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— Vous avez raison. Donc je me demande pourquoi il a failli mourir après avoir reçu cette carte de menaces que vous n'avez pas envoyée mais qui vous a tant fait rire.

— Les accidents domestiques représentent 17 % des décès et 34 % des causes d'hospitalisation, cher monsieur. Rappelez-vous, c'est mon métier. Martial rentre parfaitement dans les statistiques.

— Il est surtout parfaitement rentré dans un montant de porte.

— Ce n'est pas très fin, mais c'est assez drôle.

— Vous ne souhaitez rien modifier dans votre déposition ?

— Absolument rien. Je vous le répète, j'étais venue lui rendre visite pour discuter, et pendant que j'étais dans le salon, j'ai entendu un terrible choc. Je me suis précipitée et je l'ai trouvé dans son couloir, étalé de tout son long, le visage en sang.

— Avouez que c'est étrange.

— Je n'ai rien à avouer. Que trouvez-vous « étrange » ?

— Vous qui êtes dans les assurances, si vous lisiez cette version des faits dans un rapport d'accident, y apporteriez-vous du crédit ?

Céline ne doit en aucun cas laisser deviner ce qu'elle pense. L'inspecteur sourit. Il vient de marquer un point.

— Bien que vous ne répondiez pas, je suis d'accord avec vous.

— Vous imaginez sérieusement que je l'ai frappé ? Avec quelle arme ?

— J'ai envisagé cet aspect, mais les cicatrices et contusions relevées sur le visage et le torse de M. Lamiot attestent que c'est bien l'impact contre la porte qui l'a terrassé.

— À la bonne heure, me voilà donc innocentée !

— D'une certaine façon, oui. Mais le fait est que vous ne l'aimiez plus, n'est-ce pas ?

— Bravo inspecteur, vous venez de découvrir la véritable cause du divorce.

— Je devine en vous des sentiments contradictoires, madame Haas. Vous clamez votre innocence, et pourtant je vous fais peur.

Céline bafouille. L'inspecteur plonge à nouveau son regard dans le sien. Elle déteste cela, mais elle est incapable de s'y soustraire.

— Comme lors de notre première rencontre, je suis prêt à parier que vous me cachez quelque chose. Il ne faudrait pas que cela devienne une habitude…

— Plutôt que de vous acharner contre moi, vous feriez mieux d'orienter vos recherches vers celle ou celui qui l'a réellement menacé de mort.

— C'est vous qui étiez près de lui quand il a failli y passer. Vous savez, chère madame, je me suis renseigné sur votre ex-mari, et vous aviez raison sur un point.

— Il ne devrait pas courir en chaussettes sur des parquets cirés ?

— Non, mais il est effectivement impliqué dans plusieurs transactions immobilières frauduleuses.

— Il faudra lui en parler dès qu'il retrouvera ses esprits.

— Vous pouvez compter sur moi. Mais je ne vais pas vous lâcher pour autant. Car j'ai hâte d'apprendre pourquoi, alors que vous étiez tranquillement assise dans le salon, il se serait mis à sprinter dans son couloir pour aller se fracasser contre un chambranle.

55

— Henri IV ! C'est ça ?

Victor s'enthousiasme au téléphone.

— Il ne s'agit pas d'un jeu, monsieur Camara, mais d'un questionnaire de consommation qui peut vous permettre de remporter un très beau séjour pour deux dans une station thermale réputée.

— On est sur quelle radio ? Dites-moi, que j'allume mon poste à galène pour écouter !

— Nous ne sommes pas sur les ondes.

— Mais je ne suis pas fou, j'entends bien votre voix, et vous me posez des questions !

— Tout à fait, monsieur, je souhaite connaître vos habitudes lorsque vous faites vos courses.

— Un champion de courses automobiles, vous me demandez le nom d'un champion de Formule 1 ! Je comprends mieux. Effectivement, ça ne peut pas être Henri IV, ni le yéti. Allez, laissez-moi encore une chance, s'il vous plaît. Posez-moi votre question. J'ai combien de temps pour répondre ?

— Nous avons tout le temps nécessaire, monsieur Camara. Première question : est-ce vous ou madame qui assurez les achats d'alimentation ?

— Ma pauvre femme ne peut plus, cher monsieur, elle s'est remise à boire. Un désastre. Elle siffle même mon après-rasage. Du 40 degrés ! Vous vous rendez compte ? Après, elle essaie de me frapper, parce qu'elle a l'après-rasage mauvais. Je note d'ailleurs au passage que ce qui sent bon sur mes joues ne fleure pas aussi bon dans sa bouche.

— Donc, c'est vous qui faites les commissions.

— C'est Blanche-Neige ! J'ai gagné ? Je suis tellement content !

Il hurle dans le combiné :

— Merci beaucoup ! Vous savez, je vous écoute depuis des années à la radio, et je n'avais jamais rien gagné, en plus j'ai une maladie incur…

Le télévendeur a raccroché. Victor consulte son chronomètre. Presque trois minutes. Excellent score. Il exulte. Quel bonheur de constater qu'il existe encore des petits nouveaux qui ont foi dans leur métier pourri !

Entendant la porte de l'appartement s'ouvrir, il se lève d'un bond.

— Eugénie, c'est toi ?

— Qui veux-tu que ce soit ?

Victor envisage bien des réponses qui le feraient rire, mais il ne veut pas braquer sa moitié.

— Où étais-tu ? demande-t-il.

— Je te l'ai dit, mais tu n'écoutes rien.

— Avec Olivier, on a fixé le verrou supplémentaire sur l'entrée des artistes. Tu n'as plus à t'en faire. On a eu un peu de mal à percer parce que c'est de l'excellente ferraille, mais c'est réglé.

Eugénie débarque dans le salon et pose son sac d'emplettes. C'est donc bien elle qui les fait. Comme à chaque fois qu'elle et Victor ont été séparés quelques heures, il parle trop. Il est comme ces enfants qui, après s'être sentis seuls, racontent à l'excès et cherchent le contact pour rattraper le temps qu'ils ont trouvé si long. Il poursuit :

— Avant que j'oublie, Noémie a téléphoné. Elle était déçue de ne pas pouvoir te parler et t'embrasse. Ils ont presque fini de rénover leur salle de bains. Ils vont partir une semaine en randonnée chez des copains mais dès leur retour, elle aimerait vraiment qu'on vienne.

Eugénie se concentre.

— D'accord. On va fixer une date.

Victor ne bronche pas, mais il n'en croit pas ses oreilles. Pas de refus, pas d'excuse visant à reporter. C'est un immense pas en avant. Il continue comme si cette réponse était banale, mais au fond de lui, il jubile.

— Je te prépare un thé ?

— C'est gentil, mais tu ne sais pas le faire.

— Comme tu veux. Au fait, tu te souviens, l'enquête sur la voiture défoncée dans le parking…

— Oui ?

— Ils avancent bien. Je n'ai pas tout compris, mais ils tiennent des pistes. Une histoire d'ADN sur un débris de verre ou d'image de reflet indirect capté par la vidéosurveillance.

Eugénie n'a plus envie de se détendre. Il va falloir agir.

56

Hasard des rendez-vous, cette session d'auditions rassemble beaucoup de numéros de cabaret, ce qui a le mérite d'installer une atmosphère plus festive qu'à l'accoutumée. De la musique, des voix et des refrains résonnent sous la voûte du théâtre.

Après quelques chanteuses aux styles variés, un couple de jongleurs, une chorale gospel et un humoriste pas vraiment drôle, c'est un imitateur débutant qui achève sa présentation. La bonne volonté et l'abattage sont là, mais le talent pas encore. Nicolas bâille discrètement et l'encourage en lui conseillant de travailler encore avant de revenir proposer ses services.

Dans chacun de ses commentaires, le metteur en scène s'évertue à faire preuve de bienveillance, parce qu'il sait que derrière chaque prestation, même les moins abouties, se cachent un rêve et une sensibilité qu'il ne veut pas abîmer. Tous les grands artistes ont entamé leur carrière en cherchant leur style, souvent éreintés par des individus chargés de les évaluer qui n'ont pas su détecter leur potentiel. Nicolas n'oublie jamais cela. En attendant de dénicher la perle qui lui permettra d'élargir sa programmation, il a rarement pris autant de notes et son cahier est quasiment plein.