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— Je ne veux rien savoir de vos pratiques sexuelles, vous allez me filer la nausée…

Derrière sa vitre, Franky est déçu.

— Ben alors, t'es pas une tétine dans tes rêves ?

Olivier ouvre des yeux fascinés et rebondit, hilare :

— Toi aussi, tu fais ce genre de songes ? Moi, une fois, j'étais un chausse-pied dans un magasin de tongs. Je ne servais à rien du tout. La lose totale ! J'ai pleuré, mais pleuré…

Eugénie s'interpose :

— Tu ne vas pas t'y mettre, Olivier… Sinon, je crois que j'ai le tome deux pour te calmer !

L'interpellé lève les mains pour signifier sa reddition. Aussi baraqué soit-il, il sait qu'il ne sera pas de taille face à Eugénie.

— Tout doux ! Je ne m'interpose jamais dans les querelles d'amoureux. Un conseil cependant : lisez des illustrés, c'est moins lourd.

Victor change de sujet :

— Alors, c'est quoi la dernière que tu veux nous raconter ?

— Avec vos turpitudes, j'allais oublier ! Figurez-vous qu'au parking, il y a un mec qui s'est fait défoncer sa caisse. J'avais jamais vu ça. Je ne pensais même pas que c'était possible. Probablement des ados sous acide, ou un animal sauvage à bec dur. Tu verrais sa bagnole… Elle est toute martelée. Les flics ont pris des photos, ils veulent vérifier si les points d'impact ne dessinent pas des symboles sataniques…

Eugénie chancelle. Elle sait qu'elle ne pourra pas rester sans réaction. Son corps ne le lui permettra pas. C'est au-dessus de ses forces. Le ciel lui en veut. Car une volonté supérieure est forcément dans le coup pour que ce genre de conjonction maudite se produise. Pourquoi faut-il qu'un pauvre type possède la même voiture que Juliette et se gare au même étage ? Ce n'est plus du hasard, ça frise la théorie du complot.

En attendant, la voilà à nouveau dedans jusqu'au cou. Les flics vont revenir, et cette fois, ce ne sera pas pour Céline. Mais elle sait quoi faire. Elle connaît le chemin : au fond du théâtre, les toilettes, le soupirail, boum dans les ordures, l'avion, le chirurgien foireux et les messages électroniques cryptés envoyés à « Coincoin d'amour » qui lui manque. Mais quand même, ça commence à faire beaucoup.

C'est la première fois que Victor voit sa femme s'asseoir par terre au beau milieu du hall en émettant des bruits de bébé. Elle se met d'ailleurs à avancer sur les fesses comme un petit qui ne sait pas encore marcher et se traîne sur sa couche. Dommage qu'il ne soit pas une tétine. Olivier non plus n'a jamais vu un adulte faire cela, ni aucune créature d'ailleurs, à part une fois un labrador qui avait des vers. Quant à Franky, il est bluffé. C'est certain, il s'agit encore d'un de ces mystères qui nous dépassent…

31

À peine Juliette a-t-elle sonné que la porte s'ouvre. Céline l'accueille en finissant de s'habiller en toute hâte. Elles s'embrassent.

— T'attendais juste derrière, pour réagir aussi vite ? demande Juliette.

— Vu la taille de mon terrier, même si je suis à l'autre bout, il ne me faut que trois pas pour arriver à l'entrée. Merci beaucoup de me dépanner ce soir.

— Je t'en prie.

— Ulysse a pris sa douche. Il est en train d'enfiler son pyjama dans sa chambre. On a fait les devoirs mais si tu as le temps, il faudrait lui faire relire un extrait de Robinson Crusoé.

Juliette déambule dans le salon pendant que son amie fonce se maquiller. Elle n'était pas venue depuis quelques mois, mais rien n'a changé, à part les jouets d'Ulysse qui évoluent aussi vite que le gamin grandit. Plus rien ne traîne par terre, mais une console est apparue à côté de la télé.

— Où t'invite-t-il ce soir ? Il ne va pas te refaire le coup du resto mexicain, au moins ?

Céline passe la tête hors de sa minuscule salle de bains.

— Non, ce soir, c'est jamaïcain. On verra si les boutons que je vais récolter sur la tronche seront d'une couleur différente…

Elle ronchonne en appliquant son fond de teint à la va-vite.

— Je ne sais pas pourquoi je m'affole, de toute façon, il sera encore en retard. Quelle midinette décérébrée je fais…

Juliette s'approche et s'appuie sur le montant de la porte. Elle croise le regard de son amie dans le miroir.

— Tu n'as pas l'air folle de bonheur d'y aller.

— Ça se voit tant que ça ? Je me demande d'ailleurs pourquoi j'y vais. Je sais déjà que je vais revenir déçue et énervée.

— Il n'y a rien à sauver dans les moments que vous partagez ?

— Si. Quand il me ment. Parfois, je m'anesthésie suffisamment les neurones pour me bercer d'illusions.

Juliette ne comprend pas Céline. Pour sa part, elle ne s'engage que si elle est réellement attirée. Il faut qu'elle sente quelque chose chez l'autre. À la seconde où l'envie n'est plus là, elle rompt. Sauf avec Loïc. Là, elle serait prête à y aller même si lui ne voulait pas. Elle ose demander :

— Tu as toujours eu l'impression de te faire avoir par tes petits copains ?

Céline suspend son geste, l'eye-liner à la main, et regarde sa cadette.

— Non, pas au début. Les premières fois, j'étais convaincue. Tu parles ! Une luciole fascinée par la lampe qui va lui griller les ailes. Même pas peur ! De toute façon, quand on est jeune, on se dit qu'on a le temps. Si ce n'est pas le bon, il y en aura bien un autre ! Et puis les années passent sans que tu t'en rendes compte. Ce n'est toujours pas le bon, et il y en a de moins en moins qui attendent derrière. Et un beau matin, sans trop savoir pourquoi, ce n'est plus l'envie qui te guide, mais la trouille. Tu te dis qu'il faudrait te trouver un port d'attache avant les grandes marées.

— Tu n'as jamais été amoureuse, au moins les premiers temps, même de ton ex-mari ?

— Tu sais, Juliette, l'amour, je me demande parfois si ce n'est pas un truc qu'on s'invente toutes seules dans nos têtes. Est-ce qu'à force de vouloir le trouver on finit par avoir l'impression de le voir ? Comme un mirage dans le désert ? On pense que rencontrer sa moitié, son alter ego masculin, sera magique. On se joue une vraie comédie romantique, et puis le quotidien se charge de te ramener sur terre.

— Eugénie voit les choses exactement de la même façon. Tiens-toi bien, elle m'a confié qu'elle n'avait pour ainsi dire pas choisi Victor. Tu te rends compte ?

— Elle est quand même bien tombée. Lui au moins est resté, et il est gentil.

Céline vérifie son apparence dans le miroir. Une touche de gloss, et elle sourit pour s'assurer de l'effet.

— Maintenant, l'amour, pour moi, c'est comme ce sourire : je sais le faire, mais il me manque ce qui est supposé lui donner naissance. Je maîtrise le symptôme, mais je suis cruellement privée de ce qui le provoque. À ton âge, on ne réfléchit même pas à ce qu'il faut faire pour avoir l'air lumineuse. On l'est par nature ! C'est toute la force de l'innocence. Dans ma situation, on se souvient qu'il faut tirer de chaque côté de la bouche pour que ça y ressemble. On joue le jeu en espérant tenir assez longtemps pour qu'un jour, quelque chose nous sauve de ce que tu sais.

— Ne parle pas comme ça ! Il faut y croire, ma Céline !

Le pauvre sourire de son amie lui étreint le cœur.

— Je vous ai préparé deux assiettes sympas pour le dîner, se reprend Céline. Évite de laisser Ulysse manger devant la télé. Quand il sera couché, installe-toi dans ma chambre, je ne devrais pas rentrer tard.

— T'inquiète pas pour moi, prends le temps de profiter.

Sur le lit de son amie, Juliette découvre des dizaines de photos étalées en vrac.

— Tu fais un album ?

— Du tri. Je garde ce qui pourra faire plaisir à Ulysse, et je balance le reste. Je ne veux plus m'encombrer de ces souvenirs. Qui garderait la photo du piège à loup dans lequel il est tombé ?