Lorsqu’Andrew Junior eut trois ans, Andrew Senior connut son plus grand triomphe artistique. Non pas sur la couverture du Saturday Evening Post mais dans les salons du Musée d’Art Moderne. Sa première exposition souleva un tel torrent d’éloges que le New York Times jugea la chose assez importante pour lui consacrer un article en première page. Les Hills, ce soir-là, donnèrent une réception pour leurs meilleurs amis. Des couvertures de magazines furent brûlées en grande cérémonie et les cendres déposées dans une urne que Paula avait dénichée à cette occasion.
Un mois après, ils signaient les documents qui faisaient d’eux les propriétaires d’une vaste maison de Westchester dont le studio seul, construit en verre, avait les dimensions de leur ancien appartement.
Andy avait trente-cinq ans lorsqu’il prit la décision de modifier la déplorable situation politique de leur ville. Sa célébrité artistique et sportive lui permit d’entrer aisément dans la mêlée politique. Au premier abord, l’idée de se présenter aux élections l’effraya mais, quand le mouvement fut lancé, il ne put l’arrêter. Il gagna avec facilité et fut élu au conseil municipal. C’était un poste mineur, mais Andy était assez célèbre pour attirer l’attention du pays tout entier. Dans l’année qui suivit, il commença à recevoir la visite d’hommes influents des différents cercles politiques. Aux élections sénatoriales de l’été, son nom figurait sur les bulletins. À quarante ans, Andrew Hills était élu sénateur.
Ce printemps-là, Paula et lui passèrent un mois à Acapulco, dans la demeure enchanteresse qu’ils avaient fait construire dans l’ombre fraîche des montagnes, face à la baie. Andy parla de leur avenir.
— « Je sais ce que voudrait le parti, » dit-il à sa femme. « Mais je suis sûr qu’ils se trompent. Je n’ai pas l’étoffe d’un président, Paula. »
Mais la décision ne fut pas nécessaire. Cet été-là, l’Alliance Asiate, lasse des incessants pourparlers de paix, lança une attaque sur la frontière de l’Alaska. Andy fut promu Commandant. Son audace dans l’action, la reprise brillante de Shaktolik et la marche triomphale sur Nome lui valurent un poste dans le Haut-Commandement des Armées Alliées.
À la fin de la première année de combat, il avait deux étoiles d’argent sur l’épaule et on lui conféra l’insigne honneur de représenter les Alliés aux négociations de Fox Island dans les Aléoutiennes. Il se défendit plus tard d’avoir été l’unique artisan du succès de ces pourparlers de paix, mais le peuple américain le considéra comme un héros et cela suffit pour le conduire à la Maison-Blanche l’année suivante. Ce fut un triomphe inégalé dans l’histoire de la politique.
Andy avait cinquante ans lorsqu’il quitta Washington mais sa plus grande victoire l’attendait encore. Sa position dans l’Organisation Mondiale lui avait donné un rôle prépondérant dans la politique planétaire. Premier Secrétaire du Conseil Mondial, son habileté à établir un compromis entre les différentes idéologies fut la cause directe de l’instauration du Gouvernement Mondial.
À soixante-quatre ans, Andrew Hills était élu Président du Monde et il tint ce poste jusqu’à sa retraite volontaire à l’âge de soixante-quinze ans. Toujours actif et vigoureux, toujours capable de disputer une partie de tennis ou de peindre des œuvres qui soulevaient l’admiration des milieux artistiques, il se retira avec Paula dans leur maison d’Acapulco.
Il avait quatre-vingt-six ans quand la vie lui devint un poids trop lourd. Andrew Junior, avec ses quatre petits-enfants, et Denise, avec ses charmants jumeaux, lui rendirent une dernière visite avant qu’il s’alite.
— « Mais que fait la drogue ? » demanda Paula. « Est-ce qu’elle guérit, ou quoi ? J’ai le droit de savoir ! »
Le Dr. Bernstein fronça les sourcils. « C’est plutôt difficile à dire. La drogue n’a aucun pouvoir curatif. Elle pourrait être comparée à un hypnotique, mais son effet est assez particulier. Elle provoque un rêve. »
— « Un rêve ? »
— « Oui. Un rêve incroyablement long et détaillé, dans lequel le patient vit une vie tout entière, exactement celle qu’il aurait voulu vivre. Vous pouvez aussi bien dire que c’est un opium mais le plus humain qu’on ait jamais conçu. »
Paula regarda la forme couchée dans le lit. La main de son mari glissait lentement sur les draps et vint toucher la sienne.
— « Andy, » souffla-t-elle, « Andy chéri…»
Faiblement, le vieillard auquel on avait administré la drogue lui prit la main.
— « Paula, » murmura-t-il, « dis adieu aux enfants pour moi. »