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— Il s'est montré très dur. Il m'a repoussée. Je sais qu'il ne l'a fait que pour me dégoûter de lui et faciliter la séparation, mais qu'est-ce que ça m'a fait mal ! Il y a même des jours où il a refusé de me parler au téléphone.

— Pauvre petite…

— Je m'efforce de tenir bon, mais je ne suis plus sûre de rien. Est-il possible de rester auprès de quelqu'un qui veut vous renvoyer ? Comment continuer à vivre avec lui alors que tous nos plans s'effondrent ? Puis-je faire le deuil de Quentin tel qu'il était pour tout repenser en fonction de ce que cet accident va faire de lui ? Il a perdu l'usage de ses jambes, mais ce n'est pas la seule conséquence de son accident. Quelle part de lui, de sa personnalité, va disparaître aussi ? Quelle attitude adopter si on continue ensemble ? Je ne suis pas certaine d'être assez forte pour rester auprès de lui contre sa volonté.

— Quelle épreuve… Alors pour tenter de t'y retrouver, tu te demandes ce qu'à ta place j'aurais fait vis-à-vis de Victor ?

— C'est l'idée.

Eugénie se renverse en arrière. À présent, c'est elle qui cherche de l'air, le regard perdu vers le plafond.

Bouleversée, elle tente de se projeter dans leur situation. De toutes ses forces, elle essaie d'imaginer, mais son esprit s'y refuse, sans doute effrayé par les innombrables peurs que cela réveille en elle.

— Je suis désolée, Laura, mais je n'ai pas de réponse à t'offrir. On peut toujours raisonner, se dire que l'on aurait telle ou telle attitude, mais cela ne vaut rien tant que l'on n'a pas à affronter la réalité. Chacun aura sa vision de ce que Quentin et toi endurez, mais personne ne peut savoir ce qu'il ferait vraiment au pied du mur. Tout ce que je pourrais te dire ne t'aidera pas à choisir, à vivre ce que tu as à vivre.

— Merci d'être honnête.

— Quentin veut te protéger, il se considère comme perdu. De ton côté, tu ne veux pas l'abandonner, mais tu te demandes si tu peux assumer.

— Que va-t-on devenir ? Je ne gagne même pas encore ma vie et son appart n'est pas adapté…

— Comme vous devez souffrir…

— Ses parents et ses copains sont détruits. J'ai l'impression d'être la seule à me battre pour qu'il ait un avenir, pour que nous l'ayons ensemble.

— Oublie les questions existentielles pour le moment. Accroche-toi. Une journée à la fois. Ne t'occupe que du quotidien. Laisse-toi du temps. Tu ne te pardonnerais pas d'avoir obéi à sa folle idée de rupture. Ne décidez rien dans l'urgence. Ta vie avec Quentin ne sera pas celle que vous aviez envisagée, c'est certain. Tu sais, même sans drame, l'existence ne se déroule jamais telle qu'on la prévoit. Ce qui lui arrive est tragique, désolant, et cela va remettre en cause vos projets. Je ne sais pas ce qui vous arrivera, mais j'ai vécu assez longtemps pour t'assurer que de toute façon, ce n'est jamais ce que l'on espère qui se produit. Parfois c'est mieux, le plus souvent c'est bien pire ! Mais ce qui est certain, c'est que suivre un schéma préétabli est illusoire. Il faut sans cesse s'adapter.

— Avons-nous une chance d'être heureux après ça ?

— Rien n'est impossible. Tu dois crouler sous les questions. Il va falloir que tu acceptes de ne pas obtenir de réponses dans l'immédiat. La seule interrogation que tu dois garder à l'esprit concerne le lien qui vous unit. Si vous regardez dans la même direction, quels que soient les murs que la vie dresse devant vous, alors vous avez une chance de vous en sortir ensemble.

— J'ai honte de douter. Je devrais être forte pour deux.

— Ce sont de nobles idées qui t'honorent, Laura, mais ce ne sont que des principes. On ne tient pas chaque jour, chaque heure, avec des principes. On survit, on risque et on endure pour ceux que nous aimons, sans même qu'ils le demandent.

La jeune fille se relâche. Elle se met à trembler.

— Je n'avais pas réussi à en parler jusque-là.

— J'espère que ça te fait du bien.

— J'ai peur des choix qui s'annoncent. Je sais que je n'y échapperai pas. Je rêvais de devenir sa femme, mais son infirmière… Comment va-t-on gérer ? J'ai beau tout envisager, je ne vois que du négatif. Si je reste, les gens se diront que c'est par pitié, et si je pars, ils penseront que je l'ai abandonné.

— Ce n'est pas ton problème. Tu dois trouver tes propres raisons de rester ou de partir. Ceux qui te jugeront ne seront jamais là pour t'aider à assumer tes choix au quotidien. Il est toujours facile d'avoir un avis lorsque l'on n'est pas concerné. Mais c'est votre vie à vous. Ne te laisse pas distraire par les leçons des autres. Reste concentrée sur ce que tu ressens tout au fond de toi. Quentin t'a offert une porte de sortie. À toi de choisir si tu dois la franchir ou non.

54

— Vous me remettez ? Inspecteur De Freitas.

— Bonjour, inspecteur. Avez-vous enfin élucidé le mystère de la carte postale qui a fait si peur à mon pauvre ex-mari ?

— Très franchement, ça m'est parfaitement égal. Je ne suis pas là pour cette partie du dossier. Mais je trouve la situation de plus en plus passionnante.

— Pourquoi donc ?

— Je pressentais que nous allions nous revoir, malgré tout je ne pensais pas que cela se produirait aussi rapidement. Admettez que votre relation avec lui prend une étrange tournure.

— Martial et moi n'avons plus de relation, inspecteur.

— Vous étiez quand même présente lors de son « accident domestique »…

— Vous n'allez pas m'accuser d'avoir envoyé mon ex-mari à l'hôpital, tout de même ?

— Je n'ai rien prétendu de tel, permettez-moi juste de m'étonner qu'il soit sorti de votre dernière entrevue sur une civière, amnésique, après un choc unanimement qualifié par les médecins « d'inhabituellement violent dans un cadre de vie ordinaire ».

— J'étais chez lui parce que nous avions des affaires à régler.

— Et c'est alors qu'il s'est jeté de toutes ses forces contre un mur, au point d'en perdre la mémoire… Nous vivons une époque terrible, chère madame. Les gens font n'importe quoi.

— Que sous-entendez-vous, inspecteur ?

— Rien. Je me pose seulement des questions. Rappelez-vous, c'est mon métier. Nous sommes en train de vérifier s'il n'avait pas souscrit une assurance-vie dont vous seriez restée bénéficiaire malgré votre divorce.

— Il n'est pas mort, que je sache.

— Il n'est pas passé loin.

— Vous enquêtez donc sur les cartes postales et les meurtres qui auraient potentiellement pu avoir lieu ? Pas étonnant que la police soit débordée.

— Qu'aviez-vous comme « affaire » à régler avec lui ?

— Au cas où vous l'auriez oublié, nous avons un fils, et bien que je le déplore, cela occasionne certaines décisions à prendre en commun, pour sa scolarité notamment.

— Ne vous en faites pas. Le jeune Ulysse, douze ans, dont les résultats scolaires ne sont d'ailleurs pas mauvais du tout, figure en bonne place sur mes écrans radar.

— Ne mêlez pas mon fils à cette histoire, s'il vous plaît.

— Je n'en ai pas l'intention. Si vous me dites ce que je veux savoir, je n'aurai pas à le convoquer.

Céline se raidit. L'idée que son garçon puisse se retrouver convoqué pour un interrogatoire la révulse. Elle argumente :

— Ce n'est pas ma faute si Martial avait pour habitude de se balader en chaussettes sur son parquet trop ciré — manie contre laquelle je me battais déjà lorsque nous vivions ensemble parce que cela donnait un mauvais exemple à notre fils.

— C'est parce qu'il se baladait en chaussettes que vous avez divorcé ?

— Votre remarque est déplacée. Si vous posez des questions, posez les bonnes.