. Mais peut-être nous surprendront-ils. Le plus probable, c’est qu’ils vont pousser des hurlements, courir en tous sens et tenter d’escalader les parois de l’arène. C’est ce qui fait de tout cela une folie. »