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Et Robb. Robb, qui avait été plus un frère pour Theon que n’importe quel fils né des œuvres de Balon Greyjoy. Assassiné aux Noces pourpres, massacré par les Frey. J’aurais dû être à ses côtés. Où étais-je ? J’aurais dû périr avec lui.

Theon s’arrêta si brusquement que Saule faillit percuter son dos. La porte de la chambre à coucher de Ramsay se dressait devant lui. Et, pour la garder, il y avait deux des Gars du Bâtard, Alyn le Rogue et Grogne.

Les anciens dieux doivent nous vouloir du bien. Grogne n’avait pas de langue et Alyn le Rogue pas de tête, aimait à répéter lord Ramsay. L’un était brutal, l’autre méchant, mais tous deux avaient passé le plus clair de leur vie au service de Fort-Terreur. Ils exécutaient les ordres.

« J’ai de l’eau chaude pour lady Arya, leur annonça Theon.

— Essaie d’ te laver, toi, Schlingue, répliqua Alyn le Rogue. Tu pues la pisse de cheval. » Grogne bougonna une approbation. Ou peut-être ce bruit voulait-il exprimer un rire. Mais Alyn déverrouilla la porte de la chambre, et Theon fit signe aux femmes de passer.

Aucune aube n’avait paru dans cette pièce. Les ombres recouvraient tout. Une ultime bûche crépitait pauvrement dans les braises expirantes de l’âtre, et une chandelle vacillait sur la table, auprès d’un lit défait, vide. La fille a filé, fut la première pensée de Theon. Elle s’est jetée par la fenêtre, de désespoir. Mais ici, les volets des fenêtres étaient clos contre la tempête, calfatés par des carapaces de neige plaquée et de givre. « Où est-elle ? » interrogea Houssie. Ses sœurs vidèrent leurs seaux dans le grand baquet rond en bois. Frenya referma la porte de la chambre et y colla le dos. « Où est-elle ? » répéta Houssie. Dehors, un cor sonnait. Une trompe. Les Frey, qui s’assemblent pour la bataille. Theon sentait ses doigts manquants le démanger.

Puis il la vit. Elle était recroquevillée dans le recoin le plus noir de la chambre, par terre, roulée en boule sous une pile de peaux de loups. Theon ne l’aurait jamais repérée sans la façon dont elle tremblait. Jeyne avait tiré sur elle les fourrures afin de se cacher. De nous ? Ou attendait-elle le seigneur son époux ? La pensée que Ramsay pouvait surgir lui donna envie de hurler. « Madame. » Theon n’arrivait pas à l’appeler Arya et il n’osait l’appeler Jeyne. « Inutile de vous cacher. Ce sont des amies. »

Les fourrures remuèrent. Un œil apparut, brillant de larmes. Sombre, trop sombre. Un œil brun. « Theon ?

— Lady Arya. » Aveline s’approcha. « Il vous faut nous suivre, et promptement. Nous sommes venues vous mener auprès de votre frère.

— Mon frère ? » Le visage de la fille émergea de sous les peaux de loups. « Je… je n’ai pas de frère. »

Elle a oublié qui elle est. Elle a oublié son nom. « C’est vrai, répondit Theon, mais vous en avez eu naguère. Trois. Robb, Bran et Rickon.

— Ils sont morts. Je n’ai plus de frères.

— Zavez un demi-frère, lui dit Aveline. Lord Corbac, qu’il est.

— Jon Snow ?

— Nous allons vous conduire à lui, mais faut venir sur-le-champ. »

Jeyne remonta les peaux de loups jusqu’à son menton. « Non. C’est une ruse. C’est lui, c’est mon… mon seigneur, mon doux seigneur, c’est lui qui vous a envoyés, c’est juste une sorte de mise à l’épreuve pour s’assurer que je l’aime. Oui, oui, je l’aime plus que tout. » Une larme coula sur sa joue. « Dites-le, dites-le-lui. Je ferai ce qu’il voudra… tout ce qu’il voudra… avec lui ou… ou avec le chien, ou… de grâce… il n’aura nul besoin de me couper les pieds, je ne tenterai pas de m’enfuir, jamais, je lui donnerai des fils, je le jure, je le jure… »

Aveline siffla doucement. « Les dieux maudissent cet homme.

— Je suis une bonne fille, geignit Jeyne. Ils m’ont dressée. »

Saule grimaça. « Faites-la arrêter de chialer, quelqu’un. L’autre garde est muet, pas sourd. Ils vont finir par entendre.

— Fais-la se lever, tourne-casaque. » Houssie avait son poignard à la main. « Fais-la se lever, sinon c’est moi qui m’en charge. Il faut qu’on parte. Remets-moi cette petite conne debout et secoue-la pour lui faire retrouver un peu de courage.

— Et si elle crie ? » s’inquiéta Aveline.

Nous sommes tous morts, répondit dans sa tête Theon. Je leur avais dit que c’était une folie, mais aucune n’a voulu m’écouter. Abel les avait tous perdus. Tous les chanteurs étaient à demi fous. Dans les ballades, le héros sauvait toujours la belle du château du monstre, mais la vie n’était pas une ballade, pas plus que Jeyne n’était Arya Stark. Ses yeux n’ont pas la bonne couleur. Et il n’y a pas de héros, ici, rien que des putains. Néanmoins, il s’agenouilla à côté d’elle, abaissa les fourrures, lui toucha la joue. « Tu me connais. Je suis Theon, tu te souviens. Moi aussi, je te connais. Je sais ton nom.

— Mon nom ? » Elle secoua la tête. « Mon nom… c’est… »

Il lui posa un doigt sur les lèvres. « Nous pourrons en discuter plus tard. Il faut que tu fasses silence, maintenant. Viens avec nous. Avec moi. Nous allons t’emmener loin d’ici. Loin de lui. »

Elle écarquilla les yeux. « De grâce, chuchota-t-elle. Oh, de grâce. »

Theon glissa la main dans celle de Jeyne. Les moignons de ses doigts perdus fourmillèrent tandis qu’il halait la jeune femme afin de la mettre debout. Les peaux de loups churent autour d’elle. Au-dessous, elle était nue, ses petits seins pâles marqués de traces de dents. Il entendit une des femmes hoqueter de surprise. Aveline lui fourra un ballot de vêtements entre les mains. « Habille-la. Il fait froid, dehors. » Escurel s’était dévêtue jusqu’au petit linge, et fouillait dans un coffre en cèdre sculpté, en quête de quelque chose de plus chaud. Finalement, elle opta pour un des pourpoints matelassés de lord Ramsay, et une paire de chausses usées qui battaient sur ses jambes comme les voiles d’un navire dans la tempête.

Avec l’aide d’Aveline, Theon fit entrer Jeyne Poole dans les vêtements d’Escurel. Si les dieux sont bons et que les gardes sont aveugles, elle pourrait faire illusion. « À présent, nous allons sortir et descendre les marches, annonça Theon à la jeune femme. Tiens la tête baissée et le capuchon enfoncé. Suis Houssie. Ne cours pas, ne crie pas, ne dis rien, ne regarde personne en face.

— Reste près de moi, demanda Jeyne. Ne me quitte pas.

— Je serai juste à côté de toi », promit Theon tandis qu’Escurel se coulait dans le lit de lady Arya et remontait la couverture.

Frenya ouvrit la porte de la chambre.

« Alors, tu l’as bien lavée, Schlingue ? » demanda Alyn le Rogue, quand ils émergèrent. Grogne pinça le sein de Saule au passage. Ils eurent de la chance que l’homme l’eût choisie. S’il avait porté la main sur Jeyne, elle aurait probablement poussé un hurlement. Et là, Houssie aurait ouvert la gorge de Grogne avec le coutelas dissimulé dans sa manche. Saule se contenta de se tordre pour se dégager et passer.

Un instant, Theon fut presque pris de vertige. Ils n’ont pas jeté un regard. Ils n’ont rien vu. On a fait passer la fille sous leur nez !

Mais sur les marches, sa peur revint. Et s’ils rencontraient l’Écorcheur, Damon Danse-pour-Moi ou Walton Jarret d’Acier ? Ou Ramsay en personne ? Que les dieux me préservent, pas Ramsay, n’importe qui sauf lui. À quoi bon extraire la fille de sa chambre à coucher ? Ils étaient toujours à l’intérieur du château, avec toutes les portes fermées et barrées, et des remparts grouillant de sentinelles. Selon toute probabilité, les gardes à l’extérieur du donjon allaient les arrêter. Houssie et son coutelas ne serviraient pas à grand-chose contre six hommes bardés de maille, avec épées et piques.