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Mme Ferville et Paul revinrent. Ils étaient graves et las. Leur physionomie exprimait une gratitude immense. Leurs yeux et leurs doigts se mêlaient. Ils parlaient d’un ton recueilli. On s’en alla, à pied, par des rues obscures. Puis Lucie ralentit le pas, les deux autres marchèrent devant elle, enlacés et tendres. Et elle envia leur bonheur.

Le lendemain, elle soigna sa mise, se coiffa d’un chapeau qui lui seyait, et partit à la conquête de Lemercier, déterminée à quelque œillade ou à quelque signe qui l’encourageât. Elle ne savait guère ce qu’il en adviendrait, elle ne prévoyait pas les actes successifs où la réduirait l’exécution de son projet. Elle voulait du nouveau, et elle s’avançait crânement comme on va vers un péril que l’on a souhaité.

Vains préparatifs, Lemercier ne parut pas. Elle s’entêta plusieurs jours, parcourut la ville, mais ne put le retrouver.

Alors elle se crut un chagrin sincère. Elle s’enferma, pria Paul d’interrompre ses rendez-vous, eut des maux de tête qui la dispensèrent de causer avec son mari, et se construisit une petite souffrance d’amour qui l’occupa durant une semaine.

La désillusion terminée, elle s’ennuya. Mme Ferville et Paul avaient contracté d’autres habitudes. Elle perdait ainsi sa principale distraction.

Le dédain de l’homme qu’elle avait distingué la déroutait. Elle eut moins de foi dans la puissance de sa beauté. Une période d’abattement suivit son exaltation. Un mois s’écoula, morne. Elle fit ses visites du jour de l’an, mais négligea celles qui l’importunaient. De nombreuses dames se froissèrent. Les Lassalle offrirent un dîner où les Chalmin ne furent pas conviés. Robert en apprit la cause par des amis communs et reprocha durement à Lucie son impolitesse. Vexée, elle s’emporta :

— Si tu crois que je vais mendier les invitations de ces créatures-là ! Ce n’est pas un si beau monde, et c’est vraiment drôle que ce soit mon mari qui m’y pousse.

Il insinua :

— C’est à Mme Lassalle que tu fais allusion !

— Parbleu ! s’écria-t-elle, il n’y a pas de calomnie à prétendre que sa dernière fille n’est pas de M. Lassalle. La chose est publique.

Après un arrêt, elle reprit d’un air entendu :

— Du reste, toutes les femmes sont pareilles, sauf les vilaines. Et tu devrais savoir plus gré à la tienne, qui n’est pas mal, de se conduire comme les plus laides.

Il sourit et, la baisant au front, lui dit affectueusement :

— Toi, tu es une honnête petite femme, et tu le seras toujours.

Cet excès de confiance la mortifia. Toujours ? Elle serait toujours fidèle à son mari ? Elle ne connaîtrait qu’un homme, qu’une façon d’aimer, qu’une étreinte ? S’il existait des voluptés meilleures, elle les ignorerait, toujours ?

Robert s’habillait. De son lit elle le regarda, avec une attention malveillante. Elle ne découvrit rien à critiquer. Il ne manquait ni d’élégance, ni de désinvolture. Mais elle lui en voulut d’être justement celui-là seul qui pût la posséder. Pourquoi pas un autre ? Pourquoi pas le premier qui lui plût ? Et fermant les yeux, elle tâcha de le voir, cet autre, de deviner ses paroles, sa manière d’agir avec elle, de la déshabiller, de la câliner, tous ces détails de l’intimité amoureuse, qui la tourmentaient par-dessus tout.

Chalmin parti, elle sauta à terre, et courut à sa glace. L’admiration absolue qu’elle s’accordait lui montra, là encore, l’insuffisance d’un homme. Elle se contemplait émerveillée, jamais lasse de ce spectacle. Quelle œuvre d’art inspirerait son corps à un peintre ou à un statuaire ! Et elle se jugea soudain criminelle de dérober au monde un tel idéal de perfection. « Une femme comme moi, se dit-elle, devrait marcher toute nue. »

Les éloges qu’elle pouvait à peine arracher à Robert lui firent hausser les épaules. Ce qu’il lui fallait, c’était l’enthousiasme des foules. Elle souleva le rideau de sa fenêtre, au risque d’être aperçue. Puis se recouchant, elle bâtit des rêves où des hommes, éblouis de sa splendeur, s’agenouillaient devant elle, les mains jointes, et balbutiaient leur extase, en des hymnes d’adoration.

Dès lors, son caractère se modifia, Robert dut supporter des mauvaises humeurs inexplicables. Il ne prononçait pas un mot qu’elle ne le contredît. Elle lui infligea des querelles à propos de bêtises, et le boudait ensuite comme s’il eût été fautif. Elle rudoyait les domestiques. Il n’était point de jour qu’on ne l’entendît crier dans la maison.

Elle fut vraiment malheureuse, moins d’une souffrance déterminée que d’une absence de joies. Quelque chose lui manquait. Sans vouloir préciser vis-à-vis d’elle-même la nature de ces joies auxquelles elle aspirait, elle en sentait le besoin. Et ce besoin grandissait, devenait une impérieuse nécessité. Elle finit par se l’avouer, elle souhaitait ardemment une aventure quelconque. Son intrigue inachevée avec Georges Lemercier ne le prouvait-il pas d’une façon péremptoire ?

Elle évitait de songer à la possibilité d’un amant, et par une hypocrisie inconsciente, elle appelait soif d’aventure l’irrésistible force qui l’entraînait vers la chute. Elle demandait à se distraire. La vie est triste, fade. Il faut l’agrémenter. Ne pouvait-elle trouver, sans faillir, un remède à son mal ?

Son corps aussi la tourmentait. Elle avait un gros chagrin à le voir si joli : « À quoi me sert d’être bien faite ? se dit-elle, je n’en jouis pas davantage que si j’étais vilaine et difforme. » Et elle eut des remords envers sa chair, comme envers quelqu’un auquel on refuse les satisfactions qu’il mérite.

Le dénouement approchait. Le premier homme qui l’eût sollicitée, l’aurait prise avec autant d’aisance que l’on prend une fille. Elle ne possédait aucune arme pour se défendre contre l’attaque. L’instinctive perversité de son tempérament, les théories de parrain, les exemples pernicieux, l’ennui, la curiosité, avaient accompli leur œuvre dissolvante. Elle ne pouvait se rattacher à rien, ni à son mari aveugle et trop honnête, ni à sa mère trop indifférente, ni à son fils qu’elle n’aimait pas suffisamment, ni à de fermes principes religieux ou moraux.

Le vice l’attendait comme un fiancé, comme un maître auquel il faut obéir. Elle était condamnée à l’adultère, et elle ne pouvait pas plus échapper à son destin que ne peut échapper à la mort le criminel désigné par la justice humaine. Elle entrerait fatalement dans l’innombrable tourbe des coupables et des menteuses, comme elles, sans doute, ballottée d’amour en amour, comme elles abreuvée d’opprobres et de honte, comme elles promise à d’âpres voluptés et à d’inexprimables écœurements.

Aucun homme cependant ne se présentait. Alors ce fut elle qui chercha.

Elle chercha parmi les amis que Robert amenait aux repas, elle arborait des peignoirs qui plaquaient ses formes, et comme on s’étonnait de son indifférence au froid, elle déclarait :

— Et je n’ai que cela sur moi : au-dessous de la flanelle, c’est la peau.

On ne comprit pas ses avances.

Elle chercha autour d’elle, parmi ses relations, au théâtre, au bal. Elle quêtait les hommages, orgueilleuse, confiante de sa valeur et du bonheur dont elle disposait. Elle adopta les mises excentriques et des allures évaporées, et copia Mme Berchon, sans atteindre à son bon goût. Avisait-elle un monsieur bien mis, d’aspect convenable, elle avait une envie folle de lui saisir le bras, de l’attirer n’importe où, et de lui crier, en arrachant son corsage :

— Tenez, regardez, qu’en dites-vous ?

Elle avait un renom de vertu trop solide pour qu’on pensât seulement à lever les yeux sur elle. Nul ne la remarqua.

Elle chercha dehors, en pleine rue.

DEUXIÈME PARTIE