Выбрать главу

« Evan », chuchota Cohen. L’adolescent se tourna vers lui. « Ne dis rien. Écoute. Tu vois le type de gauche ? Tu le prends dans ta ligne de mire, je compte jusqu’à trois, et tu tires. Ne le rate pas, compris ? Ne le rate surtout pas. » Evan hocha la tête. « Tu l’abats, et dès qu’il tombe, tu files par-derrière, tu fourres tout le monde dans les camionnettes et tu te prépares à partir comme une flèche. Moi, je m’occupe du reste ici. Toi, tu tires une fois, tu touches celui-là, tu files par-derrière, tu fourres les autres dans les pick-up, vous lancez le moteur, et moi, je vous rejoins en courant, je saute dans une remorque et on y va. Compris ?

— Oui.

— Bon. À trois. Celui de gauche, tu t’en vas, et je m’occupe des autres.

— D’accord.

— Du calme.

— Vas-y, compte.

— OK. »

Ils ajustèrent leur position avec soin. Invisibles derrière le comptoir, bien calés, disposant d’une ligne de tir dégagée.

« Ma foi, c’est comme tu veux, hein, lança le type au chapeau. Moi qui étais sûr que tout le monde rêvait de se trimballer avec un grade et de se remplir le ventre. S’il faut qu’on vienne te chercher, la proposition ne tient plus. Tu n’auras que… »

À trois, l’homme de gauche tomba au bruit du coup de feu, alors qu’Evan était déjà parti. Cohen abattit celui de droite, passa au survivant de gauche — qui avait levé son fusil et tirait au jugé comme un fou —, le toucha du premier coup, puisqu’il s’effondra, mais lui réserva une seconde balle. C’était maintenant le tour du chef, qui fonçait vers la grosse base en béton d’un lampadaire. Il n’eut pas le temps de se mettre complètement à couvert mais, une fois blessé à la jambe, n’en tourna pas moins son automatique vers l’arrière en se l’appuyant sur l’épaule de manière à arroser le centre commercial tout entier. Cohen se jeta à terre, pendant que des éclats de mur, de verre, de béton volaient autour de lui, puis il contourna le comptoir en rampant. Malheureusement, sa position trop basse nuisait à sa ligne de mire. Quand le type au chapeau se mit à genoux en se tournant vers lui, Cohen en profita pour se relever avant de faire feu, mais sa balle toucha le poteau du réverbère. L’inconnu retomba en arrière, persuadé d’être mort — en quoi il se trompait, puisqu’il se redressa une seconde fois pour tirer à tout-va. Cohen se jeta à nouveau à terre, pendant qu’Evan l’appelait à pleins poumons de l’autre côté des bâtiments : Tu viens, merde, allez, viens. Dès que l’averse de plomb s’interrompit, il se redressa à son tour, tira, blessa l’adversaire à la poitrine et l’expédia au tapis. Sa dernière balle frappa la base en béton du lampadaire. Ensuite, il attendit, immobile, attentif.

Rien ne bougeait plus sur le parking.

« Cohen ! » hurla Evan.

Cohen compta jusqu’à cinq. Toujours rien. Alors il tourna les talons, sortit en courant par l’entrepôt de jouets, se précipita sur la rampe de chargement du supermarché et bondit à l’arrière de la première camionnette, celle d’Evan. Elle s’ébranla aussitôt, suivie de près par la seconde. Les deux pick-up jaillirent de derrière les magasins pour prendre sur les chapeaux de roue le virage à gauche qui ramenait au parking puis le virage à droite qui ramenait à la route. Là, Cohen se mit à frapper la vitre arrière de la cabine du plat de la main.

« Arrête ! Arrête, bordel ! »

Evan freina si fort que Nadine faillit l’emboutir, mais elle réussit à se déporter de côté. Cohen lui fit signe d’attendre puis ordonna à l’adolescent de faire demi-tour et d’aller se garer près du camion plus vite que ça, nom de Dieu. Evan obtempéra, avec pour finir un tel freinage que son passager se cogna brutalement contre la cabine. Il lâcha le fusil, tira un pistolet d’une de ses poches, dit au garçon de refaire demi-tour puis bondit à terre et se précipita vers le poids lourd. Ce qu’il cherchait lui apparut aussitôt le hayon ouvert. Il grimpa dans la remorque, où il découvrit que les deux premiers bidons de vingt litres étaient vides et les jeta de côté. Les deux suivants, en revanche, se révélèrent pleins.

Cohen les posa sur le plan incliné, qu’il redescendit en faisant signe de reculer à Evan, les chargea dans le pick-up puis les y rejoignit.

« Regardez ! » s’écria Mariposa.

Elle montrait du doigt un camion militaire à quatre roues motrices qui arrivait de l’autre côté du poids lourd, pleins phares. Dans sa remorque découverte se tenaient quatre ou cinq hommes qui, eux, montraient du doigt les pick-up. Comme les nouveaux venus approchaient à toute allure, Evan écrasa la pédale de l’accélérateur, pendant que Cohen tirait un pistolet de sa poche et lâchait quelques coups de feu : peut-être arriverait-il à faire croire qu’il y avait parmi les fugitifs des hommes armés au lieu d’un. Son arme déchargée, il s’en débarrassa et sortit la seconde, chargée, sans pour autant l’utiliser. Les inconnus ripostaient. Le rétroviseur extérieur vola en éclats et un morceau du pare-chocs arrière s’envola, tandis qu’Evan rejoignait Nadine en klaxonnant follement sous une pluie de balles. Cohen s’était jeté à plat ventre à l’arrière ; Mariposa hurlait Plus vite, plus vite. Les deux conducteurs roulaient comme des fous, contournant avec force éclaboussures les gros obstacles, passant à travers les plus petits. Quand le second camion militaire atteignit le premier, les arrivants continuèrent à tirer, mais s’arrêtèrent pour voir ce qu’étaient devenus leurs copains. Quelques minutes plus tard, les deux pick-up quittaient la ville, hors de vue. La pluie tombait toujours, comme si elle avait quelque chose à prouver.

Lorsqu’ils se sentirent à peu près en sécurité, les fuyards se réfugièrent dans un garage en partie écroulé, à l’écart de la route, et sortirent marcher un peu. Le vent et la pluie gommèrent l’anxiété de leur visage. Ils remerciaient le ciel ou haletaient encore d’excitation — les deux, parfois —, mais il n’en fallait pas moins nourrir le bébé. Nadine récupéra à l’arrière de sa camionnette le lait infantile et une bouteille d’eau puis donna le tout à Kris, qui s’installa dans la cabine avec le nouveau-né. Evan et Brisco allèrent pisser derrière le bâtiment. Cohen ajouta de l’essence dans les réservoirs puis s’éloigna un peu, seul, tourné dans la direction d’où ils venaient. Le ciel charbonneux libérait de grosses gouttes qui tourbillonnaient dans les bourrasques onduleuses.

Cette fois, il réussit à allumer une cigarette. Il n’arrivait pas à y croire. Il n’arrivait pas à croire qu’il avait paniqué au point d’oublier la Jeep. De bondir dans la remorque du pick-up sans penser une seconde à la Jeep. Sombre connard, sombre connard, sombre connard, se répétait-il en boucle.

« Hein ? demanda Nadine.

— Rien, riposta-t-il, cinglant.

— Tu parles.

— Ma voiture. J’ai oublié ma voiture. Il faut que j’aille la chercher.

— C’est jamais qu’une caisse, pas un lingot d’or.