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— F'est fa. Bobo tête. Pas graf. Va foir les flics mais n'afoue rien. Ne t'en fais pas, ve leur dirai que f'était mon idée. Fout va f'arranger.

Céline, les larmes aux yeux, se lève pour aller affronter son destin.

Chantal se met à hurler, mais c'est parce qu'elle a aperçu une souris. Natacha hurle aussi, mais parce qu'elle vient de voir ce qui restait de sa robe.

25

Dans le hall du théâtre, trois policiers patientent en compagnie de Victor, qui ne sait plus comment entretenir la conversation. Deux d'entre eux sont en uniforme. Celui qui ne l'est pas s'avance vers Céline au pas de charge dès qu'elle apparaît.

— Madame Lamiot ?

— Madame Haas. Je suis divorcée. Bonjour.

— Navré d'avoir à vous déranger. Inspecteur De Freitas. Vous n'avez pas reçu notre courrier ?

— J'en ai effectivement reçu un qui me demandait de me présenter chez vous « dès que possible », ce que je comptais faire…

— Dans notre jargon, c'est une façon polie de dire « très rapidement ».

— Je travaille dans les assurances, je sais ce qu'est une urgence. « Dès que possible » n'indique pas une priorité particulière.

Céline n'est pas décidée à être conciliante. Elle se doute que son ex est derrière cette visite, et ça l'énerve.

— Comment m'avez-vous trouvée ici ?

— Votre employeur nous a informés que vous passiez dans cet établissement une grande partie de votre temps libre. En tant que costumière bénévole, si nos renseignements sont exacts.

— Tout à fait. Rassurez-moi, ce n'est pas un délit ?

L'homme s'amuse de la remarque et enchaîne :

— Nous sommes ici parce que M. Martial Lamiot, votre ex-mari donc, a déposé une plainte contre vous.

L'expression de Céline, mais plus encore ses poings qui se crispent, ne laissent aucun doute sur ce qu'elle ressent. Sa réaction n'échappe pas à l'inspecteur qui, l'air de rien, ajoute :

— Je ne connais pas ce monsieur, mais il doit avoir de sacrées relations pour qu'on hérite de ce dossier. Notre métier nous donne aussi une certaine expérience de ce qu'est une priorité, et croyez-moi, nous avons des cas autrement plus importants à gérer.

— Il a effectivement beaucoup de relations, souvent douteuses…

— Avez-vous une idée du motif de sa plainte ?

Céline se souvient du conseil d'Eugénie : « N'afoue rien. »

— Aucune.

Un des policiers en uniforme tend une enveloppe à son supérieur.

— Étiez-vous en vacances voilà environ quatre semaines ?

Céline est décontenancée, ce n'est pas la question à laquelle elle s'attendait.

— Oui, j'ai passé quelques jours avec mon fils, Ulysse, que M. Lamiot, son père, a refusé de prendre au dernier moment malgré nos accords parce qu'il a préféré partir en vacances avec une de ses poules.

— Je suis désolé, mais je dois formellement vous poser une autre question. Gardez à l'esprit que votre réponse vous engage, mes collègues et moi étant assermentés.

— Je vous écoute.

— Avez-vous proféré des menaces de mort à l'encontre de M. Lamiot ?

— Je vous avoue qu'il m'est arrivé…

L'inspecteur sourit.

— Madame Haas, si je peux me permettre un conseil, vous devez répondre avec le plus grand sérieux. Je ne fais pas allusion à ces mots de colère que l'on peut tous laisser échapper, je vous parle de menaces réelles. Tenez-vous-en aux faits dans ce qu'ils ont de plus stricts.

— Alors ma réponse est non.

— Lui avez-vous envoyé une lettre de menaces ?

— Jamais.

Il sort une photocopie de l'enveloppe et la tend à Céline.

— Avez-vous écrit cette carte ?

Céline s'empare du document et découvre une carte postale, envoyée de Floride, sur laquelle est écrit : Sale charogne, tu vas crever, je vais te faire payer ta trahison. Ça te coûtera tout ton blé. Je vais te saigner comme le sale voleur que tu es. Aucune signature.

Céline éclate d'un rire qui résonne bien au-delà du hall. Elle est secouée de spasmes et les larmes lui coulent des yeux. L'inspecteur la regarde froidement.

— Qu'est-ce qui vous amuse à ce point ?

— Je me sens soudain moins seule ! On est au moins deux à penser la même chose de cette ordure. Mais je vous promets que je n'ai pas écrit cette carte. J'ai cru que… enfin, aucune importance.

Soulagée que la police soit venue pour un acte dont elle n'est pas coupable, Céline respire. En plus, elle adore l'idée que quelqu'un d'autre en veuille à mort à son crétin d'ex-mari.

— Vous êtes certaine que vous n'avez pas envoyé cette carte ?

— Absolument. Des dizaines de personnes doivent pouvoir témoigner que j'étais trop occupée à essayer de m'en sortir ici pour aller écrire ce genre de foutaises en Floride.

— Pour brouiller les pistes, vous auriez pu demander à un complice de la poster…

Céline rit de plus belle.

— Je ne connais ni flamant rose, ni riche retraité, ni trafiquant de drogue. Mes proches n'ont rien à faire en Floride !

L'homme s'avance d'un pas vers elle. Il la regarde droit dans les yeux et lui murmure :

— J'adore votre rire, madame Haas, je le trouve terriblement sexy. Mais lorsque vous êtes arrivée, vous aviez la tête d'une coupable et je m'y connais un peu. Alors je ne sais pas de quoi il s'agit, mais j'ai la conviction que si vous n'avez pas écrit cette carte, vous avez autre chose sur la conscience.

Céline ne rigole plus du tout. Comme une porte de coffre-fort face à une lance thermique, elle essaie de résister au regard inquisiteur de l'inspecteur.

— Je vous souhaite une excellente soirée, madame. Je suis certain que nous allons nous revoir très bientôt…

26

Par les haut-parleurs, une voix triste à pleurer se répand dans le théâtre. Daniel, le perpétuel malade imaginaire, se charge d'une annonce régie comme s'il décrétait un deuil national : « Ouverture au public dans dix minutes. Vérification de la mise en place des accessoires. S'il vous plaît, on libère le plateau et on referme les rideaux. » Le ton de ses communications a au moins le mérite d'amuser toute la troupe, qui se les répète en mimant une agonie ou, mieux, une pendaison.

Pour Eugénie, ce message annonce la fin de son service. Les équipes prennent désormais le relais et, dans une mécanique bien huilée, chacun va jouer son rôle pour assurer le bon déroulement du spectacle. La ruche fonctionne à plein régime, tandis que la reine doit coûte que coûte enfiler sa robe rafistolée.

Eugénie devient alors la spectatrice privilégiée de l'effervescence qui précède la soirée. Elle savoure l'énergie de ceux qui travaillent ensemble. Elle adore ça. Une vraie drogue, dont elle reçoit sa dose du jour avec gourmandise.

Les techniciens sont les maîtres en coulisses, où ils règlent et agencent une multitude d'éléments. Il y a tant à faire qu'Olivier ne peut plus répéter plusieurs fois chacun de ses mouvements de renforcement musculaire. Dans le couloir des loges, toutes les portes sont ouvertes. Maquilleuses et coiffeuses passent de l'une à l'autre en s'apostrophant joyeusement pour préparer les comédiens. Eugénie ne se lasse pas de cette ambiance, de ces gens mêlés dans une intimité unique. Avant de monter sur scène comme on monte au front, la troupe se resserre et fait corps, pour aller ensuite rencontrer la foule qu'il faudra apprivoiser sous peine d'être piétiné. Chaque soir, au fil d'une promenade bien balisée, Eugénie traverse les différents espaces en se faisant la plus discrète possible. L'heure est au travail et elle ne veut gêner personne. Elle délaisse les blagues potaches des électros pour s'intéresser aux paniques des habilleuses qui, comme chaque soir, ont perdu une barrette ou un vêtement qu'elles retrouveront dans quelques instants. Parfois, elle participe, mais ce qui lui plaît surtout, c'est de saisir les petites étincelles de vie qui naissent entre les gens au moment où ils s'apprêtent à se lancer. Elle rejoint ensuite la grande salle où les ouvreuses font leur dernière inspection.