Выбрать главу

— Tu m'as fait passer pour ta mère.

— Je n'y suis pour rien, c'est lui qui…

— Tu n'as rien fait pour le détromper.

— J'adorerais t'avoir comme maman.

— Je déteste l'idée d'avoir l'âge de ta mère.

Juliette lui prend le bras et se blottit contre elle.

— Pardon, c'est vrai, j'aurais dû rectifier. Mais c'est sa faute, il me fait perdre la tête ! C'est la première fois que j'éprouve ça pour quelqu'un.

— On ne tombe pas amoureuse d'un gars qui se tortille par terre, même s'il est effectivement bien taillé.

— Il ne se tortille pas, il sauve ma voiture.

— Que tu as toi-même défoncée…

Juliette lui fait signe de parler moins fort.

— Non, je te jure, il me fait un effet particulier. Je sens autre chose.

— Le gasoil ?

— Je suis sérieuse.

L'homme se contorsionne toujours pour ausculter le châssis. Juliette le dévore des yeux. Elle murmure à sa complice :

— Là, tu vois, tout de suite, j'ai envie de me jeter sur lui.

— Par pitié, calme-toi, pense à une chanson et, s'il te plaît, pas à un slow langoureux…

Pensives, les deux femmes observent le garagiste qui, après un moment, finit par se dégager.

— Vous avez de la chance, ce n'est pas trop grave. Le pot n'est pas touché. J'avais aussi peur pour le réservoir, mais tout va bien. Il y aura quand même un peu de travail. La bonne nouvelle, c'est que vous pouvez rouler comme ça. On n'est pas obligé de réparer.

— Mais si, j'y tiens ! Réparez-moi !

L'homme paraît surpris par la réaction mais après tout, le client a toujours raison, surtout quand c'est une cliente aussi mignonne.

— Dans ce cas, il faudrait me laisser votre voiture une bonne journée, voire deux. Même en faisant le minimum, ça devrait aller chercher dans les 350…

— Je me débrouillerai. J'ai confiance en vous. Quand voulez-vous que je vous la dépose ?

Il réfléchit.

— Mardi matin, si c'est bon pour vous.

— Pas de problème, ma petite mère chérie me conduira !

Maman dino est à deux doigts de se transformer en dragon cracheur de feu. Ce qui, entre les bidons d'huile et les vapeurs de carburant, mettrait le feu à tout le quartier.

8

— Bénissez-moi, mon père, parce que j'ai péché.

Dans l'obscurité du confessionnal, à travers le parloir percé de minuscules trous qui les sépare, Céline ne distingue du prêtre qu'une forme vague.

— Vous n'avez pas l'habitude de venir, note celui-ci.

— Pas vraiment, je dois l'avouer. Pas du tout, en fait…

— Plus personne ne prononce cette formule ; d'ailleurs plus personne ne vient se confesser. À part la petite dame qui s'occupe des fleurs et de la sacristie parce qu'elle triche à la belote.

Céline hésite, mais ne peut taire sa question.

— N'êtes-vous pas supposé garantir le secret de la confession ?

Elle entend un choc sourd, puis plus rien.

— Mon père, vous êtes là ?

Il ne répond pas immédiatement.

— Je suis là, entièrement à votre écoute. Pardonnez cette méprisable bourde. Le manque d'habitude… Mais ne craignez rien, vous pouvez me confier ce qui vous préoccupe en toute confiance.

À en juger par la voix, Céline et le curé doivent avoir sensiblement le même âge.

— J'ai honte, mon père. Je ne sais plus où j'en suis, ni comment m'y prendre.

— Expliquez-moi ce qui vous arrive.

— J'élève mon fils toute seule. Il s'appelle Ulysse et vient d'avoir douze ans… J'ai l'impression de ne pas être à la hauteur, de ne pas m'occuper correctement de lui. Mais il y a pire : par moments, je me surprends à regretter de l'avoir eu.

— C'est-à-dire ?

— Je voudrais qu'il n'existe pas. C'est affreux… Pourtant, je vous jure que je l'aime de tout mon cœur. Je me dégoûte. Je suis une mère indigne.

— Vous ne vouliez pas d'enfant ?

— Si, bien au contraire. Mais entre l'idée que l'on s'en fait et la réalité… J'ai simplement l'impression de ne pas être capable de l'élever. Je rate tout, je suis en permanence à côté de la plaque. Comme si je m'étais inscrite à un examen pour lequel je n'aurais pas le niveau. Je n'aurais pas dû me présenter…

— Éprouvez-vous ce sentiment paradoxal sous le coup de la colère ?

— Plutôt sous le coup de l'épuisement. En général, je commence à craquer le soir, vers 19 heures, alors que je suis à bout de forces et que je dois encore préparer le repas, l'aider à faire ses devoirs, m'occuper des factures… Je m'écroule vers 21 heures, quand Ulysse est couché.

— Aucune colère en vous ?

— La colère demande beaucoup trop d'énergie, c'est un luxe que je ne peux pas m'offrir. Mon ex-mari arrive parfois à déclencher en moi des accès de rage noire — ça, il m'en a offert bien plus que des fleurs — et à chaque fois, j'ai envie de le trucider…

Le prêtre tousse, Céline s'interrompt.

— Je ne devrais pas tenir ce genre de propos, c'est ça ?

— Je ne suis pas ici pour vous juger, mais pour vous aider à alléger votre conscience. Parlez-moi de votre fils.

— Je ne vais sûrement pas être objective, mais la première caractéristique qui me vient pour le décrire, c'est « gentil ». Avec ses copains, avec moi, il fait toujours le choix de l'affection. Il partage, il donne, il essaie de m'aider du mieux qu'il peut, en travaillant bien à l'école par exemple. Je le vois devenir un petit homme et souvent, il cherche à me protéger. Ça me fait fondre. C'est pour lui que je tiens. Il porte des choses trop lourdes pour lui, que ce soient les sacs de courses ou les sentiments. Il est déjà plus mûr que son père… Du coup, je le trouve aussi trop raisonnable. Notre divorce l'aura sans doute fait grandir plus vite qu'il n'aurait dû. Je n'aurai pas été capable de lui faire le cadeau de l'insouciance… Il n'est absolument pas responsable de mon état et je m'en veux d'autant plus d'éprouver ces sentiments révoltants. Quel monstre faut-il être pour souhaiter qu'un être innocent, son propre enfant, n'existe pas ?

— Ulysse sait-il ce que vous ressentez lorsque vous êtes fatiguée ?

— Bien sûr que non. Personne n'est au courant, à part vous maintenant. Je fais tout ce que je peux pour lui donner les moyens d'avancer dans sa vie. Mais entre mon travail, tout ce que je dois gérer pour lui, l'emmener au sport, à l'école, et l'appartement à faire tourner, je ne m'en sors pas.

— Le père est absent ?

— Je préférerais, mais il est bien là, irresponsable et destructeur. Il déstabilise Ulysse en essayant de le monter contre moi. Chaque fois que le gamin rentre de chez lui, il est en vrac. Son père oscille entre une attitude de copain démagogue qui cède à tout pour acheter son affection, et une absence complète d'implication. Depuis près d'un an, il ne me verse même plus la pension alimentaire. Il m'en veut d'avoir obtenu la garde d'Ulysse. Si vous saviez toutes les horreurs qu'il a racontées sur moi pour tenter de la récupérer… Mais au fond, il n'en avait rien à faire de notre fils. Tout ce qu'il voulait, c'était m'humilier et me le retirer pour me faire souffrir.

— J'entends une femme qui a des doutes, qui vacille, mais vous ne m'avez encore rien dit qui nécessite le pardon. Pourquoi êtes-vous venue vous confesser aujourd'hui ? Quelle faute pensez-vous avoir commise ?

Céline est bouleversée.

— Faut-il avoir commis une faute pour s'en vouloir ? Une faiblesse, un sentiment n'est-il pas suffisant pour se sentir mal ?

Le prêtre ne sait pas quoi répondre. Céline enchaîne :