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— Alors pourquoi me demandez-vous de le faire si c'est impossible ?

— C'était une façon de parler…

— Elle ne joue pas d'argent, au moins ?

— Par pitié, c'est moi qui vais finir par vous demander l'absolution.

Chacun de leur côté du parloir, malgré leurs situations respectives moralement inconfortables, ils apprécient le côté peu orthodoxe de leur discussion. Avec qui peut-on échanger avec une franchise aussi absolue ? De qui peut-on sentir chaque nuance de la voix, sans enjeu, et sans même se voir ?

— Vous m'annoncez que vous avez réellement commis une faute, reprend le prêtre. Pourtant, à en juger par votre énergie, vous me semblez en bien meilleure forme…

— Sans doute est-ce ma nature démoniaque qui s'épanouit dans le péché.

— Ne plaisantez pas avec ça. Vous confesser, je peux, mais vous exorciser, je sens que ce sera au-dessus de mes compétences. Confiez-moi ce que vous avez fait.

— Après avoir été une mère indigne, je suis une criminelle recherchée par la police.

— Ne me dites pas que vous avez trucidé votre ex-mari, vous me feriez beaucoup de peine, je vous trouve si gentille.

— Non, ce fumier — pardon, ce vilain monsieur — est encore en vie, mais je suis allée l'intimider avec deux copines pour tenter de récupérer l'argent qu'il me doit.

— À la bonne heure. Sans violence, j'espère ?

— Aucune, j'étais accompagnée de deux herbivores.

— Des herbivores ?

— Mes deux meilleures amies. C'est compliqué, je vous expliquerai une autre fois.

— Avez-vous réussi à obtenir ce qui vous revenait ?

— Rien de rien. Tout ce qu'on a récolté, c'est une bonne crise de fou rire en repartant.

— Alors où est le problème ? Je suis prêtre, pas avocat.

— Il semble que malgré notre fiasco, Martial soit allé se plaindre à la police, qui m'a écrit et a tenté de me joindre jusque sur mon lieu de travail.

— Effectivement, c'est ennuyeux.

— J'ai peur, mon père. Que se passera-t-il si je me retrouve en prison ? Qui protégera Ulysse, qui l'élèvera ? Il sera placé, et il perdra tous ses repères. J'aurai de ses nouvelles au journal de 20 heures parce qu'il aura braqué une banque ou dérobé des cadeaux de Noël car il n'en aura pas eu assez…

— Nous n'en sommes pas encore là. Je conçois votre inquiétude, mais même le malheur ne va pas aussi vite en besogne, et pourtant, Dieu m'est témoin qu'il est prompt à saisir les opportunités.

— N'empêche que j'ai la trouille de me ramasser de nouveaux ennuis. Je n'en ai vraiment pas besoin. Je peine déjà à garder la tête hors de l'eau…

— Dans la période difficile que vous affrontez, je vois cependant un progrès.

— J'aimerais bien savoir où…

— Vous n'y êtes pas allée toute seule, c'est donc que vous avez parlé de votre situation à des proches. Vous êtes sur la bonne voie.

Céline ne répond pas immédiatement.

— Je n'avais pas envisagé la situation sous cet angle, mais vous avez raison.

— Vous voyez, ça va déjà mieux, et j'en suis sincèrement heureux pour vous, parce que vous me faites l'effet de quelqu'un de bien.

— C'est très gentil. Ne vous méprenez pas sur la portée de ma question, mais à tout hasard, savez-vous si le mariage des prêtres sera bientôt autorisé ?

22

— Eugénie, je peux te poser une question très personnelle ?

— Elle doit l'être vraiment pour que tu prennes ce genre de précaution…

Juliette rougit mais face à ce qu'elle traverse, elle a désespérément besoin de réponses.

— À quel moment as-tu été certaine que Victor était l'homme de ta vie ?

Eugénie ouvre de grands yeux. Juliette précise :

— Qu'est-ce qui t'en a convaincue ? Est-ce qu'il t'a parlé ? A-t-il fait quelque chose ? Est-ce que c'est toi seule qui as senti un lien particulier entre vous ?

— Ce n'est pas ce qu'il m'a fait qui m'a convaincue de devenir sa femme… Heureusement, il s'est nettement amélioré ensuite.

Contrairement à ce qui se produit d'habitude, c'est l'aînée qui fait rougir la cadette.

— S'il te plaît, insiste Juliette, c'est une question cruciale pour moi. Je suis incapable de penser à quoi que ce soit d'autre qu'à Loïc. Il me manque tellement que j'ai l'impression que ça me ronge le ventre. Ça me brûle.

Elle crispe sa main sur son estomac avec une expression angoissée. Eugénie comprend que ce n'est pas d'humour dont son amie a besoin. D'une voix apaisante, elle répond :

— Il paraît que lorsqu'on se consume d'amour pour quelqu'un, c'est là que ça chauffe. Tu dois être amoureuse.

— Merci, j'en avais une petite idée. Mais toi, comment tu as su que tu l'étais de Victor ?

Eugénie réfléchit.

— Je n'en ai jamais parlé avec personne. Je crois même ne m'être jamais posé la question. En fait, si j'y réfléchis, c'est lui qui a voulu de moi, et je me suis simplement laissé faire.

— Tu n'as pas eu le coup de foudre ?

— Pas réellement. Je l'ai d'abord trouvé drôle, puis attentionné, puis très présent, mais je n'ai pas ressenti cette évidence dont tu parles. Une chose en entraînant une autre, je me suis retrouvée avec lui.

Juliette s'abstient de toute remarque, mais elle trouve cela triste. Elle serait presque malheureuse pour son amie.

— On s'est fréquentés, de plus en plus, et puis on s'est mariés, et voilà.

— À aucun moment tu ne t'es dit que c'était lui et pas un autre ?

— Si, mais pas au début. C'est avec le recul que je me suis rendu compte que j'étais bien tombée. Parce que quand je suis partie pour faire ma vie avec lui, je n'avais aucune idée de ce dans quoi nous nous embarquions. Maintenant, j'en ai une perception plus précise et je me dis que j'ai eu de la chance de croiser sa route. Avec Victor, j'ai toujours eu confiance, je ne me suis jamais ennuyée, il a toujours été un bon mari. Nous avons avancé ensemble et on s'en est sortis jusque-là.

— Et la passion ? Ce feu qui te dévore ?

— Tu es faite ainsi, Juliette, mais ce n'est pas le cas de tout le monde. Effectivement, je n'ai pas ressenti cet élan viscéral pour Victor, peut-être parce que j'étais trop raisonnable, peut-être parce que j'avais trop peur d'y croire. On a fait un joli bout de chemin ensemble, et deux enfants ; il m'a toujours encouragée, il a même accepté de quitter son boulot, qu'il aimait, pour me suivre ici, mais je ne crois pas avoir été avec lui dans le même état que toi vis-à-vis de Loïc. Ma mère expliquait qu'il y a des hommes que l'on choisit à l'instinct et d'autres par raison. Je crois que comme pour elle, c'est la raison qui l'a emporté…

Juliette n'a pas obtenu la réponse qui lui aurait permis d'y voir plus clair. Par contre, pour les doutes, elle est servie.

Eugénie la regarde avec douceur.

— Puis-je à mon tour te poser une question indiscrète ?

— Bien sûr, fait Juliette, prise de court, mais je ne sais rien que tu ignores.

— Qu'est-ce qui te laisse penser que Loïc peut être l'homme de ta vie ? Qu'est-ce qui le rend si différent de tous les autres à tes yeux ?

Cette fois, c'est au tour de Juliette d'être déconcertée.

— Je n'en sais rien. Il me fait plus d'effet que n'importe qui. Au jour le jour, je découvre ce qui le rend particulier. On passe nos premières années à se faire des idées sur les sentiments qu'un homme est supposé provoquer en nous. On a presque des listes ! Ce qu'il devrait dire, ce qu'il doit nous offrir, les passages obligés, et on se dit que si toutes les cases sont cochées, alors ce sera le bonheur. Mais quand une rencontre comme celle-là te tombe dessus, les listes ne valent plus rien. Tout ça n'a plus aucune importance et on est prête à tout pour simplement vivre à ses côtés. C'est peut-être ça la réponse. L'homme de ta vie, ce serait celui qui te fait découvrir ce qu'aucun autre ne t'avait montré jusque-là.