Missandei hocha la tête. Difficile de juger si elle se sentait rassurée. « Croyez-vous qu’ils la retrouveront, ser ? Les prairies sont tellement vastes, et les dragons ne laissent aucune trace, dans le ciel.
— Aggo et Rakharo sont du sang de son sang… et qui connaît la mer Dothrak mieux que des Dothrakis ? » Il lui pressa l’épaule. « Ils la retrouveront si quelqu’un le peut. » Si elle est encore en vie. D’autres khals sillonnaient les herbes, des seigneurs du cheval avec des khalasars dont les cavaliers se comptaient par dizaines de milliers. Mais la fillette n’avait pas besoin d’entendre de telles choses. « Tu l’aimes bien, je le sais. Je te jure que je la garderai en sécurité. »
Ces paroles semblèrent apporter un peu de réconfort à la fillette. Les mots sont du vent, pourtant, songea ser Barristan. Comment pourrais-je protéger la reine, alors que je ne suis pas à ses côtés ?
Barristan Selmy avait connu bien des rois. Il était né durant le règne troublé d’Aegon l’Invraisemblable, chéri du petit peuple, avait reçu de ses mains sa dignité de chevalier. Le fils d’Aegon, Jaehaerys lui avait accordé le manteau blanc quand il avait vingt et trois ans, après qu’il avait tué Maelys le Monstrueux durant la guerre des Rois à Neuf Sous. Avec ce même manteau, il s’était tenu près du trône de Fer tandis que la folie dévorait Aerys, le fils de Jaehaerys. Je m’y tenais, je voyais, j’entendais et je n’ai cependant rien fait.
Mais non. Ce n’était pas juste. Il avait accompli son devoir. Certaines nuits, ser Barristan s’interrogeait : ne l’avait-il pas trop bien accompli ? Il avait prononcé ses vœux sous les yeux des dieux et des hommes, l’honneur lui interdisait d’y contrevenir… mais respecter ces vœux était devenu ardu, au cours des dernières années du règne du roi Aerys. Il avait assisté à certaines choses qu’il avait douleur à se rappeler, et plus d’une fois il s’était demandé quelle part du sang répandu souillait ses propres mains. S’il ne s’était pas rendu à Sombreval pour tirer Aerys des geôles de lord Sombrelyn, le roi aurait fort bien pu y périr, tandis que Tywin Lannister mettait la ville à sac. Alors, le prince Rhaegar serait monté sur le trône de Fer, peut-être pour panser les plaies du royaume. Sombreval avait été son heure de gloire, et pourtant le souvenir lui laissait un goût âcre sur la langue.
C’étaient ses échecs qui le hantaient la nuit, cependant. Jaehaerys, Aerys, Robert. Trois rois morts. Rhaegar, qui aurait été un meilleur roi que n’importe lequel d’entre eux. La princesse Elia et les enfants. Aegon, un bébé encore, Rhaenys avec son chaton. Morts, tous, et pourtant lui vivait toujours, qui avait juré de les protéger. Et à présent Daenerys, sa reine enfant, brillante et glorieuse. Elle n’est pas morte. Je refuse de le croire.
L’après-midi apporta à ser Barristan un bref répit dans ses doutes. Il le passa dans la salle d’entraînement au troisième niveau de la pyramide, à travailler avec ses garçons, à leur apprendre l’art de l’épée et du bouclier, du cheval et de la lance… et de la chevalerie, le code qui faisait du chevalier davantage qu’un combattant d’arène. Daenerys aurait besoin autour d’elle de protecteurs de son âge, une fois qu’il aurait disparu, et ser Barristan était résolu à les lui fournir.
Les jeunes gens qu’il formait allaient de huit ans jusqu’à vingt. Il avait commencé avec plus de soixante d’entre eux, mais l’entraînement s’était révélé trop rigoureux pour beaucoup. Moins de la moitié de ce nombre demeurait à présent, certains montrant énormément de promesses. Sans roi à garder, j’aurai plus de temps pour les entraîner, désormais, jugea-t-il en allant d’une paire à l’autre, les regardant se battre ensemble avec des épées émoussées et des piques à la tête arrondie. De braves garçons. De basse extraction, certes, mais certains feront de bons chevaliers, et ils aiment la reine. Sans elle, tous auraient fini aux arènes. Le roi Hizdahr a ses combattants d’arène, mais Daenerys aura des chevaliers.
« Levez bien le bouclier, lança-t-il. Montrez-moi comment vous frappez. Tous ensemble, à présent. En haut, en bas, en bas, en bas, en haut, en bas… »
Selmy prit un repas simple sur la terrasse de la reine, ce soir-là, tandis que le soleil se couchait. À travers la pourpre du crépuscule, il vit les feux s’éveiller un à un dans les grandes pyramides à degrés, tandis que les briques multicolores de Meereen viraient au gris, puis au noir. Des ombres s’amassaient en contrebas dans les rues et les venelles, créant des bassins et des fleuves. Au crépuscule, la cité paraissait paisible, et même belle. C’est l’épidémie, pas la paix, se dit le vieux chevalier avec sa dernière gorgée de vin.
Il ne souhaitait pas se faire remarquer ; aussi, quand il eut fini son souper, troqua-t-il son manteau blanc de la Garde Régine contre une cape de voyage brune et cagoulée, d’un genre que portait n’importe quel homme ordinaire. Il conserva son épée et son poignard. Il pourrait encore s’agir d’un piège. Il avait peu confiance en Hizdahr et moins encore en Reznak mo Reznak. Le sénéchal parfumé pouvait bien tremper dans l’affaire, et essayer de l’attirer dans une réunion secrète, afin de pouvoir capturer à la fois ser Barristan et Skahaz, en les accusant de conspirer contre le roi. Si le Crâne-ras parle de trahison, il ne me laissera d’autre choix que de l’arrêter. Hizdahr est le consort de ma reine, même si cela ne me plaît guère. Je lui dois ma loyauté, pas à Skahaz.
Mais était-ce bien vrai ?
Le premier devoir de la Garde Royale était de défendre le roi contre toute atteinte et toute menace. Les chevaliers blancs avaient eux aussi juré d’obéir aux ordres du roi, de préserver ses secrets, de conseiller quand on le leur demandait et de se taire quand on ne leur demandait rien. À strictement parler, c’était purement au roi de décider s’il fallait étendre sa protection à d’autres individus, même à ceux de sang royal. Certains rois jugeaient normal et approprié d’assigner la Garde Royale au service et à la défense de leurs épouses et de leurs enfants, de leurs frères et sœurs, tantes, oncles et cousins à des degrés plus ou moins éloignés et, à l’occasion, peut-être aussi à leurs maîtresses et à leurs bâtards. Mais d’autres préféraient employer à ces tâches les chevaliers et hommes d’armes de la maison, tout en réservant les sept à leur garde personnelle, jamais éloignée d’eux.
Si ma reine m’avait ordonné de protéger Hizdahr, je n’aurais pas eu d’autre choix que d’obéir. Mais Daenerys Targaryen n’avait jamais établi de Garde de la Reine spécifique, même pour elle-même, ni donné d’ordres en ce qui concernait son consort. Le monde était plus simple quand j’avais un lord Commandant pour décider de ce genre de choses, songea Selmy. Maintenant que je suis le lord Commandant, le juste chemin est difficile à déterminer.
Quand il arriva enfin au bas de la dernière volée de marches, il se retrouva tout seul au milieu des couloirs éclairés de torches enclos dans les massifs murs de brique de la pyramide. Les grandes portes étaient fermées, barrées, ainsi qu’il s’y attendait. Quatre Bêtes d’Airain montaient la garde à l’extérieur de ces portes, quatre autres à l’intérieur. Ce furent celles-là que rencontra le vieux chevalier – des hommes de forte carrure, masqués en sanglier, en ours, en campagnol et en manticore.
« Tout est calme, ser, lui annonça l’ours.
— Veillez à ce que cela continue. » Il n’était pas inouï pour ser Barristan d’effectuer une ronde de nuit, afin de s’assurer de la sécurité de la pyramide.