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— Quant au contrat, ajouta M. Bouju-Gavart, quoique Robert ne m’en ait pas ouvert la bouche, je puis affirmer qu’il préfère le régime de la communauté, si vous n’y voyez pas d’inconvénients.

Lorsque tout fut conclu, ils consacrèrent une minute à exposer sommairement le caractère respectif des deux jeunes gens, puis une autre à célébrer l’inévitable béatitude qu’ils goûteraient ensemble. Il ne leur restait plus qu’à obtenir l’approbation de la principale intéressée.

On la manda, et Mme Ramel lui dit gravement :

— Ma chère enfant, M. Chalmin nous fait l’honneur de te demander en mariage. Ne te presse pas. Consulte-toi.

Debout, les yeux baissés, Lucie se taisait. Depuis longtemps préparée à cette démarche, elle n’éprouvait aucun plaisir, rien qu’une certaine vanité peut-être. Elle évoqua Robert. L’aimait-elle ? Elle ne savait pas. L’aimait-il, lui ? Elle ne savait pas. Tout cela était très obscur. Cependant elle désirait se marier. Pourquoi ? Elle ne savait pas non plus. De courtes visions d’avenir l’effleurèrent : une promenade en bateau, sur un lac, le soir, avec Chalmin en face d’elle, et autour un paysage suisse, — puis un salon où elle se tenait, assise auprès de la lampe, et des dames en chapeau qui entraient et sortaient, — puis un enfant qui jouait à ses pieds, la chair rose, les joues bouffies. Ces vagues perspectives lui agréaient. Son cœur battit un plus plus vite. Mais comment exprimer son consentement ? Elle se remémora des scènes analogues, décrites dans les livres : toutes se terminaient de manière identique.

Et soudain elle se jeta sur sa mère, d’un mouvement gauche, et se pelotonna contre elle, en balbutiant :

— Comme tu voudras, maman, comme tu voudras.

Une émotion insurmontable envahit M. Bouju-Gavart. Il saisit la jeune fille entre ses bras :

— Tu seras heureuse, gamine, je m’y engage.

Et il l’embrassa longuement, à plusieurs reprises.

Le soir même, Robert fut admis à faire sa cour.

Poussés par un besoin de cachotterie, par le désir de duper le monde et de tramer une sorte de complot, ils ne rendirent les fiançailles officielles qu’au mois de mars.

Ce fut un soulagement général, le monde était satisfait.

— Vous savez, M. Chalmin épouse Lucie Ramel. Ce sont les Bouju-Gavart qui font le mariage. Il paraît qu’ils s’adorent. Le jeune homme s’est montré d’un désintéressé ! Il ne sait même pas le chiffre de la dot.

La nouvelle devenue publique, les fiancés évitèrent, selon la coutume, de « se montrer en spectacle ». Ces dames refusèrent toute invitation.

Quotidiennement, Robert envoyait une gerbe de fleurs. Deux fois la semaine, c’était un bouquet d’une ordonnance irréprochable, avec des cercles concentriques de roses, d’œillets ou de camélias, le tout émergeant d’une collerette en papier blanc finement découpé. Ce bouquet, planté dans un vase de Chine, y attendait la venue de son successeur. Avant de le jeter, Lucie en détachait une fleur qu’elle étalait sur un album consacré à cet usage.

Chalmin n’embrassait la jeune fille qu’au début et à la fin de chaque visite, en présence de Mme Ramel. Un dimanche, cependant, au retour d’une excursion à l’abbaye de Saint-Georges, Lucie désira monter la côte à pied. Sa mère le lui permit et resta dans la voiture qui disparut au premier tournant. Alors Robert se pencha vers sa fiancée et lui baisa la joue près des lèvres. Leurs bouches se frôlèrent. Un peu interdite, elle eut un mouvement de recul. Il la crut fâchée et s’excusa. D’ailleurs, lui-même s’en voulait. Mais, elle, cette hardiesse l’avait amusée. Elle eut accepté qu’il recommençât sa tentative et, souvent lui en offrit l’occasion. Il ne comprit pas, ce qui la froissa.

Néanmoins ils s’accordaient bien. Dans l’aménagement de leur futur domicile, boulevard Cauchoise, leur bonne entente se manifesta d’une façon continue. Si l’un d’eux choisissait un tapis, une tenture, un meuble, l’autre approuvait inévitablement.

— Nous sommes toujours du même avis, mademoiselle et moi, n’est-ce pas ? s’écriait Chalmin.

Et il concluait de cette similitude de goûts à la similitude de leurs tempéraments et de leurs natures.

Il s’en disait fort épris. Durant le dîner où il enterra sa vie de garçon, il ne put s’empêcher de le proclamer :

— Mes chers amis, j’aime ma fiancée, et j’ai la certitude qu’elle m’aime aussi.

Sa verve, l’aisance de ses manières inspiraient à Lucie une grande admiration.

Elle avait eu une enfance morne, entre une mère dévote et une vieille parente qui lui servait d’institutrice. Elle voyait peu son père que retenaient au dehors ses fonctions et ses habitudes dissipées. Une sympathie secrète la poussait vers lui cependant, mais les plaintes incessantes de Mme Ramel contre son mari réfrénaient ce désir. Et l’enfant grandissait, sans amies, comprimée par les deux femmes qui la bourraient de maximes pieuses, de lectures édifiantes et de reproches perpétuels.

Robert étant le premier homme qui pût approcher d’elle, elle fut naturellement portée à le juger supérieur aux autres. Surtout, elle se sentait pour celui qui l’arrachait à son milieu morose des élans de reconnaissance qu’elle appelait volontiers de l’amour. En compensation à sa vie monotone, elle s’imaginait un avenir gai, riant, libre. Ces rêves accroissaient la somme d’affection dont elle disposait, et Robert en recueillait le bénéfice.

On célébra la cérémonie, en juillet, à l’église Saint-Vincent. M. Bouju-Gavart conduisit la mariée à l’autel, entre deux haies de curieux qui la dévisageaient à travers son voile. Chalmin accompagnait Mme Ramel. Un nombreux cortège suivait. Les dames portaient des robes somptueuses dont les queues balayaient le tapis. Les hommes avaient endossé le frac.

Le monde était venu en foule, et il s’élevait de la nef un bourdonnement de voix et d’exclamations étouffées. La messe fut longue et solennelle. On remarqua les notes basses d’un chantre. Le curé dit quelques mots pleins de tact et de bon sens.

Au départ, les deux époux se donnèrent le bras et redescendirent l’église lentement. Lucie, préoccupée de sa jupe, sur laquelle avait marché Robert, baissait les yeux. On approuva son maintien modeste et son émotion visible. Chalmin parut pâle et distingué.

— Ils vont très bien comme taille, murmurait-on.

Et tandis qu’ils passaient, on envia ce couple, si parfaitement assorti, qui réunissait les chances de félicité les plus durables.

Dans le coupé des Bouju-Gavart, les mariés demeurèrent silencieux un instant, embarrassés l’un et l’autre. Leurs mains se joignirent comme pour témoigner de la tendresse que leurs lèvres ne savaient exprimer. Des minutes s’écoulèrent. Puis Chalmin attira sa femme contre sa poitrine et balbutia :

— Oh ! chère petite, je sens, je suis sûr que vous me rendrez heureux.

II

Les affaires laissant peu de loisir à Chalmin, le voyage de noces s’effectua en Bretagne.

Ils trouvèrent les hôtels détestables, les communications difficiles, le pays maussade, les habitants arriérés. Si la gaieté n’avait pas été de rigueur, leur mécontentement se fût produit. Au bout de quinze jours, ils reprirent le train à Vannes sans pousser jusqu’à Nantes.

La lecture de leur guide, en chemin de fer, compléta les renseignements qui leur manquaient, et leur fournit des données précises sur les excursions qu’ils avaient négligées. Ils s’évitèrent ainsi, pour l’avenir, l’obligation douloureuse d’avouer au sujet de telle curiosité : « Mais nous n’avons pas vu cela. »

Ils rapportèrent de ce voyage deux ou trois souvenirs poétiques : — un clair de lune à Roskoff, un coucher de soleil à la pointe de Penmark, et, à Locmariaquer, un déjeuner composé d’œufs durs et de mauvais cidre — souvenirs dont l’évocation leur causa longtemps des accès d’attendrissement. En outre, ils connurent un pays peu exploré et purent le décrire.