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— Je peux jeter un œil ?

— Je t'en prie.

Des paysages, des couchers de soleil, des photos de Céline avec l'homme que Juliette n'a vu qu'à travers un masque de vache. Ils sourient — surtout elle. Juliette se dit qu'elle ne possède aucune photo avec Loïc. Comment seront-ils sur la première ? Est-ce qu'elle la jettera un jour ?

Céline la rejoint devant le lit.

— Tu te rends compte ? Des photos papier. Et dire que je me moquais de ma grand-mère avec ses tirages sépia… Les gens de ton âge ne font plus cela, vous avez tout dans votre téléphone. Des selfies, des centaines de photos de n'importe quoi parce que vous n'êtes plus limités par la pellicule. Et voilà que je me mets à parler comme une mémé !

— C'était mieux avant ?

— Je ne sais pas. Nous, on faisait les tirages au fur et à mesure, à l'économie, en ne photographiant que ce qui nous paraissait digne d'être fixé pour l'éternité. Et on gardait les clichés précieusement. C'était la mémoire de la famille ! Vous, si votre téléphone plante, vous perdez tout, mais par contre vous pouvez faire des photos partout. Mieux ou moins bien, je ne sais pas. C'est comme ça. Tout change et on n'y peut rien.

Juliette s'empare d'une photo où Céline, radieuse, se tient béate devant son mari.

— À quel moment as-tu senti que ça changeait entre vous ?

— Lorsque j'ai compris. Lorsque j'ai cessé d'alimenter la chaudière de notre histoire banale en y brûlant mes rêves. Ça a tenu aussi longtemps que j'y ai cru. Mais ne te soucie pas de ça, ce n'est pas parce que j'ai loupé mon coup que toi tu le manqueras. Vas-y à fond ! N'écoute que tes sentiments, ta conscience se pointera bien assez tôt !

En détaillant les photos, Juliette se dit que Céline et Martial formaient malgré tout un beau couple.

— Revoir tout ça ne te fait pas trop souffrir ?

— Les photos sont trompeuses. Quelques instants de bonheur isolés qui peuvent faire illusion pour ceux qui n'étaient pas présents. Tu ne vois ici que les moments les plus forts, les plus beaux décors, les fois où on était dignes d'être immortalisés. Mais entre ces dixièmes de seconde où l'appareil te saisissait, il y avait la réalité. Là, tu vois, je me souviens que juste après cette photo j'avais été triste parce que j'avais surpris son coup d'œil vers une autre fille. Il l'avait littéralement déshabillée du regard. Toi, tu vois un beau souvenir, moi je me rappelle un coup de couteau dans le cœur… Il ne faut pas se focaliser sur les meilleurs moments, ils ne sont finalement pas représentatifs. Avec vos téléphones, vous avez peut-être de la chance. Partout, tout le temps, c'est le quotidien que vous attrapez. C'est là que le bonheur est sans doute le plus perceptible… lorsqu'il existe.

Sur la table de nuit, Juliette remarque le manuscrit de la pièce Cœur à retardement.

— Tu lis ça ? fait-elle en le pointant du doigt.

— Je ne lis même que cela depuis des mois. Une vraie thérapie. Je me sens tellement proche de l'héroïne. Je connais ses répliques par cœur. Parfois, je les joue toute seule, devant la glace ou au volant, comme si Martial se tenait devant moi. J'aurais tellement aimé avoir le cran de lui balancer tout ça…

Juliette vérifie sa montre.

— On discute, on discute, et tu vas finir par être plus en retard que lui.

Ulysse sort de sa chambre, vêtu d'un pyjama décoré de voitures multicolores.

— Juliette ! s'écrie-t-il en courant vers la jeune femme.

Il lui saute dans les bras.

— Je vous laisse, vous allez passer une meilleure soirée que moi.

Le jeune garçon accompagne sa mère jusqu'à l'entrée et l'embrasse.

— Essaie d'en profiter tout de même, glisse Juliette à son amie.

— Merci d'être là.

La porte claquée, Ulysse attend que les pas s'éloignent dans l'escalier, puis il regarde sa baby-sitter très sérieusement.

— Avant qu'on joue à mon nouveau jeu de course auto, je dois chercher quelque chose.

— Ton extrait de Robinson Crusoé ?

— Non, un renseignement. Maman ne veut pas que je me serve d'Internet tout seul quand elle n'est pas là. Tu veux bien m'aider ?

— Pour tes devoirs ?

— Non, pour Victor. Il m'a dit qu'il avait besoin d'une machine qui fait de la « soudure à l'arc » pour renforcer certaines pièces de la machinerie du théâtre. Sinon, il dit que ça tombera de partout. Je vais l'aider à trouver sa machine à souder.

— C'est très gentil.

Ulysse s'installe devant l'ordinateur et commence à taper dans le moteur de recherche.

— C'est rare, l'engin que tu cherches ?

— Je sais pas trop. Au début, j'ai même cru que ça avait été inventé par les Indiens à cause de l'arc, mais en fait, c'est une machine que tu utilises avec une baguette qui fait des étincelles dans une lumière aveuglante.

Le cœur de Juliette fait un bond.

— J'en ai déjà vu ! Je sais ce que c'est !

Sur la page de recherche, des dizaines de photos s'affichent. Des hommes équipés de masques face à des gerbes lumineuses. Juliette reconnaît aussitôt le poste de soudure de Loïc. Elle s'enthousiasme :

— Je connais quelqu'un qui en a un !

— Vrai ? Tu pourrais lui demander de le prêter à Victor ?

— Bien sûr !

— C'est un ami à toi ?

— J'aimerais bien que ce soit mon ami…

— Tu lui en parleras ?

— Promis, dès demain.

— Génial, alors on peut faire des Grands Prix ! Je prends le Super Racer bleu !

— Ta mère m'a fait promettre de ne pas abuser des jeux vidéo. Et c'est mon amie.

— Parce que moi je ne suis pas ton ami ?

Un sourire a suffi pour que Juliette se fasse avoir.

32

Victor soulève le drap jauni et découvre un portemanteau.

— C'est sans doute ce vieux machin que tu auras pris pour le spectre de Violette Marchenod.

— Je n'ai jamais parlé de fantôme. Je ne suis pas folle. De toute façon, c'était plus à gauche.

Olivier se glisse entre deux rangées de vieilles malles pour aller vérifier.

— Par là, Eugénie ?

— Un peu plus loin.

La gardienne est montée inspecter les combles en compagnie des deux hommes. Olivier passe son temps à soulever des caisses qui n'en ont pas besoin, heureux d'en trouver de très lourdes. Il éternue.

— Quelle poussière ! Mieux vaut ne pas être allergique. Qu'est-ce qu'il y a là-dedans ?

— Aucune idée, répond Victor. Certainement des archives ou de vieux costumes. Il faudra faire dégager tout ça avant qu'un feu ne se déclare. Je suis d'ailleurs surpris que les pompiers ne l'aient pas déjà exigé.

Alors que les deux hommes élargissent le champ de leur investigation, Eugénie retourne vers l'escalier pour se placer exactement dans le même angle que la nuit où elle a eu si peur. Cela lui demande un effort, mais elle est décidée à surmonter son malaise pour réussir à situer l'endroit précis d'où les yeux mystérieux la regardaient. D'un seul coup, la vision lui revient, tellement vive qu'elle en est effrayée. Elle se concentre pourtant et finit par identifier les caisses derrière lesquelles la présence pouvait se cacher. Prenant sur elle, elle s'en approche.

À sa grande stupeur, des traces ont été laissées dans la fine pellicule de poussière. Un frisson la saisit.

Eugénie s'apprête à alerter Victor, mais se ravise. Son mari et Olivier vont encore lui expliquer qu'elle a rêvé, qu'il s'agit sans doute d'un rongeur qui aura déposé ces drôles d'empreintes. Mais elle est bien placée pour savoir que ce n'est pas le cas. Il faudrait bien plus qu'une souris pour faire le bruit qu'elle a entendu.