Alors, il mourra ici, conclut Daenerys, à moins qu’il ne me cache autre chose sur lui-même. « Est-il toujours à l’intérieur ?
— En train de boire avec ses chevaliers.
— Amenez-le-moi. Il est temps qu’il rencontre mes enfants. »
L’ombre d’un doute passa sur le long visage solennel de Barristan Selmy. « À vos ordres. »
Le roi de Daenerys riait avec Yurkhaz zo Yunzak et les autres seigneurs yunkaïis. La reine supposa qu’elle ne lui manquerait pas, mais donna à tout hasard à ses caméristes instruction de lui répondre qu’elle satisfaisait un besoin naturel, s’il s’inquiétait d’elle.
Ser Barristan attendait près de l’escalier, avec le prince de Dorne. Le visage carré de Martell était animé et rubicond. Trop de vin, en conclut la reine, en dépit de tous les efforts qu’il déployait pour le dissimuler. À l’exception de la guirlande de soleils en cuivre qui ornementait sa ceinture, le Dornien était vêtu simplement. On l’appelle Guernouille, se remémora Daenerys. Elle en voyait la raison. L’homme n’était pas séduisant.
Elle sourit. « Mon prince. Le chemin est long jusqu’en bas. Vous y tenez, vous en êtes sûr ?
— S’il plaît à Votre Grâce.
— Alors, venez. »
Une paire d’Immaculés descendait les marches devant eux, porteurs de flambeaux ; derrière venaient deux Bêtes d’Airain, l’une masquée en poisson, l’autre en faucon. Même ici, dans sa propre pyramide, en cette faste nuit de paix et de célébration, ser Barristan insistait pour qu’elle conservât autour d’elle des gardes, partout où elle se rendait. La petite compagnie effectua la descente en silence, s’arrêtant à trois reprises pour se rafraîchir en cours de route. « Le Dragon a trois têtes, déclara Daenerys quand ils furent parvenus sur le dernier palier. Mon mariage ne doit pas représenter le terme de tous vos espoirs. Je sais pourquoi vous êtes ici.
— Pour vous, affirma Quentyn, tout de gauche galanterie.
— Non. Pour le feu et le sang. »
De son box, un des éléphants barrit à leur adresse. Un rugissement souterrain lui répondit, faisant rosir Daenerys d’une chaleur soudaine. Le prince Quentyn, alarmé, leva les yeux. « Les dragons sentent sa présence », lui expliqua ser Barristan.
Tout enfant sent la présence de sa mère, se dit Daenerys. Quand les mers seront asséchées et quand les montagnes auront sous le vent le frémissement de la feuille… « Ils m’appellent. Venez. » Elle prit le prince Quentyn par la main pour le conduire à la fosse où étaient confinés deux de ses dragons. « Restez au-dehors », ordonna-t-elle à ser Barristan tandis que les Immaculés ouvraient les immenses portes de fer. « Le prince Quentyn me protégera. » Elle entraîna le prince dornien à l’intérieur avec elle, pour aller se placer au-dessus de la fosse.
Les dragons tournèrent le cou, pour les considérer avec des prunelles ardentes. Viserion avait rompu une chaîne et fondu les autres. Il s’accrochait au plafond de la fosse comme une énorme chauve-souris blanche, ses griffes plantées profond dans le croulement des briques brûlées. Rhaegal, encore entravé, rongeait une carcasse de taureau. Les ossements sur le sol de la fosse formaient une couche plus épaisse que la dernière fois qu’elle était descendue ici, et les parois et le sol étaient noirs et gris, cendres plus que brique. Ils ne tiendraient plus longtemps… mais derrière eux, il n’y avait que de la terre et de la pierre. Des dragons peuvent-ils forer à travers la roche, comme les dragons ardents de l’ancienne Valyria ? Elle espérait que non.
Le prince de Dorne était devenu aussi blanc que du lait. « Je… j’avais entendu qu’il y en avait trois.
— Drogon chasse. » Il n’avait pas besoin d’en savoir davantage. « Le crème est Viserion, le vert Rhaegal. Je leur ai donné le nom de mes frères. » Sa voix résonnait contre la pierre carbonisée des murs. Une voix qui semblait ténue – celle d’une petite fille, pas d’une reine et d’une conquérante, pas les accents joyeux d’une toute nouvelle épouse.
Rhaegal rugit en réponse, et le feu emplit la fosse, une pique de rouge et jaune. Viserion répondit, de ses flammes or et orange. Quand il battit des ailes, un nuage gris de cendre satura l’air. Autour de ses pattes, ses chaînes brisées sonnèrent et raclèrent le sol. Quentyn Martell recula d’un bond d’un pied de long.
Une femme plus cruelle aurait pu rire de lui ; Daenerys lui pressa la main et confia : « Ils m’effraient aussi. Il n’y a pas de honte à cela. Dans le noir, mes enfants ont sombré dans la sauvagerie et la fureur.
— Vous… vous avez l’intention de les monter ?
— L’un d’eux. Tout ce que je connais des dragons se limite à ce que m’a raconté mon frère quand j’étais petite, et au peu que j’ai lu dans les livres, mais on affirme que même Aegon le Conquérant n’a jamais osé enfourcher Vhagar ou Meraxès, non plus que ses sœurs n’ont monté Balerion la Terreur noire. Les dragons vivent plus longtemps que les hommes, des siècles pour certains, si bien que Balerion a connu d’autres cavaliers après la mort d’Aegon… mais aucun cavalier n’a jamais chevauché deux dragons. »
Viserion émit un nouveau chuintement. De la fumée monta d’entre ses crocs, et ils purent voir au fond de sa gorge bouillonner un feu doré.
« Ce sont… des créatures terrifiantes.
— Des dragons, Quentyn. » Daenerys se dressa sur la pointe des pieds et l’embrassa avec légèreté, un baiser sur chaque joue. « J’en suis un, aussi. »
Le jeune prince déglutit. « Je… j’ai également en moi le sang du dragon, Votre Grâce. Je peux remonter ma lignée jusqu’à la première Daenerys, la princesse Targaryen qui fut la sœur du roi Daeron le Bon et l’épouse du prince de Dorne. Il a bâti pour elle les Jardins Aquatiques.
— Les Jardins Aquatiques ? » De Dorne ou de son histoire, elle savait tant et moins, à dire vrai.
« Le palais préféré de mon père. J’aurais plaisir à vous les montrer un jour. Ils sont tout de marbre rose, avec des bassins et des fontaines, dominant la mer.
— Cela semble superbe. » Elle l’écarta de la fosse. Sa place n’est pas ici. Il n’aurait jamais dû venir. « Vous devriez retourner là-bas. Ma cour n’est pas pour vous un lieu sûr, je le crains. Vous avez plus d’ennemis que vous ne le savez. Vous avez ridiculisé Daario, et il n’est pas homme à oublier un tel affront.
— J’ai mes chevaliers. Mes boucliers liges.
— Deux chevaliers. Daario a cinq cents Corbeaux Tornade. Et vous feriez bien de vous méfier également du seigneur mon mari. Il paraît un homme doux et agréable, je le sais, mais ne vous y trompez pas. La couronne d’Hizdahr tire son pouvoir de la mienne, et il jouit de l’allégeance de certains des plus redoutables guerriers du monde. Si l’un d’eux s’imaginait gagner sa faveur en disposant d’un rival…
— Je suis prince de Dorne, Votre Grâce. Je ne fuirai pas devant des esclaves et des épées-louées. »
Alors, tu es vraiment sot, prince Guernouille. Daenerys lança à ses sauvages enfants un dernier regard appuyé. Elle entendit hurler les dragons tandis qu’elle guidait de nouveau le jeune homme jusqu’à la porte, et elle vit jouer les lumières sur les briques, reflet de leurs feux. Si je regarde en arrière, c’en est fait de moi. « Ser Barristan a dû requérir deux chaises à porteurs afin de nous transporter jusqu’à la salle du banquet, mais l’ascension peut quand même être épuisante. » Derrière eux, les grandes portes de fer se refermèrent avec un choc formidable. « Parlez-moi de cette autre Daenerys, je connais moins l’histoire du royaume de mon père que je le devrais. Je n’ai jamais eu de mestre, en grandissant. » Rien qu’un frère.