— Qui ? » Les yeux du Grand Septon étaient rivés sur les siens.
Cersei entendait Unella écrire derrière elle. Sa plume produisait un léger grattement. « Lancel Lannister, mon cousin. Et Osney Potaunoir. » Les deux hommes avaient avoué avoir couché avec elle, il ne lui servirait à rien de le nier. « Ses frères, également. Tous les deux. » Elle n’avait aucun moyen de savoir ce que pouvaient dire Osfryd ou Osmund. Mieux valait confesser trop de choses que pas assez. « Cela n’excuse pas mon péché, Votre Sainteté Suprême, mais j’étais seule et j’avais peur. Les dieux m’ont pris le roi Robert, mon amour et mon protecteur. J’étais seule, entourée de conspirateurs, de faux amis et de traîtres qui complotaient la mort de mes enfants. Je ne savais pas à qui me fier, aussi ai-je… ai-je employé le seul moyen dont je disposais pour lier les Potaunoir à moi.
— Par cela, vous entendez vos attributs féminins ?
— Ma chair. » Elle pressa une main contre son visage, en frémissant. Quand elle la baissa de nouveau, elle avait les yeux trempés de larmes. « Oui. Que la Pucelle me pardonne. Mais j’ai agi pour mes enfants, pour le royaume. Je n’y ai point pris de plaisir. Les Potaunoir… ce sont des hommes durs, et cruels, et ils ont usé de moi avec rudesse, mais que pouvais-je faire d’autre ? Tommen avait besoin autour de lui d’hommes auxquels je puisse me fier.
— Sa Grâce était protégée par la Garde Royale.
— La Garde Royale a assisté sans pouvoir intervenir à la mort de son frère Joffrey, assassiné à son propre banquet de noces. J’ai vu mourir un fils, je n’aurais pas pu supporter d’en perdre un autre. J’ai péché, je me suis livrée à une fornication débridée, mais je l’ai fait pour Tommen. Que Votre Sainteté Suprême me pardonne, mais j’aurais ouvert mes cuisses à tous les hommes de Port-Réal si tel avait été le prix à payer pour préserver mes enfants.
— Le pardon ne vient que des dieux. Qu’en est-il de ser Lancel, qui était votre cousin, et l’écuyer du seigneur votre époux ? L’avez-vous accueilli dans votre lit pour gagner sa loyauté, lui aussi ?
— Lancel. » Cersei hésita. Prudence, se dit-elle, Lancel a dû tout lui raconter. « Lancel m’aimait. C’était à moitié un enfant, mais je n’ai jamais douté de son dévouement, envers moi et envers mon fils.
— Et cependant vous l’avez quand même corrompu.
— Je me sentais seule. » Elle ravala un sanglot. « Je venais de perdre mon époux, mon fils, le seigneur mon père. J’étais régente, mais une reine demeure femme, et les femmes sont de fragiles réceptacles, aisément tentés… Votre Sainteté Suprême sait la vérité de tout cela. On a même vu de pieuses septas céder au péché. J’ai puisé du réconfort auprès de Lancel. Il était doux, tendre, et j’avais besoin de quelqu’un. C’était mal, je le sais, mais je n’avais personne d’autre… Une femme a besoin qu’on l’aime, elle a besoin d’un homme à ses côtés, elle… elle… » Elle éclata en sanglots incontrôlables.
Le Grand Septon ne fit pas un geste pour la consoler. Il resta assis, fixant sur elle ses yeux durs, avec la même immobilité de pierre que les statues des Sept dans le septuaire au-dessus. De longs moments s’écoulèrent, mais enfin les larmes de Cersei se tarirent entièrement. Elle avait les yeux rouges et brûlants d’avoir pleuré et se sentait au bord de la pâmoison.
Le Grand Moineau n’en avait toutefois pas terminé avec elle. « Ces péchés sont de nature triviale, déclara-t-il. On connaît bien la perversité des veuves, et toutes les femmes sont au fond des gourgandines, rompues à employer leurs charmes et leur beauté pour imposer leur volonté aux hommes. Il n’y a en cela nulle trahison, tant que vous ne vous êtes pas écartée de la couche nuptiale du vivant de Sa Grâce le roi Robert.
— Jamais, souffla-t-elle, en frémissant. Jamais, je le jure. »
Il ne prêta aucune attention à ces mots. « On a porté contre Votre Grâce d’autres accusations, des crimes bien plus graves que de simples fornications. Vous reconnaissez que ser Osney Potaunoir était votre amant, et ser Osney insiste pour dire qu’il a étouffé mon prédécesseur à votre requête. Il insiste, de plus, pour affirmer qu’il a commis un faux témoignage contre la reine Margaery et ses cousines, en racontant des actes de fornication, d’adultère et de haute trahison, là encore à votre demande.
— Non, protesta Cersei. Ce n’est pas vrai. J’aime Margaery comme si elle était ma fille. Et l’autre… Je me suis plainte du Grand Septon, je le reconnais. Il était une créature de Tyrion, faible et corrompue, une offense à votre sainte Foi. Votre Sainteté Suprême sait cela aussi bien que moi. Il se peut qu’Osney ait cru que sa mort me contenterait. En ce cas, je porte une partie du blâme… Mais un meurtre ? Non. De cela, je suis innocente. Conduisez-moi au septuaire et je me placerai devant le siège de jugement du Père pour en jurer la vérité.
— En son temps, répondit le Grand Septon. Vous êtes également accusée d’avoir conspiré à la mort du seigneur votre époux, notre roi défunt et bien-aimé Robert, Premier du Nom. »
Lancel, songea Cersei. « Robert a été tué par un sanglier. M’accuse-t-on à présent d’être une change-peau ? Un zoman ? Suis-je accusée d’avoir tué Joffrey, également, mon propre fils chéri, mon premier-né ?
— Non. Simplement votre époux. Le niez-vous ?
— Certes, je le nie. Face aux dieux et aux hommes, je le nie. »
Il hocha la tête. « En dernier lieu, et pire que tout, il est des gens pour affirmer que vos enfants n’ont point été engendrés par le roi Robert, qu’ils sont des bâtards nés de l’inceste et de l’adultère.
— Stannis l’affirme, répliqua aussitôt Cersei. Mensonge, mensonge, mensonge criant. Stannis guigne le trône de Fer, mais les enfants de son frère lui font obstacle, aussi lui faut-il prétendre qu’ils ne sont point nés de son frère. Cette lettre immonde… Elle ne contient pas une once de vérité. Je le nie. »
Le Grand Septon plaça ses deux mains à plat sur la table, et poussa pour se lever. « Bien. Lord Stannis s’est détourné de la vérité des Sept pour adorer un démon rouge, et sa foi impie n’a nulle place en ces Sept Couronnes. »
Voilà qui était presque rassurant. Cersei hocha la tête.
« Quand bien même, poursuivit le Grand Septon, ce sont de terribles accusations, et le royaume doit savoir si elles ont quelque fondement. Si Votre Grâce a dit vrai, nul doute qu’un procès prouvera votre innocence. »
Un procès, malgré tout. « J’ai confessé…
— … certains péchés, certes. Vous en niez d’autres. Votre procès séparera les vérités des mensonges. Je demanderai aux Sept de pardonner les péchés que vous avez confessés et prierai pour qu’on vous juge innocente de ces autres accusations. »
Cersei se releva lentement de sa position agenouillée. « Je m’incline devant la sagesse de Votre Sainteté Suprême, dit-elle. Mais si je pouvais implorer une seule goutte de la clémence de la Mère, je… Voilà bien longtemps que je n’ai vu mon fils, s’il vous plaît… »
Les yeux du vieil homme étaient des éclats de silex. « Il ne serait pas convenable de vous autoriser à voir le roi, tant que vous n’avez pas été purgée de vos perversités. Vous avez accompli le premier pas sur la voie qui vous remettra sur le droit chemin, cependant, et, à la lumière de cela, je vous permets d’autres visiteurs. Un par jour. »
La reine fondit de nouveau en larmes. Cette fois-ci, ses pleurs étaient sincères. « Vous êtes trop bon. Merci.